ÉsÊQfOmÈêcim
«pë l'Eglise?*'
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Essor ou déclin
de V Église
du même auteur
AUX EDITIONS I^AHURB
Le Sens de Dieu
Lettre pastorale du Carême 1948
Le Prêtre dans la Qté
Lettre pastorale du Carême 1949
Cardinal Suhard
Essor ou
déclin
de r Eglise
Lettre pastorale
Carême
de l'an de grâce
1947
/
Éditions A. Lahure
© 1947 bv Éditions A. Lahure
Nos Très Chers Frères,
Deux ans après la fin de la guerre, nous
savons que la Paix ne ressemblera pas à celle
qu'imaginait notre attente. Moins prochaine,
elle ne sera pas un " retour " tranquille aux
formes du Passé. La crise qui ébranle le monde
dépasse largement les causes qui l'ont provo-
quée. Le conflit en a sa part, avec sa suite de
détresses. Mais le bouleversement qu'il a dé-
chaîné n'a pas pris fin avec lui : il vient déplus
haut et il va plus loin. Les ruines sont un mal-
heur. Elles sont aussi un symbole. Quelque
chose eêt mort, sur la terre, qui ne se relèvera
pas. La guerre prend alors son vrai sens : elle
n'eSt pas un entraâre, mais un épilogue. Elle
marque la fin d'un monde.
Mais, du même coup, l'ère qui s'inaugure
après elle prend figure de prologue : préface
au drame d'un monde qui se fait.
V
8
CRISE DE CROISSANCE.
Cette conclusion n'eSt pas imaginaire. Elle
se fonde sur des signes convergents et sur des
témoignages unanimes. Tous s'accordent pour
caractériser notre époque comme un âge tran-
sitoire. Les souffrances qui affectent toute la
terre; les dangers qui menacent son lendemain;
les grands courants qui la traversent, sont
moins les suites d'une catastrophe que les
signes avant-coureurs d'un proche enfante-
ment. Ou, plus exa6î:ement, le malaise présent
n'e§t ni une " maladie ", ni une décadence du
monde. C'eét une crise de croissance. Moment
capital, que cette fragile et impétueuse adoles-
cence ; substitution délicate de valeurs nouvelles
aux Struâures jusqu'alors valables. Qu'eât-ce
qui meurt? Qu'eêt-ce qui va vivre? Il s'agit
moins ici de dénombrer que de pressentir.
On peut déjà, sans arbitraire, esquisser, à
grands traits, les lignes maîtresses de ce devenir.
Le premier signe, le plus évident, car c'eSt
un fait conStatable, c'e§t que cette crise e§t une
crue d^ unité. On en connaît la marche : les grandes
découvertes scientifiques ont engendré le
Crise du monde : cme d'unité 9
mouvement et la vitesse. L'espace a changé
de mesure. L'avion annule les antipodes et
soude les continents. Les échanges se mul-
tiplient. Production, consommation, réparti-
tion. Économie et Finances : tout se fait au
plan international. Le plus humble objet fami-
lier e§t le terme d'un long voyage. Chacun
dépend de tous pour le simple fait de survivre.
Mais aussi pour sentir et penser. Car la Presse
Q§t partout. Et le film, avec elle : l'image, qui
n'a pas de patrie, se pose d'écran en écran.
Et les ondes, qui traversent tout, portent à
tous, sans diSlinétion, la musique, les nouvelles,
la pensée de tous. Radio et télévision sont le
cerveau et l'influx nerveux, qui fait vivre pour
la première fois la planète, au même rythme,
dans le même présent.
ÉBAUCHE d'une CIVILISATION COMMUNE.
L'effet ne «e fait pas attendre : les barrières
tombent sur cette terre qui se dilate; les cloi-
sons éclatent sous la pression formidable de
cette marée nouvelle qui renverse et nivelle
tout. Il en résulte, pour toute la terre, ce qui
Essor ou déclin de l*Ëglise lo
s'était vu, en petit, à l'apogée de Rome, pour
le monde méditerranéen : l'ébauche d'une
civilisation commune. Mais tandis que celle-
ci se limitait à la langue, au droit et au com-
merce, la nôtre tend à instaurer un genre de vie
identique, un type d'homme uniforme : un
" humanisme " mondial.
On se tromperait grandement à ne voir dans
ce type nouveau qu'une image composite,
amalgame hétérogène, résultant par fusion
hâtive de " types " humains particuliers
rassemblés pour les besoins de la vie pratique.
L'homme moderne qui s'édifie paraît bien
procéder d'une unité organique et d'un prin-
cipe interne de vie. Et de même, la Cité qu'il
se prépare. Le trait le plus apparent de cet
humanisme nouveau, c'eSt son caractère tech-
nique. Né de la découverte et de la machine,
c'e§t à elles qu'il doit sa faâ:ure universelle,
c'eêt vers elles qu'il se tourne et sur elles qa'il
compte pour promouvoir l'ordre à venir.
Jour après jour, le savoir scientifique se substi-
tue à la culture classique. La curiosité change
d'objets. Elle délaisse l'idée pure pour l'aétion
efficace.
Cet effort humain n'e§t pas individuel. Désor-
Crise du monde : crise d'unité ii
mais, chaciin a besoin de tous. L'unité de tra-
vail, ce ri'egt plus l'artisan, c'eSt l'équipe. Des
connexions se nouent, qui dépassent les hori-
zons de la Province et de la Nation, pour
atteindre l'échelle humaine : humanisme com-
munautaire, civilisation universaliSte.
Ces seuls traits — parmi beaucoup d'autres
— montrent assez que le monde qui prend
corps — surtout depuis vingt ans — ne se
ramène pas à un quelconque " tournant de
l'histoire ". Ce n'eSt pas un séisme — brutal,
mais superficiel. — C'eSt une " crise " interne :
depuis qu'il existe, c'eSt la première fois que
le monde eSt " un ", et qu'il le sait. Cette prise
de conscience colleétive avec ses tâtonnements,
ses gaucheries, ses adhérences aux formes
passées, qu'est-ce d'autre que l'adolescence ?
La société — surtout occidentale — opère
une réforme de Structure, qui rompt la conti-
nuité des traditions, trouble le jeu des règles
établies, et remet en question les valeurs con-
sacrées. Le désarroi, le sentiment d'inadapta-
tion qui en résxiltent, en tous les domaines,
justifient le sentiment qui s'exprime si souvent
— d'un mot ambigu : " le monde eSt en révo-
lution ".
Première partie
Qui fera V unité
du monde ?
Et c'eêt alors que se pose la que^on capi-
tale.
A cette civilisation commune qui s'établit
partout, d'elle-même, dans ce monde jusqu'ici
compartimenté, à cette unité subite qui s'eSt
faite, plus vite que notre pensée; à cet huma-
nisme planétaire auquel nous n'étions pas
préparés, qui va fournir une âme ? Qui va
faire la synthèse du nouvel univers ? Qui en
sera le Principe et l'Inspiration ?
I. LA RÉPONSE DES
INCROYANTS
Ce n'e§t pas l'Église, affirment les incroyants.
Et pour une raison très simple : c'e§t que
l'Église va mourir.
i6
DÉCLIN DE l'Église.
Ils sont assez visibles, disent-ils, les signes
de son agonie ! Prend-on le plan des effeétifs ?
Le genre humain s'accroît; l'ÉgUse décroît.
Toujours minoritaire, elle comptait, du moins
jusqu'ici, des sociétés massives de fidèles.
Aujourd'hui, ce qu'elle nomme elle-même
" l'apostasie des masses " accuse sa faillite.
Par mille fissures, elle s'effrite et voit l'un après
l'autre des peuples entiers se détacher d'elle.
Sa décadence, insi§te-t-on, e§t encore plus sen-
sible dans le domaine de son influence, de son
prestige et de ses amitiés. Jadis maîtresse de
la culture, dont sa théologie lui conférait le
monopole, ou du Pouvoir qu'elle s'assurait
en entretenant l'ignorance des foules, elle
n'est plus, maintenant, que l'ombre d'elle-
même. Divisée en fraétions rivales, décriée par
ses propres fils, elle paye à leurs yeux le prix
de son infidélité à ses origines, et, aux yeux
du monde, la rançon d'un archaïsme congé-
nital. Elle n'a plus l'audience des hommes.
Finalement, demande-t-on, que lui reSte-t-il ?
Ce qu'elle a toujours soutenu : une " classe "
naguère " dirigeante ", une Économie Ubérale
Qui fera V unité du monde? 17
avec qui elle s'identifiait. Liée au régime capi-
taUéte, elle sombte avec lui. L'Église dispataît
avec le monde qui meurt.
SA MALFAISANCE.
Absente, il ne faut donc pas compter sur elle.
Mais, c'est surtout si elle était vivante, qu'il
faudrait l'écarter. Car elle e§t le premier ennemi.
La raison de sa malfaisance ? C'e^ que ses fins
sont contraires à l'homme; plus encore, au
moderne humanisme. Entre elle et lui, c'eSt
le divorce. Les deux syélèmes ne sont pas seu-
lement différents : ils s'opposent.
Et d'abord, sur la conception de l'imivers.
Que nous en apprend la Science, en effet ?
EUe nous montre son unité, dans l'espace et
dans la durée. Une continuité dynamique,
partant de la matière, explique l'homme et la
société. Ce devenir n'e§t pas quelconque : c'eSt
un enchaînement " dialeétique ", une évolu-
tion fatale et montante qui, par le progrès
constant de la Technique, aboutira à l'éman-
cipation de l'homme à l'égard des mythes et
des servitudes et lui permettra au sein d'une
B^ssor ou déclin de l'Église i8
humanité communautaire de " posséder la
terre " à laquelle il a droit. Morale optimiste
qui croit au bonheur et, non contente de le
chercher, en écrit, ligne par ligne, la " Somme " :
en étudiant méthodiquement ses conditions
biologiques, psychologiques et sociologiques.
Face à ces perspectives créatrices, que pro-
poserait l'Église ? Un univers Statique et
" théiste ", une philosophie dépendante et
figée en d'impossibles dogmes, une morale
négative et a priori où l'esprit de caSte voisi-
nerait avec la défiance jalouse à l'égard d'une
science si prompte à détrôner Dieu. Quant à
la personne humaine, affirme-t-on, l'ère chré-
tienne en a façonné un modèle sans force ni
beauté. Le Christianisme a déviriHsé l'homme^.
En l'invitant à l'évasion dans l'au-delà, il le
détacherait des tâches terrestres, et le détour-
nerait d'un engagement fraternel dans la Cité
qu'il habite. Faible dans la lutte, inefficace
dans l'aâion, timide vis-à-vis de l'aventure,
du fait de son éducation bourgeoise ou refoulée,
le chrétien ne serait pas un '* compagnon ";
I. Il faudrait citer ici tout le courant néo-païen issu de
Nietzsche, Hegel, Marx, etc. Cette doétrine fait le fonds
de toute la littérature antichrétienne d'aujourd'hui.
Qui fera V unité du monde d 19
on ne peut compter siir lui pour conquétir la
terre.
Avec un tel programme, comment l'Église
ne serait-elle pas une étrangère dans une huma-
nité qui croit en soi-même et qui se livre dans
l'enthousiasme à l'élaboration d'un avenir: à
la fois plus réel et plus beau ? Rien d'étonnant
si cette conquête s'opère sans eUe, et même
contre elle, dans la mesure où elle s'oppose
à son succès. Non, pour construite le nouveau
monde, l'homme moderne n'attend rien de
l'Église : il refuse, il récuse ce témoin d'un
temps révolu.
II. LA POSITION DES
CATHOLIQUES
C'est alors qu'interviennent les croyants.
Eux aussi se sont posé la question. Et leur
réponse e§t claice : non, l'Église n'eSt pas morte.
Non, le monde ne se fera pas sans elle. Mais
à certaines conditions.
Et ici, les hypothèses sont divergentes, pour
ne pas dire contradiâoires. On peut en effet.
Essor ou déclin de l'Église 20
semble-t-il, ramener les positions aéhielles des
catholiques — et les critiques nombreuses
auxquelles ils se livrent depuis quelques
années^ — à deux attitudes essentielles.
RUPTURE...
La première e§t celle du " maintien ". Leur
argumentation prend le contre-pied de leurs
objeâreurs. A l'athéisme d'agression ils répon-
dent par im dogmatisme de défense. Ce n'eél
pas l'ÉgHse qui est agonisante, ou en défaut :
c'e§t le monde moderne. — Ou plutôt, le monde
tout court, — car il n'e^ " moderne " qu'à
nos yeux. Les problèmes auxquels il se réfère
pour justifier son divorce avec l'Église n'ont
rien d'original. Ils sont réduâiibles à toutes
les crises passées. " Rien de nouveau sous le
soleil. " Les problèmes restent : il n'y a que
les noms qui changent. Ce n'eSt pas l'ÉgUse
qui retarde. C'e^fc l'homme qui pèche ou dérai-
sonne. Comme tous les systèmes, celui-ci
vieilUra. Laissons donc passer l'orage. La vérité
finit toujours par triompher. L'Église a connu
I. En France, du moins.
Qui fera V unité du mondée 21
d'autres crises : elle n'a pas peur de celle-là.
Le grand danger que court aujourd'hui
rÉgUse, c'e§t de vouloir s'adapter; qu'elle
résiste à cette perpétuelle tentation ! Ce n'eSt
pas à eUe d'accommoder son message, mais
aux civilisations de se l'assimiler. Qu'elle ren-
force donc son intransigeance I Qu'elle n'écoute
pas les appels trompeurs que l'Esprit mauvais
murmurait déjà à l'oreille du Sauveur ! Au-
jourd'hui, tout l'invite à oubHer sa mission
essentielle, qui e§t de donner aux hommes,
sans concessions, les " paroles qui ne passent
pas ". Si elle renonce à ce monopole, pour
de problématiques accroissements, c'en eSt
fait d'elle. Car l'ÉgHse n'eSt pas de ce monde.
Elle eSt le royaume de Dieu; bien loin de
s'essayer à l'impossible tâche de combler le
fossé qui la sépare de la terre, elle doit, sans
se lasser, rester en dehors et au-dessus des
fluâuations successives. La seule attitude de
rÉgUse, c'est la Rupture.
Sur le plan de la doctrine, cela se traduira
par \in retour intégral aux formes tradition-
nelles, référence aux textes officiels qui garan-
tissent la reétitude et renforcent l'apologie.
Surtout pas d'accommodations : elles con-
Essor ou déclin de l* Église zz
duisent à tous les abandons. La " vérité '%
dans sa dureté, sans gauchissements I
Dans l'aâion, les catholiques se souvien-
dront que les compromis n'engendrent ni
estime, ni avantages. Qu'ils se gardent donc
des coopérations prématurées. Leur force,
ce sera leur union. La seule affirmation de leur
Credo et de leur appartenance au Peuple de
Dieu vaudra mieux que de téméraires avances.
L'Église ne sortira de la crise qu'en refusant
de s'inâtaUer dans les institutions. EUe a moins
peur de Néron que de Constantin.
...ou ADAPTATION?
Ceux qui reprochent à l'Église son manque
d'efficacité temporelle, la convient à une
réforme diamétralement opposée. L'Église
— - en Occident — n'a pas évolué avec la société
civile. Elle eSt restée figée dans les formes féo-
dales qui lui avaient jadis réussi. De nos jours,
au lieu d'être mêlée à la société, comme elle
l'était au moyen âge, où paroisse et commune
avaient même mesure et même vie, l'Église
eSt '' absente '* de la cité. Elle plane au-dessus
Qui fera V unité du monde ? 23
de rhumanité au lieu de s'incarner dans sa
chair et son sang. Dans son message elle a tout
ce qu'il faut — et au-delà — pour animer les
Structures présentes, et dresser les plans du
futur : mais elle ne s'en sert pas. Elle laisse
des étrangers, ou des adversaires, prendre les
initiatives décisives, en matière de doéfcrine,
de culture, ou d'aâdon. Quand elle agit, ou
quand elle parle, il e§t souvent trop tard. Qu'il
s'agisse de la recherche scientifique, des lois
sociales, ou de l'humanisme, les novateurs
sont rarement de chez elle. Ce n'eSt pas de cette
manière qu'elle gagnera le monde au Christ.
Il e§t encore temps pour l'Église de tenir sa
place — et même la première — dans l'élabo-
ration de l'avenir ; mais à une condition : c'eSl
de s'incarner : " Dieu s'eél fait homme pour
que l'homme se fasse Dieu. " Alors — mais
alors seulement — l'Église reprendra vie.
Pour l'immense majorité des partisans de
l'adaptation, cette insertion dans la civilisation
contemporaine entend formellement respecter
le contenu intégral de la Foi. Ils ne ménagent
pas leurs critiques à l'ÉgHse et à la hiérarchie,
et les suggérons qu'ils lui adressent portent sur
de nombreux cantons. De leur expérience
Essor ou déclin de r Église 24
quotidienne au contaét de niasses déchristia-
nisées, beaucoup d'apôtres, prêtres ou laïcs,
ont conclu à la nécessité de modifications
— ordinairement secondaires, mais pressantes
— pour une évangélisation efficace. Ils sou-
haitent qu'un enseignement religieux concret
et adapté remplace une prédication et une
catéchèse trop coupées de l'Évangile. A la
théologie, qui n'eêt pas close comme la Révé-
lation, ils demandent — sans rien sacrifier —
un effort de synthèse et de réalisme, mettant
au centre et à la portée de la spiritualité de ce
siècle les dogmes majeurs du Christianisme.
Ils font remarquer que le culte et la liturgie
sont souvent incompréhensibles. Pour cette
raison, la foule et souvent l'élite des chrétiens
n'ont pas accès à la grande prière communau-
taire. Ils pratiquent — quand ils le font —
une religion formaliste sans rapports avec le
reste de leur vie. L'Église ne viendra-t-elle pas
à leur aide, en leur facilitant la réception des
sacrements et l'intelligence des rites sacrés ?
Ils font observer que l'indépendance des laïcs
eSi- souvent plus verbale que réelle. Conscients
que le lai'cat a atteint sa majorité, ils reven-
diquent pour lui des responsabilités plus éten-
Qui fera l'unité du monde? 25
dues. Il n'eêl pas jusqu'aux questions finaneières,
en particuliejt pour les adfces du culte, qui ne
soient pour eux l'occasion d'un vœu de réforme.
De ces appels — et de beaucoup d'autres
— qui ne sauraient ici trouver place — il eSt
évident qu'ils traduisent toujours la même
requête : que l'ÉgHse s'adapte au monde
moderne, si eUe veut le reconquérir.
Se raidir pour tout sauvegarder ? ou s'in-
corporer pour tout conquérir ? Tels sont les
deux pôles de l'opinion catholique — du moins
dans notre pays.
l'incertitude des catholiques.
A qui faut-il donner raison?
La réponse eét de grande importance. Elle
commande l'attitude pratique de la majorité
des catholiques. Car ceux-ci n'ont pas pris
parti. A la fois attirés par ces valeurs nouvelles,
et troublés, en défiance, devant tant de dévia-
tions, ils regardent et ils attendent. Certains,
par timidité -ou quiétude. D'autres, — tota-
lement sincères — parce qu'ils ne savent com-
ment sortir du dilemme qui, au plan colleétif.
Essor ou déclin de l'Église 26
a constitué ces deux groupes, et qui, au plan
personnel, écattèle crueUement leur âme. Car
ils appartiennent à deux mondes, et ils le savent.
Loyaux à l'un et à l'autre, ils se gardent d'au-
cune exclusive : citoyens de la terre, ils se
sentent solidaires et responsables de son destin;
fils de Dieu, ils connaissent leur mystérieuse
incorporation à son Église et leur transcen-
dante vocation. Pour ne pas trahir, ils renoncent
à choisir et à s'engager.
Mais, en attendant, ils perçoivent le malaise
et ils en souffrent. La crise du monde, ils voient
bien qu'elle retentit fatalement sur l'Église,
qui y plonge ses racines. Ils n'ont pas peur
pour elle, et son triomphe final. Mais ils se
demandent comment elle pourra sortir du
présent et par quelle voie ils pourront l'y aider.
Sur eux — et à leur insu — s'exerce l'influence,
et peut-être l'attrait, de cette mystique pro-
gressiste qui séduit leurs contemporains. Alors,
quand ils voient leur Église divisée, tiraillée
par ses fils, entre le refus et la participation,
agitée de remous, partagée entre l'immuable
et l'actuel, son malaise devient personnellement
le leur et, pour fuir le vertige, ils s'enferment
dans la prière ou le " divertissement ".
Qui fera rmitê du monde ? 27
Se raidir, s'adapter, attendre. A qui faut-il
donner raison, et quel e§t le sens de cette crise ?
Que signifient ces initiatives et ces inquiétudes ?
Une agonie ou une croissance ? Automne ou
printemps de l'Église ?
A cette question qui tourmente tant de
consciences catholiques, à cette accusation
de nos adversaires. Nous avons considéré que
c'était Notre premier devoir de répondre.
Père et Pa§teur de vos âmes. Nous entendons
tous les jours l'appel qui monte, de tous les
horizons, vers ce carrefour qu'est Paris. De
Province ou de l'Étranger, des cénacles ou
des ateliers, lettres, revues, congrès, entretiens
familiers posent la même question, réclament
un même arbitrage. C'eét la raison pour laquelle
Nous avons choisi, cette année, pour Notre
Lettre Pastorale, ce sujet d'une telle a£hialité.
Notre réponse ne prétend pas tout résoudre.
De cette crise. Nous dirons seulement qu'en
tant qu'elle témoigne d'une division des catho-
liques, elle e§l un mal, et doit cesser. En se
prolongeant, les excommunications réciproques
entre frères de Jésus-ChriSt constitueraient un
scandale, et un obstacle à la marche en avant.
Dans la mesure, au contraire, où ces engage-
Essor ou déclin de l'Eglise 28
ments symétriques témoignent d'un amour
passionné de l'Église, ils sont une preuve de
sa vitalité, le signe d'une crise de croissance.
Ce pullulement d'idées et d'entreprises e§t
autrement rassurant qu'une satisfaéHon sta-
gnante. Nous voudrions à la fois calmer l'an-
goisse que Nous discernons, chez trop de
catholiques, en face des temps qui viennent;
et troubler la sécurité trompeuse où s'enlisent
un trop grand nombre de nos fidèles. Aux uns
et aux autres. Nous voudrions montrer que
l'unique explication de la crise présente et
l'unique critère de certitude et d'aétion pour
le chrétien d'aujourd'hui, résident dans la
nature profonde de l'ÉgUse, telle que son
dogme et son histoire nous la révèlent.
Bien loin de faire conclure à son déclin,
tout fait présager son essor l Nous dirons
seulement — et ce seront nos consignes d'aélion
— quelles sont, pour le présent, les condi-
tions de ce Printemps.
Seconde partie
L.e mystère de VEglise
Il eêt impossible de porter un jugement sur
l'Église dans le monde moderne sans se référer
à sa nature profonde, telle qu'elle ressort de
sa Théologie et de son Histoire..
I. h.a théologie de
PEglise
L'Église fait partie d'un ensemble. Elle
prend place " dans l'économie du salut ".
Quel eSl le dessein de Dieu ? C'e§t de commu-
niquer sa vie divine au monde. En fait, le
moyen choisi fut l'incarnation de son Fils :
" Le Verbe s'eSt fait chair et II a habité parmi
nous ^. " " Les grâces de salut, le Chriél
aurait pu les communiquer lui-même direéte-
ment à tout le genre humain. Toutefois, il ne
voulut le faire que par l'intermédiaire d'une
Église visible qui grouperait les hommes. Et
cela, pour leur permettre d'être, par elle, ses
coopérateurs dans la diêlribution des fruits
de la Rédemption 2. "
ÉPOUSE ET CORPS DU CHRIST.
Ainsi, sa médiation ne prend pas fin à l'As-
cension : " Le Christ ressuscité ne meurt plus ^. "
I. Jean, I, 14. — 2. JH)//?/» Corj&om, Éd. Comprendre
p. 9. — j. Rom., VI, 9.
Essor ou déclin de V église 36
Il va se continuer sur la terre par son Église.
Celle-ci n'eél donc pas une société comme les
autres. C'eêt une réalité mystérieuse. C'e§t du
cœur de Jésus percé par la lance qu'elle a pris
naissance, comme " une nouvelle JEve issue
des flancs du nouvel Adam ^ ". L'Église e§t
l'épouse du Christ. Cette " nouvelle Jérusalem,
vêtue comme une mariée parée pour son
époux 2 '\ lui e§t unie au point de ne faire
qu'un avec lui, de devenir son propre corps ^.
" Le Christ tout entier, c'eSt la tête et le corps ;
le corps, c'est son Église; c'eSt l'époux et
l'épouse : deux en une seule chair *. " C'eSt
le Christ qui anime son corps en lui commu-
niquant mystérieusement son Esprit qui en
eSt l'âme ^.
Ainsi, la société fondée sur les routes de
Palestine, sur la Croix et à la Pentecôte, par
le Christ historique, et centrée sur Pierre ®,
n'eSt pas une somme d'individus artificielle-
ment rassemblés : c'eSt une réalité organique ;
c'est le Corps mystique du Christ,
I. Gen., II, 21-23. — ^' Apocaljrpse, xxi, 2. — 3. Co-
loss., I, 18. Ephes., I, 22. — 4. St Augustin, Contr.
Donat., ÉpiSt., CPA 4, n® 7. — 5. MyStici Corporis,
p. 31. — 6. Matth., XVI, i8.
37
" l'église, c'est le christ. "
Épouse et corps, on peut même dire que
l'Église, c'est le Christ. L'Encyclique MyHic^
Corpork le fait remarquer ^ : " Saint Paul
appelle l'Église " le Chriét ", sans rien ajouter
de plus 2. Bien plus, si nous en croyons Gré-
goire de Nysse, assez souvent l'Église eSt
appelée " Christ " par l'Apôtre ^ et vous
n'ignorez pas le mot de saint Augustin : " Le
Christ prêche le Christ *. " Bossuet a repris cette
idée : " L'Église, dit-il «, c'eSt Jésus-ChriSt,
répandu et communiqué, c'eSt Jésus-ChriSt
tout entier, c'eSt Jésus-ChriSt homme parfait,
Jésus-Christ dans sa plénitude. "
Ce n'eSt pas sans raison que le Sauveur a
voulu ce renouvellement visible de lui-même
dans le temps : " Si le Fils du Très-Haut, écrit
Mœhler, était descendu dans le cœur de l'homme
sans prendre... une forme corporelle, on con-
cevrait qu'il eût fondé une Église invisible,
purement intérieure. Mais, " le Verbe s 'étant
fait chair ® "... pour regagner l'homme au
I. P. 29. — 2. I Cor., XII, 12. — 3. Grégoire de
Nysse, de Vita Mqysis, Mign., P. G. xliv, 385. —
4« Serm. cccliv i, Mign., P. L. xxxxix, 1563. —
5. Lettre 28. — 6. Jean, i, 14.
Essor ou déclin de l* Église 38
Royaume des cieux, voulut souffrir et agir
comme l'homme ". Et le grand théologien
ose ajouter : " Considérée de ce point de vue,
l'Église e§t donc Jësus-Chri§t se renouvelant
sans cesse, reparaissant continuellement sous
une forme humaine : c'eB F incarnation perma-
nente du Fils de Dieu ^. "
LES DEUX ASPECTS.
S'il en eét ainsi, il eSt naturel que l'on retrouve
étroitement mêlés deux aspeéts dans l'Église :
" De même qu'en Jésus-Chri§t la divinité et
l'humanité, bien que di§tinâ:es entre elles, n'en
sont pas moins unies, de même, dans son Église
le Sauveur e§i continué selon tout ce qu'il eii. L'É-
glise, sa manifestation permanente, e§t divine
I . Moehler, ILa Symbolique, tf aduc. Lâchât, II.
" L'Église, dit luippert, apparaît ainsi non seulement
comme une institution fondée par Jésus-Christ dans
le passé, mais encore comme une réalité qui, à chaque
instant de la durée, ne cesse de jaiUir du Chri§l comme
un immense fleuve qm, sorti des profondeurs invisibles
de Tâme, se répand dans le monde visible de Torgani-
sation, telle la pulsation — rythmant le mouvement de
l'histoire universeUe — d*\in cœur éternellement
vivant. " {UÊglise du Christ, p. 298, sq.)
Le myftère de l'Église 39
et humaine tout à la fois; elle e§t l'unité de ces
deux attributs. C'e§t le médiateur qui, caché
sous des formes humaines, continue d'agir
en elle : elle a donc nécessairement un côté
divin et un côté humain ^. "
I. L'ÉGLISE " CORPS MYSTIQUE "
DU CHRIST : ASPECT
TRANSCENDANT
Par le premier aspeét, l'Église e§t absolument
transcendante à toutes les sociétés humaines ^.
" Dieu a fait de l'Église la plus excellente, à
beaucoup près, de toutes les sociétés; car les
fins qu'elle produit l'emportent en noblesse
sur les fins que produisent les autres sociétés,
autant que la grâce divine l'emporte sur la
nature et que les biens immortels sont supé-
1. Moehler, 0. c, p. 313-315.
2. La Tradition insiste sur cette réalité de l'ÉgUse
irréductible aux autres groupements humains : " Le
pouvoir de l'Église, dit saint Jean ChrysoStome, dépasse
autant en valeur le pouvoir civil que le ciel dépasse la
terre; ou plutôt, il le dépasse encore beaucoup plus "
{in II Cor. Hom. XV, 4-5, P. G. lxi, 507).
Essor ou déclin de l' Eglise 40
rieuts aux choses périssables. Par son origine,
l'Église e§t donc une société divine; par sa
fin et par les moyens immédiats qui y con-
duisent, elle e§l surnaturelle... ^. "
On le voit, il ne s'agit pas seulement d'une
préséance, mais d'une transcendance de nature.
" Mystique " ne signifie pas " moins réel ".
L'Église n'est pas une " entité " comparable
à une simple " Personne morale " ou juridique.
L'unité qui relie les fidèles à Dieu et entre eux
dans le ChriSt et l'Esprit-Saint, eSt une unité
" ontologique ^ ".
Ainsi, envisagée dans sa réalité substantielle,
l'Église est définitive et parfaite. EUe eSt tota-
lement sainte, totalement " achevée ". Prolon-
1. Léon Xin, Satk Cognitutn, Actes, t. V, p. 3, Éd.
Bonne Presse.
2. I Cor., XII, 27. La Tradition insiste sur cet aspe£l.
Par son principe, l*unité du ** Corps Mystique " l'emporte
sans mesure sur tous les liens d'unité qui font la cohé-
sion d'un corps physique ou social. {MySiici Corporhy
p. 35.) Ce principe, incréé, c'eSt l'Esprit de Dieu qui,
selon saint Thomas, ** un et unique, remplit toute
l'Église et en fait l'unité ". (De Veritate, Q. 29, a 4 c.)
" Le sommet de la perfection de l'Église, comme le
fondement de sa conStruâion, constate Qément
d'Alexandrie, consiste dans l'unité : c'eSt par là qu'elle
surpasse tout au monde, et qu'elle ne trouve rien d'égal
nj de semblable à elle-même. " (Stromat. VII, 17).
Le myHere de l'E.glke 41
gement immortel du Sauveur dans le temps,
elle conserve l'essentiel de sa resurredlion :
" Voici que je suis avec vous jusqu'à la fin des
siècles ^. " En elle demeure, absolument intaâ:
et immuable, le dépôt sacré de la Révélation
que la Tradition transmet de siècle en siècle.
Elle e§t vraiment la Loi nouvelle dont pas un
iota ne sera abrogé, le Message dont " les
paroles ne passeront point ^ ". L'ÉgUse e§l
un roc et une " norme " qxii échappe aux chan-
gements. Aucune attaque ne l'entame, aucune
invitation ne la corrompt. Sous cet angle elle
n'ajoute rien au Christ : elle ne fait que le
rendre visible dans sa " réalité " infinie.
n. L'ÉGLISE " CORPS " DU
CHRIST : ASPECT
TEMPOREL
Mais il ne faudrait pas que cette réalité
sublime en fît oublier une autre. C'e§t que
l'Église eét aussi dans le temps, dans la durée,
I. Matth., xxvni, 20. — 2. Matth., xxrv, 35.
Essor ou déclin de l'Rglùe 42
" inter mundanas varietates ^ ". Car l'Église
eél un cofps : " C'eSt parce qu'elle eét un corps,
écrit Léon XIII, que l'Église e§l visible à nos
regards ^ "; et donc, insiste Pie XII, " c'e§t
s'éloigner de la vérité divine que d'imaginer
une Église qu'on ne pourrait ni voir ni toucher,
qui ne serait que spirituelle ® ".
Gouvernée invisiblement par son fondateur
et animée par son Esprit-Saint, l'Église e§t
aussi une société visible et hiérarchique où le
Pape et les Évêques exercent une autorité
indispensable à l'orthodoxie de la foi comme
à la discipline des fidèles.
CONTINGENTE.
Parce qu'elle eSt le corps du Christ, son
incarnation dans l'histoire et dans la géogra-
phie de la terre, l'Église eSî d'abord contin-
gente. Elle est d'un temps et d'un lieu donnés :
pourquoi ici plutôt que là ? Pourquoi eSt-elle
née en Palestine plutôt qu'en Chine ? Pourquoi
sous le règne de Tibère ? L'Église se trouve
I. Oraison du 4® dimanche après Pâques. — 2. Satù
Cogttitum, AS S xxviii, 710. — 3. MyStîci Corports, 10.
Le myBere de VEglise 43
être ainsij mais aurait pu être autre : la bataille
de Poitiers a décidé pour longtemps de son
extension et de son deStin : mystère des condi-
tionnements humains et de Taftion de la Pro-
vidence ! Si tel saint n'avait pas exiélé, si tel
ordre religieux n'avait pas été fondé, si tel
continent n'avait pas été exploré, l'Église
n'aurait ni les mêmes formes, ni la même exten-
sion : elle ne serait pas ce qu'elle eSt aujourd'hui.
Communauté hiêlorique, héritière du peuple
de Dieu qui en était la préfiguration, elle e§l
soumise aux vicissitudes des siècles et aux lois
des sociétés humaines. Elle assume les hommes
tels qu'ils sont avec leurs hérédités, leurs lan-
gages et leurs coutumes.
CROISSANTE.
Parce qu'elle e§t un corps également, l'ÉgUse
ne reêle pas §lationnaire : elle se développe,
elle change, elle grandit. C'e§t à elle que s'ap-
plique, à la lettre, la parabole du grain de sénevé :
" C'est la plus petite de toutes les semences;
mais lorsqu'il a poussé, il devient un arbre où
viennent s'abriter les oiseavix du ciel ^. "
1. Matth., XIII, 31-32.
Essor ou déclin de V Église 44
Elle eêt aussi " l'édifice bien ordonné qui
s'élève, en Jésus-ChtiSt, pouf former un temple
saint dans le Seigneur ^ ". Quelques traits
définissent cette croissance.
Elle e§t d'abord " catholique " : c'eSt-à-dire
qu'elle s'étend universellement. On souligne
souvent l'a^e^ géographique et ethnologique
de cette extension de l'Église. Et avec raison :
cette pénétration au cœur des contrées et des
diversités sociologiques de la planète eSt un
fait sans précédent. " Dans le cours de son
pèlerinage sur la terre, note saint Augustin,
cette cité céleéle fait appel à toutes les nations
pour y trouver des citoyens. Elle ne se met pas
en peine de tout ce qui peut être différent dans
les mœurs, dans les lois, et dans les diverses
institutions ^. " Mais l'Église a fait preuve
également de ce que l'on pourrait appeler une
catholicité verticale : elle s'eSl incarnée dans la
durée, aussi bien que dans l'étendue. Elle a
traversé — et revêtu — toutes les civilisations
successives de l'Hiêtoire. Elle s'eêt accommodée
du temps aussi bien que de l'espace. Chaque
âge lui a prêté sa " Stature " et son " visage ".
I. Ephésiens, 11, 21-22. — 2. Cité de Dieu, Livre
XIX, ch. xvn.
45
X) UNE CROISSANCE ORGANIQUE.
Ces incarnations successives ne brisent pas
la continuité de l'Église; elles ne sont que les
divers " moments " de son " devenir " humain.
Celui-ci n'e§t pas uniquement, ni principale-
ment quantitatif — par l'annexion de nou-
veaux membres. C'eSt un développement
" organique ". Il a donc un sens. Ce- sens, on
ne peut pas le déduire a priori de son existence
présente, en indiquant exaélement à l'avance
dans quelle direftion " temporelle " l'Église
s'achemine ^. La vie a toujours quelque chose
d'imprévisible. Mais, par contre, on en connaît
le terme, — auquel cette croissance se réfère,
et qui la définit : l'ÉgHse tend à 1' " achè-
vement " du Christ. A la limite, elle en sera
le " plérôme ".
Dans cette perspeéHve, on voit d'abord que
les " aétualités " successives de l'Église, bien
loin de l'appauvrir, la font croître. Les civili-
I. " Comme le Christ eSl un être vivant, l'Église
est un organisme vivant qui se développe sous la poussée
de son élan vital, qui n'attend pas pour vivre que les
théoriciens l'aient définie et aient déterminé les condi-
tions dans lesquelles ils lui permettent de vivre. "
(J. Leclercq, I^a Vie du ChriH dans sou ÉglUe^ p. 77.)
Essor ou déclin de F Église 46
sations, en se succédant, n'épuisent pas plus
l'Église, que les individus, en se multipliant,
n'épuisent l'espèce. Chacune des sociétés et
des fotmes sociales où elle s'incarne concourent
au contraire à " compléter " le Chriât. Le corps
a besoin de la Tête ^, mais la Tête a besoin
du corps. " Il faut maintenir, bien que cela
paraisse étonnant, que le Christ requiert le
secours de ses membres... Il veut recevoir leur
aide pour accomplir l'œuvre de la Rédemp-
tion 2. " Conclusion d'importance pour
comprendre les relations de l'Église et du
monde — et donc situer l'engagement des
chrétiens : le monde a besoin de l'Église, pour
sa vie; l'Église a besoin du monde pour sa
croissance et son achèvement ^.
I . Jean, xv, 5 ; Ephes., iv, 1 6. — 2. Myfiici Corporis, p. 24.
3. ** Nabuchodonosor vit une petite piètre — c'était
le Christ — qui, détachée de la montagne sans l'adion
d'une mata d'homme, grandit jusqu'à devenir une
grande montagne et à remplir toute la terre (Dan., 11,
34-35). Détachée de la montagne, cette pierre grandit,
jusqu'à devenir montagne, parce que ce corps, qui n'avait
pris qu'un élément infime de la masse du genre humain,
grâce au nombre des fidèles advenant de toute part, se
dilate dans des proportions immenses, et ne cesse de
croître jusqu'à la fin du siècle, jusqu'à ce qu'il remplisse
toute la terre. " (Adelmann de Brescia, Éd. R. Heurte-
vent, p. 300.)
47
jusqu'à " LA PAROUSIE ".
Mais si TÉglise e§t le " plérôme " du Chriët,
on comprend qu'elle se veuille, sans cesse,
plus grande et plus parfaite. EUe se sent appelée
à grandir au cours des âges, à la mesure de
l'humanité, dans toute la diversité concrète
de ses individus, de ses idées, de ses formes
de culture. L'Église n'e§t pas catholique seu-
lement de fait, mais d'intention. Sa " fin ",
c'est la Parousie, c'eSt-à-dire le triomphe escha-
tologique du Christ, " alpha et oméga ". C'eSt
pour l\ii faire — et lui être — un corps achevé,
" à l'état d'homme fait, à la mesure de la Stature
parfaite du ChriSl ^ ", qu'elle veut tout péné-
trer et tout assumer, du monde, " hormis le
péché 2 ". " Pendant tout le temps qui va de
l'avènement du Christ jusqu'à son retour,
l'Église se construit, sous l'influence de la
grâce septiforme de l'Esprit, jusqu'à ce que,
à la fin des temps, elle soit achevée ^. " Elle
n'a de cesse qu'elle n'ait accompli son unique
mission qui eSt de faire *' régner Dieu sur la
tetre " : en récapitulant dans son Fils toute
I. Ephes., rv, 13. — 2. Hébr., iv, 15. — 3. Raoul
de St-Germer, I» JLevit.y i, 17.
Essor ou déclin de l'Êglm 48
la création rachetée par son sang. La doârine
du Corps mystique du Chriâl se complète par
celle du Chri§t-Roi ^.
PASSIBLE ET SOUFFRANTE.
Terme sublime 1 mais que l'Église n'attein-
dra pas en un jour.
Incarnée comme le Chri§l, elle e§l passible
comme Lui : elle connaît tour à tour la viâioire
et la persécution. Elle " répète " ses mystères,
joyeux, glorieux et douloureux, Thabor et
I. ** Le fondement sur lequel reposent cette dignité
et cette puissance de Notre-Seigneur, écrit Pie XI, saint
Cyrille d'Alexandrie le désigne exaftement : " Il possède,
en un mot, la puissance sur toutes les créatures, non pour
l'avoir prise par violence ou par un autre moyen, mais
par essence et par nature " (In luuc, x). ... Ainsi, au seul
titre de l'union hypoStatique, le Christ a puissance sur
toutes les créatures. " Et le Pape cite Léon XIII : ** Son
empire ne s'étend pas seulement aux nations catholiques...
il embrasse aussi tout ce qu'il existe d'hommes n'ayant
pas la foi chrétienne, de sorte qu'en toute vérité l'univer-
salité du genre humain e§t soumise à la puissance de
Jésus-Christ. " (Léon XIII, yinnum Sacrum, 25 mai 1899.)
Mais il y a plus : " U ne faut pas distinguer entre les
individus et les sociétés, domestiques et civiles, puisque
les hommes réunis en société ne sont pas moins sous la
puissance du Christ que les particuliers. " (Pie XI,
Encycl. Quas primas, sur la Royauté du ChriSl, p. 8.)
L.e my Hère de l'Église 49
Calvaire. Comment s'étonner qu'elle soit sans
cesse combattue, souvent humiliée, toujours
souffrante par quelque endroit, quand on
songe que son devenir terrestre renouvelle la
vie souffrante du Rédempteur. " Le serviteur
n'eSt pas au-dessus du Maître ^. " On peut
dire d'elle ce que Pascal disait du Chriét :
" L'Église eSl en agonie jusqu'à la fin des siè-
cles. " Composée d'hommes, elle comptera
donc des pécheurs et des tièdes, des fidèles et
des apostats, des schismes et des hérésies.
Durant son pèlerinage sur la terre, l'Église
est in via — en route vers la Jérusalem céleSte.
Et ce chemin e§t souvent un chemin de Croix.
C'est une marche rude, qui ne se fait pas sans
meurtrissures, ni cicatrices. Son visage humain,
à l'image de son Maître, e§t souvent baigné
de sueur et de sang. Comme la Sainte Face,
également, il e§t parfois couvert de souillures.
A certaines époques de l'Église s'applique ce
qu'Isaïe prophétisait de la Passion du Christ :
" Il s'élèvera devant le Seigneur comme un
arbrisseau... qui sort d'une terre aride; il eSt
sans beauté et sans éclat; nous l'avons vu, et
il n'avait pas d'extérieur agréable, et nous
I. Matth., X, 24.
Essor ou déclin de l'Eglise 50
l'avons méconnu. Il nous a paru un objet de
mépris. Son visage était comme caché. Il
paraissait méprisable, et nous l'avons compté
pour rien ^. "
l'église, mystère de foi.
S'il en e§t ainsi de l'Église, comment s'éton-
ner qu'elle soit un " scandale " aux yeux des
hommes ? S'il c§t vrai que l'Église e§t, par
elle-même, une raison de croire valable pour
un esprit non prévenu, comment s'étonner
qu'on puisse ne pas reconnaître sa divinité
sous sa forme humaine, quand on se souvient
que les foules de Palestine n'ont pas reconnu
le Messie ^ dans le " Fils du Charpentier ^ "
ou sous les traits défigurés de la Viâime du
Calvaire ? Il faut avoir la foi du bon larron
pour percevoir pleinement la divinité de l'Église
à travers son visage du temps. Il faut l'esprit
de foi pour y reconnaître " l'Épouse sans
tache, sans ride, sainte et immaculée * ",
" parée pour son époux ^ "; pour comprendre
I. Isaïe, LUI, 2-3. — 2. Jean, i, 5, 10,. 11. —
5. Matth., xm, 55. — 4. Ephes., v, 27. — 5. Apoc,
XXI, 2.
Le mystère de l*É^ke 51
que, source intarissable de sainteté, elle e§t
aussi composée de tièdes et de pécheurs. Comme
le Christ, son Corps mystique e§t la " pierre
d'achoppement ^ " contre laquelle butent
les préventions et les impatiences humaines.
Comment pourraient-ils, ceux qui la jugent
du dehors, d'après les seules normes des socié-
tés de la terre, comprendre le mystère de cette
société " qui surpasse toutes les sociétés
humaines autant que la grâce surpasse la
nature a " ? Ils ont des yeux, et ils ne dis-
cernent pas. Comme les disciples d'Emmaûs
avec le Chriét ressuscité, les hommes cheminent
avec l'Église en marche, " et ils ne la recon-
naissent pas * ". Ils voient le corps : l'Église
visible, juridique, inSdtutioimelle; mais sa
réalité surnaturelle foncière, sa sainteté, son
être immuable et impérissable leur échappe.
Encore une fois, comment s'en étonner?
L'hommage de foi et d'amour que les contem-
porains du Messie lui ont refusé il y a deux
mille ans, pourquoi les contemporains de
l'Église, — qui Le perpétue et L'incarne, —
X. Matth., xxij 44. — 2. MyUm Corporis, p. 34. —
3. Luc, XXIV, t6.
Essor ou déclin de VBglhe 52
le Lui accordetaient-ils davantage ? L'Église,
ne l'oublions pas, eâl une vérité de foi : " Credo.,,
in unam^ sanBam, catbolicam et apoHolicam Eccle-
siam. " Il faut les lumiètes de la grâce pour
comprendre que,'* sous des apparences si iné-
gales, se cachent des réaHtés si transcendan-
tes ^ ". Quand il s'agit d'elle, il e§t requis de la
traiter avec le même respect pénétré d'amour
que l'Écriture Sainte, où s'exprime le Verbe,
et que les Saintes Espèces du Chri§t-Eucha-
riSlique. Ce n'eSt qu'à la clarté de la Foi que
jaillit, en présence de l'Église, le cri de l'apôtre,
hier incrédule : " Mon Seigneur et mon
Dieu 2 !" Ce qui avait d'abord rebuté la
raison devient signal d'adhésion *.
I. Hymne de la Fête-Dieu, Lauda Sion ; " Suh diversh
SpeciebuSi latent res exîmiae. " — 2. Jean, xx, 28.
3. " Pour ceux qui savent l'Église divine, cette infir-
mité même et cet effort sont le signe le plus incontestable,
le plus définitif de sa vérité. Quand le Fils de l*homme
parut sur la terre, eSt-ce que vraiment sa se\ale démarche,
la majesté de son aspeâ:... ont subjugué les fovdes ?
Nullement... L'Absolu se manifestant sous une forme
particulière et contingente; l'éternel enfermé dans le
temps; l'immuable cheminant sur les routes... et Dieu
bousculé par les hommes, c'eSt toute l'Incarnation, et le
" Verbum caro " n'a pas d'autres sens. *' (P. Charles, l^a
K.obe sans couture, p. 146-147.)
53
SES AUTOMNES ET SES PRINTEMPS.
La conclusion qui se dégage de cette nature
" théandrique " de l'Église eSt double.
La ptemiète, c'e§t que l'Église ne se réduit
pas à ce que l'on peut en voir du dehors, et
que même son visage du temps témoigne de
l'éternelle jeunesse de Celui qui a vaincu la
mort. Là où les observateurs du dehors dia-
gnostiquent une agonie, les croyants, sans
aucun risque d'erreur, discernent une renais-
sance. Si l'Église est l'arbre issu du grain de
sénevé, il e§t normal qu'elle traverse, comme
lui, la succession des saisons : des automnes
et des printemps i.
I. ** Il e§t ïrrai qu'il y a eu des époques où, sous Faction
de causes extérieures ou intérieures, l'Église a été jetée
dans ce qui ressemblait à un état de déliquescence; mais
ses étonnantes résurreftions, dans le temps même que
le monde triomphait d'elle, sont une preuve de plus de
l'absence de corruption dans le corps de doctrine et dans
le culte qui représentent son développement posté-
rieur. Si la corruption e§t un commencement de désorga-
nisation, un brusque et complet retour de vigueur,
succédant à une période d'aflFaiblissement, e§t même plus
invraisemblable qu'une corruption permanente. Or,
tel e§t le cas des résurreétions dont je parle. Après un
effort violent on e§t épuisé et on s'endort; on se réveille
le même qu'auparavant, reposé par la cessation tempo-
raire de toute aétivité; et tels sont les sommeils apparents
Essor ou déclin de l* Église 54
La seconde conclusion n'eSt pas moins claire:
refuser à TÉglise l'un de ces deux éléments,
c'e§t la détruire. On voit, dès lors, l'erreur
commune aux deux attitudes — pourtant con-
tradictoires — que constitueraient un conser-
vatisme et un progressisme outranciers : c'eSt
de nier cette incarnation de l'Église. Le premier
défend la transcendance et la pérennité de
l'Église, mais n'accepte pas sa contingence et
sa croissance temporelle; le second, pour
assurer le développement de ses formes
terrestres, oublie son essence éternelle.
l'église " THÉANDRIQUE ".
La vérité eét plus riche : il ne s'agit pas de
choisir : il faut unir et concilier, en laissant à
chaque élément sa valeur respeftive. Précieux
de FÉglise. Elle s'arrête dans sa course, et suspend presque
ses fondions; elle se redresse, et elle e§t la même, une
fois de plus; toutes choses sont en leur place et prêtes
pour raâion. La doâ;rine e§t là où elle était, et l'usage
et les précédents et les principes et la politique; il peut y
avoir des changements, mais ce sont des consolidations
et des adaptations; tout ea net et déterminé et à ce
point identiqvfô qu'il n'y a aucune discussion possible... "
ÇNewman, Hssai sur le développement^ p. 9.)
L.e myHère de VlEglùe 5 5
enseignement pouf les engagements présents
du chrétien. " Incarnation permanente du
Sauveur ", l'Église perpétue son mystère. En
lui s'unissaient deux natures : il était homme
et il était -Dieu. De même, deux mondes
s'unissent étroitement dans l'Église : la réalité
invisible, et la Société visible, communauté
des fidèles. Si Ton oublie l'un de ces deux
aspe<5l;s, on supprime TÉglise. Sans organisa-
tion visible : institutions, hiérarchie, sacre-
ments, etc., le Christ n'eSt plus " incarné " sur
la terre : l'Église n'eât plus un corps. Mais,
à l'inverse, s'arrêter à l'organisation juridique,
ne pas aller plus loin que les apparences exté-
rieures, c'eSl remplacer le Corps du Christ
par un cadavre d'ÉgUse.
Mystère sublime, que celui de l'Église !
A chaque instant, elle doit à la fois être et devenir.
" Être ", sans changement, dans sa réalité
invisible; " devenir ", siècle par siècle, dans
sa réalité visible. " Parce que l'Église eSt un
corps, explique Léon XIII, elle eSt visible aux
yeux; parce qu'elle eSt le Corps du Christ, elle
est Tin corps vivant, a6Hf, plein de sève, sou-
tenu qu'il est et animé par Jésus-ChriSt qui le
pénètre de sa vertu à peu près comme le tronc
Essor ou déclin de F Eglise 56
de la vigne nourrit et rend fertiles les rameaux
qui lui sont unis. Dans les êtres animés, le
principe vital e§t invisible et caché au plus
profond de l'être, mais il se trahit et se mani-
feste par le mouvement et Taâion des membres :
ainsi, le principe de vie surnaturelle qui anime
l'Église apparaît à tous les yeux par les aâ;es
qu'elle produit ^. "
I. Léon XIII, Satis cognitum, A«ftes, t. V. p. 7, Éd.
Bonne Presse.
^. ï^a leçon de
Vhistoire
Ces aâ:es, c'e§l dans rHiêtoire, présente et
passée, qu'ils " apparaissent à tous les yeux ".
— C'e^ l'Histoire qui va fournir à ces vues
doétrinales la confirmation si précieuse de ses
faits. En y faisant appel, nous n'avons nullement
l'intention de retracer, même sommairement,
l'histoire de l'Église, mais seulement de mon^
trer qu'à toutes les époques l'Église apparaît
simultanément avec son double élément :
incarnée, elle revêt toutes les formes sociales
et culturelles du genre humain qu'elle atteint;
intemporelle et transcendante, elle " e§t ", et
ne cesse d'être elle-même, à travers les civili-
sations qu'elle traverse; éternellement jeune,
en cette démarche, parce que, sans cesser de
s'assimiler et de croître, elle ne s'eét jamais
liée aux §tru6butes qu'elle n'assume que pour
les sanétifier.
6o
I. L'ENSEIGNEMENT
DU PASSÉ
L'Église eâl à peine née qu'elle se trouve
devant une option : Judaïsme ou Gentilité ?
L'hésitation n'eSt pas de longue durée. Saint
Paul a choisi : Pierre a compris et accepté...
Duc in altum '^, L'Église s'émancipe de la
tutelle de la Loi. Avec " l'Apôtre des Nations ",
elle se fait " Grecque avec les Grecs "» C'eSt
la chrétienté hellénique et romaine. Néron et
Dioclétien s'acharnenr à persécuter cette
intruse. Constantin compose, et se soumet.
L'Église vit au grand jour, prospère dans
l'Empire prospère. Mais voici les Barbares.
Ils menacent. Le monde romain vacille. Ils
déferlent. L'Empire a vécu. L'Église va-t-elle
dispar^tre avec lui ? Certains se le demandent.
Saint Auguâtin lui-même, en attendant les
déva^ateurs, s 'émeut et s'interroge avec une
anxiété qui assombrit sa vieillesse. Que va
devenir la Cité de Dieu, sous cette invasion
générale ? Comment concevoir le Christianisme
en dehors de la " culture romaine " ? Car,
I. Luc, V, 4.
Le mySîère de l* Église 61
" de même que, pour les chtétiens juifs, l'avenir
du Christianisme ne faisait qu'un avec celui de
leur peuple, de même, pour les chrétiens
romains, il ne faisait qu'un avec celui de l'Em-
pire... Identifiée avec lui, l'Église chrétienne
semblait l'être, par le fait même, avec toute
l'humanité. Elle avait atteint son idéal, eUe
n'avait plus rien à demander à l'avenir, et toute
son ambition devait être de conserver l'éternel
présent... Mais l'Église eut le regard plus ferme
et l'esprit plus calme; elle ne désespéra pas de
l'Humanité. Elle ne crut pas que tout était
perdu parce que Rome était condamnée. Elle
envisagea dans son ensemble le gigantesque
mouvement dont elle était témoin, et elle y
découvrit l'enfantement d'un monde encore in-
connu. Elle pressentit la nouveauté subUme qui
n'eût pu être alors exprimée que par un accouple-
ment monstrueux de mots : la " civilisation-
barbare ", c'eSt-à-dire xine civilisation qui
pourrait se passer de Rome et qui devait aller
plus loin que Rome. Et sans crainte, avec la
conscience de sa mission éternelle... elle prit la
la dire<5tion de l'avenir ^ ".
I. G. Kurth, U Église aux tournants de /'Hifioire, p. 42-
47-
62
l'église " AUX TOURNANTS DE l'hISTOIRE
3>
Que va devenir le peuple de Dieu ?
Le peuple de Dieu va grandir. Les Barbares
ont conquis la Rome des empereurs; mais la
Rome des Papes va conquérir les Barbares.
Lente assimilation; mélange de cultures, qui,
sept siècles plus tard, aboutira à la Chrétienté
médiévale. Non sans pertes, ni sans périls :
l'hérésie albigeoise, " affreuse comme le péché,
tri^e comme la mort ", met en cause le prin-
cipe même de la Rédemption. Mais saint Domi-
nique et saint François sont là. Et bientôt,
saint Thomas. Voici la Chrétienté du moyen
âge, et son " grand siècle " : le xiii®. L'Église
pénètre la Cité. Elle " préside à la naissance des
communes et des universités, voit des saints
monter sur les trônes de France et de Caâtille,
et pendant deux siècles... elle devient l'autorité
suprême de l'Occident, l'oracle du monde
chrétien ^ ". Heureux triomphe, qui la délivre
des liens de la Féodalité. Mais pour se trouver
devant une nouvelle alternative : voici que
s'effrite et se morcelle la Chrétienté occidentale
sous les vagues de fond de la Réforme et de la
I. G. Kurth, 0. c, p. 82.
Le myftère de l'Ëglise 63
Renaissance. L'Église va-t-elle périr ? De bons
esprits se le demandent : le Christianisme n'a-
t-il pas trouvé sa réalisation parfaite en cette
société qu'anime jusque dans ses moindres
institutions l'esprit de l'Église, et que le Pape
et l'Empereur gouvernent en commun ? Que
peut donner à ce présent comblé un avenir
incertain ? Où donc eSl l'ordre chrétien, s'il
n'eél pas dans la Chrétienté ^ ? Depuis Cons-
I. Cette confusion entre " Église " et " chrétienté ",
ou entre " Christianisme " et " chrétienté **, eSt à
J'origine de tous les malaises historiques. C'eSt aussi
la source d'une grave illusion. Celle-ci, de nos jours,
on Ta fait remarquer, prend une double forme. L'une
consiste à croire que le Christianisme a autrefois réussi,
parce qu'il est parvenu à pénétrer des peuples, totale-
ment et officiellement. D'où la nostalgie de beaucoup de
chrétiens pour un passé auquel ils voudraient faire
" retour ". Historiquement discutable (on sait les
intrusions réciproques des deux pouvoirs, dont la que-
relle des Investitures n'eSt qu'un épisode plus aigu
et les périls, nullement imaginaires, qu'entraînent,
pour la foi et la loyauté des fidèles, des prote6tions trop
officielles), cette illusion repose, en outre, sur une con-
ception fixiSte de la culture et de l'Église, dont l'origine
e§t toujours la méconnaissance de l'Église, ** dans le
temps ", c'eSt-à-dire de son développement constant
et nécessaire,
La seconde illusion ne contredit la première qu'en appa-
rence : eUe consiste à croire que l*È.glise a échoué, parce
que son œuvre humaine eSt sans cesse à recommencer,
n'aboutit jamais à un ordre Stable et définitif. Alors,
Hssor ou déclin de l'Église 64
tantin, c'eêt, sans doute, la tentation la plus
grave, pour l'Église. Mais celle-ci le comprend
et s'en dégage à temps : l'Occident s'émancipe;
mais le corps du Christ va s'accroître. Le
Nouveau Monde e§t baptisé. Voici l'ÉgHse
missionnaire, voici les chrétientés indigènes.
L'Église e§t partout, et pourtant n'a rien perdu
de son dogme, ni de son unité : le grain de
sénevé eât devenu un arbrisseau. Et c'e§t enfin
le monde moderne. Le scientisme, le laïcisme,
le racisme, conjuguent leurs attaques pour
détruire du dehors et saper du dedans le
Corps mystique du ChriSt. Les années passent,
les doctrines pâlissent, se remplacent; les adver-
saires s'usent ou désarment. L'un d'eux s'é-
croule avec fracas. L'Église demeure.
c'est le découragement. Au fond. Terreur eSt toujours
la même : elle confond TÉglise avec ses formes passa-
gères. Or ** la tâche de l'Église, dit excellemment M. Gil-
son, n'eât pas de conserver le monde tel qu'il e§t, même
s'il e§t devenu chrétien, mais de le conserver chrétien
tel qu'il ne cesse jamais de devenir autre ". Bref, ** l'Église
n'a pas pour tâche d'empêcher ce monde de passer, mais
de sanctifier un monde qui passe " (id.).
6j
L'éGLISE ET LES CIVILISATIONS.
A quoi l'Église doit-elle ses triomphes
successifs ?
Aux éliminations qu'elle a su consentir :
croître, c'e^ mourir partiellement. EUe a su
quitter en temps voulu et sans regrets tout ce qui
ne lui était qu'un " vêtement ". Comme le
" levain dans la pâte ^ ", l'Église s'eSt intime-
ment mêlée aux peuples et aux époques de
rHi§toire *; mais, " sel qui ne s'aflFadit pas • ",
elle ne s'e§l jamais liée à leur de§lin. Les Strudhi-
res se succèdent, les temps se renouvellent
" comme ime tente de berger ". A aucun
moment, elles ne coïncident avec ** l'Église
totale " : celle-ci les dépasse et les déborde,
sans mesure. EUe n'e§t elle-même jamais satis-
1. Matth., xiii, 33.
2. Cette aâion bienfaisante de l'Église sur vingt
siècles d*hi§toire eft difficile à ** isoler '* du contexte des
autres influences. Elle eSt néanmoins reconnaissable, par
comparaison avec les sociétés parallèles non chrétiennes.
Dans les pays où la vie colleâive eSt pénétrée de Christia-
nisme, on constate une constitution exceptionnellement
pure et solide de la famille; plus de divinité humaine;
une disposition habituelle à Taâion et à la recherche, née
des " vertus ** chrétiennes, etc. (Cf. J. Leclercq, JLa Vie
du CbrW dans son Église, p. 165, sq.)
3. Matth., v, 13.
Essor ou déclin de l*Êglise 66
faite de ses téussitcs paftielles. " L'Église,
remarque l'Encyclique Myfîm Corporû, ne se
trouve pas tout entière dans des réalités de cet
ordre, pas plus que l'homme ne consiste tout
entier dans l'organisme de notre corps mortel "
(p. 35). C'est une des conséquences du " mys-
tère de l'Église " que les manifestations exté-
rieures de sa vitalité ne sont jamais adéquates à
la plénitude de sa vie intérieure et au potentiel
de rénovations illimitées dont elle e^ déposi-
taire.
Ce que l'Histoire nous apprend de l'éternelle
jeunesse de l'Église, en raison de son indépen-
dance à l'égard de toutes les formes qui vieillis-
sent, elle nous le prouverait aussi clairement de
sa sainteté ^.
I. Sans y insister, qu'il suffise ici de constater que
la source de sainteté qui jaillit en elle de sa " Tête "
mystique e§t à tous moments intarrissable. Les chrétiens
y ont toujours puisé la sève divine qui peut et doit
infléchir la marche du monde : par eux, et surtout par les
saints, on a vu disparaître des institutions inacceptables
pour la dignité humaine. Il a suffi — et il suffira toujours
— • pour sanâifier la terre d* " a6tuer ** au-dehors la
puissance infinie de perfeéHon que cette " épouse sans
tache, et immaculée ", tient en réserve pour ses fils — et
pour son Époux. — On mesure alors la " marge " qui
sépare la sainteté essentielle de l'Église de sa sainteté
réalisée à un temps donné. Il n'y a pas dans THiStoire
67
IL LE BILAN DU PRÉSENT
ÉgHse et civilisation; Église et sainteté : dans
les deux cas, renseignement du passé conclut à
la fois à l'itréduftible transcendance et à l'éter-
nelle adtualité de l'Église, — l'une condition-
nant l'autre. Toujours immuable et toujours
jeune, fidèle à Dieu et fidèle à l'homme : ces
signes de vie d'xme Église qui ne vieillit pas, ils
nous sont aussi donnés, et en abondance, dans
le présent. Ici encore, il ne s'agit pas de dresser
un bilan complet : il suffit d'esquisser à grands
traits.
DANS LE MONDE.
Du réquisitoire dressé par l'athéisme contem-
porain contre l'Église, retenons loyalement un
fait : la déchristianisation du monde. Mais à
»ne civiKsation chrétienne type, ni un modèle unirbrme
de sainteté qui seraient à canoniser pour en faire une
norme. Il n*y a eu que des institutions — ou des per-
sonnes — plus ou moins pénétrées du Christianisme et
de ses vertus.
Bssor ou déclin de VÉglhe 68
condition d'en expliquer aussitôt le sens. Car
cette évolution eSt autrement complexe qu'on
ne veut bien le dire.
LA DÉCHRISTIANISATION...
Il e§t vrai que l'Église a perdu des peuples,
et que le nombre des croyants diminue en
Europe. Mais les Statistiques, à l'inverse,
montrent que les effeâifs augmentent ailleurs :
en Afrique, dans les deux Amériques, et en
Asie, l'Église voit s'adjoindre à elle de nouvelles
provinces, soit par le progrès de la natalité dans
tel ou tel pays catholique, soit par l'aéHon
des missionnaires. En Asie, et en Afrique, en
particulier, où le clergé indigène eSt de date
récente, il faut bien plutôt parler d'origine que
de vieillissement ^. Concédons néanmoins que
I. L*appel de Mgr Yu-Pin, évêquc de Pékin, en four-
nirait un récent témoignage : " ... Sans la reconStruâion
spirituelle... la Chine aurait un corps sans âme. ... EUe a
entre les mains une occasion qui ne se répétera pas : U
n'y aura qu'une reconstruction de la Chine. C'eSt pour-
quoi je lance un cri d'appel... Je désire trouver des
ingénieurs, des doâeurs, des professeurs, des journa-
listes... qui, tout en s'engageant dans leur carrière profes-
sionnelle, apportent quelque chose de plus à la Chine :
le témoignage chrétien de leur vie ."
Ije mystère de VÊglùe 69
le dépérissement de la croyance et de la pratique
religieuse garde un caractère universel.
En ce sens, d'abord, qu'on le rencontre sous
tous les méridiens, et qu'il affeéfce tous les
groupes sociaux : races, classes, etc.; mais
aussi — et surtout — en ce sens qu'il e§t com-
mun à toutes les religions. Un rapport de con-
comitance a été en effet dégagé entre la crise
religieuse et la présence de la civilisation mo-
derne. Partout où elle apparaît, la croyance reli-
gieuse diminue^ dans les masses. Indice deux
fois révélateur : si la civilisation technique
expulse ainsi, partout, le sentiment religieux,
c'est qu'elle contient des éléments qu'il e§t
I. Cette loi se vérifierait surtout chez les populations
qui ne possèdent pas de religion déterminante, comme la
Chine ou le Japon, qui se sont mis à l'école des dieux de
l'Inde et où l'État a pu affirmer, à notre époque, son
ralliement au laîcîsme occidental. On a fait observer
qu'en revanche, dans l'Inde, dans les pays arabes, et
en général dans les pays où la dénomination religieuse
constitue le faâeur prédominant de la nationalité, le
bouddhisme et l'Islam se réveillaient pour fanatiser les
masses. Mais on voit ce que cette attitude politique a
d'occasionnel et d'étranger aux valeurs religieuses elles-
mêmes, ici seules en cause. Même de ce point de vue, du
re§le, ** la vie religieuse musulmane diminue rapidement
en Syrie, en Egypte, en Afrique du Nord. Aux Indes,
die commence à baisser. ** (P. Desqueyrat, UApoSiasie
des temps nouveaux^ Travaux, oâobre 1946, p. 17.)
Essor ou déclin de l* 'Église 70
grand temps de neutraliser ou de remplacer :
précieuse consigne d'aéHon pour les chrétiens.
Mais si, par ailleurs, la régression eSl commune à
toutes les confessions, il eât manifestement
injuste d'en faire peser toute la responsabilité
sur la seule Église catholique. D'autres causes,
objeâives ou subjeâives ^, interviennent pour
expliquer un phénomène — douloureux, certes,
et même au dire de Pie XI " scandaleux " —
mais dont les fautes ou la carence des catholiques
ne suffisent pas à rendre compte. Ceux-ci en ont
leur part — et leurs examens de conscience,
privés ou publics, en cette matière ne font point
défaut de nos jours. Mais le dénigrement systé-
matique e§t-il toujours bien informé ? Certaine-
ment non. Si le Chri^ a perdu l'audience des
masses, si les mœurs et la pensée se sont
construites insensiblement et presque totalement
en dehors de l'Église, cela provient souvent de
causes externes et lointaines. On sait que l'in-
fluence des idées ne se fait sentir que longtemps
après leur diffusion dans les élites. Dès la
Renaissance, mais surtout au xviii® siècle, ces
dernières prônaient un culte tout naturaliste de
l'individu, une philosophie de l'homme où
I. Cf. Desqueyrat, 0, c, p. 14, sq.
jL^ mystère de l'Église 71
Dieu n'avait pas place. Deux siècles ont passé :
ces doftrines, grossies de tout le courant matéria-
liste du XIX® siècle, ont gagné les foules.
... ET l'Église enseignante.
En revanche jamais, peut-être, l'action des
Papes ne s'eSt fait sentir d'une manière aussi
utiiverselle que depuis cinquante ans. L'Église
n'a pas oublié sa mission essentielle d'enseigner :
" Allez, enseignez toutes les nations... ^. " " De
par la volonté de Dieu et en vertu d'une mission
reçue du Christ... gardienne de l'ordre naturel
et surnaturel ", l'Église n'a pas manqué " de
rappeler bien haut devant ses fils et en présence
de l'univers entier, les principes inébranlables
dont doit s'inspirer la vie humaine... ^ ". Ce
désir de se faire entendre d'un monde moderne,
avant tout préoccupé de son organisation
tem.porelle, ne lui fait cependant pas perdre de
vue que le Royaume de Dieu doit être annoncé
par-dessus tout. L'histoire récente montre que
parmi les fidèles, ceux qui ont le mieux su
I. Matth., XXVIII, 19. — 2. Pie XII, Message de
Noël, 1942, no 3.
Essor ou déclin de l'Église yz
répondre à l'appel de leur époque sont ceux-là
mêmes qui se sont montrés les plus empressés
à recueillir la parole du Vicaire de Jésus-Christ.
La voix des Papes a dépassé largement le cercle
des baptisés : Léon XIII donne à l'Église une
voie nouvelle pour un enseignement social
conforme à l'Evangile; Pie XI impose son refus
implacable aux nationalismes fermés ou aux
menées des États totalitaires; Pie XII invite
l'humanité tout entière à s'associer aux efforts
de l'Église pour délivrer la personne humaine
menacée dans son être et dans la famille, qui
e§t son extension normale.
LA voix DES PAPES ET DE l'ÉPISCOPAT.
L'enseignement de l'ÉgUse, à l'heure aéhielle,
peut se référer à la triple mission qu'ont rappe-
lée sans cesse les Adtes du Saint-Siège ou les
déclarations de l'Épiscopat.
Gomme représentants de la Charité du Christ,
la Papauté et l'Épiscopat n'ont cessé d'élever
la voix pour s'appliquer à sauver la paix* en
I. On se souvient des paroles du Souverain Pontife
au dernier Consistoire où l'universalité de i*Église
apparaissait si bien en la personne des nouveaux cardi-
Le mjBère de l'Église 75
prévenant la guerre civile ou étrangère; et,
en cas de conflit, à empêcher, dans la mesure
du possible, toute aggravation des adirés d'hosti-
lité ; à rendre plus humain le sort des humbles,
etc.
Comme représentants de la JuHice^ ils se sont
efforcés, au milieu du désarroi, d'éclairer les
consciences sur les moyens colleétifs et indi-
viduels qui s'imposent pour fonder la société
jEiiture sur les principes moraux sans lesquels
elle n'est pas viable.
Enfin, comme représentants de la Grâce
surnaturelle du Chriât, ils rappellent inlassable-
ment, par-delà les exigences humaines, morales.
nairs issus de nationalités si différentes : '* UÊglùe catho-
lique dont Rome e§t le centre eSi supra-nattonaîe par son
essence même. Ceci s'entend en deux sens, l'un négatif
et l'autre positif. L'Église e§t une Mère, San^a Mater
Ecclesîa^ une vraie mère, la mère de toutes les nations et
de tous les peuples, non moins que de tous les individus;
et précisément parce qu'elle e§t mère, elle n'appartient pas
et elle ne peut pas appartenir... exclusivement à tel ou
tel peuple, ni même à un peuple plus qu'à un autre,
mais à tous également. Et pour la même raison également
** elle n*e§t ni ne peut être une étrangère en aucun endroit.
Elle vit, ou du moins par sa nature elle doit vivre dans
tous les peuples. " Allocution au Sacré Collège, 24 dé-
cembre 1945, commentant la nomination de trente-
deux nouveaux cardinaux.)
Essor ou déclin de l* Église 74
sociales et politiques, le myélère chrétien et sa
surnaturelle transcendance.
On ne peut considérer dans leur ensemble
les aétes du Magistère — Pape et Évêques du
monde entier — sans admirer une unité et une
fidélité de doârine qui n'ont d'égale que son
aéhialité. Si l'on ajoute à cette aâion doârrinale
les services sans nombre — secours matériels,
contribution culturelle, etc. — rendus par la
hiérarchie catholique au bien commun comme
aux individus, à la famille comme à la profession
ou à l'État, on e^ autorisé à y voir un signe de
la vitalité d'une Église si manifestement ensei-
gnée et gouvernée par le Christ.
BNFRANCE.
DETACHEMENT DES MASSES.
Si on le considère surtout en France, le fait
religieux apparaît comme toujours présent et
vivant. Mais, de plus en plus diSlindement, il
rencontre une masse de réalités en quelque sorte
extérieures à la réalité religieuse et qui la mettent
Le myBère de l'Église 75
en question de toutes manières. De proche en
proche, Faâion des élites antichrétiennes s'eSt
étendue ; elle a donné naissance à un monde
construit en dehors de l'Église, au sein duquel,
par un processus quasi automatique, des masses
humaines de plus en plus importantes se sont
détachées de la religion. Partiellement même
elles ont cru bien faire en le faisant, trouvant
dans le monde moderne et son esprit les élé-
ments d'une sorte de justification apparente.
Ces masses, profondément déchristianisées, gar-
dent sans doute dans leur conscience bien des
exigences chrétiennes, de justice, de charité
fraternelle; mais elles ne cherchent plus dans
l'Église de quoi alimenter leur vie. Elles s'en
détournent au contraire pour essayer de satis-
faire, dans des mystiques athées, à la fois leur
appétit de jouissance et leur besoin de générosité.
Parmi cette masse sans Dieu qu'on a appelée
" prenne " et qui a pu faire nommer la France
un " Pays de mission ", on discerne une com-
munauté chrétienne, qui comporte bien des
degrés. A côté de farmlles ferventes, peuplées,
animées de l'esprit de sacrifice et du sens du
devoir, et riches en vocations religieuses, vit
une frange, importante en nombre, de chrétiens
Essor ou déclin de l* Église 76
baptisés et non pratiquants, mais qui se ratta-
chent encore à l'Église par quelques faits mar-
quants de leur existence : baptême, première
communion, etc. On y voit aussi les " chrétiens
saisonniers ", irréguliers dans leur pratique, et
les chrétiens de " milieu paroissial " qui forment,
avec les sympathisants, cette " réserve " de
** forces morales " à laquelle on sait faire appel
aux heures difficiles.
ESSOR DES ÉLITES.
Mais surtout, un fait domine, et explique,
le renouveau : c*e§t l'essor des élites. Au siècle
dernier, elles étaient rares, et s'en tenaient sur-
tout à une attitude négative. Au cours des der-
nières décades, au contraire, et dans tous les
milieux, des élites ont surgi, préoccupées de
comprendre la situation nouvelle et d'être
auprès de leurs frères les plus éloignés les té-
moins du Christ. Des chrétiens, sans cesse plus
nombreux, sont alertés et saisissent qu'il y a
dans le fait de la déchristianisation un phéno-
mène non plus individuel mais global, et qu'il
faut attaquer comme tel. Un immense effort a
Le myfière de l'Église 77
été fait en ce sens. Et l'on retrouve maintenant
les témoignages de la " qualité " de TÊglisè, et
de sa vitalité, dans tous les domaines.
DANS LA PENSÉE.
S'agit-il du domaine de la pensée ? La place
tenue par les catholiques dans la vie scientifique,
littéraire et philosophique, montre assez com-
bien les incompatibilités que l'on s'était plu à
proclamer entre la science et la foi étaient mal
fondées. Il y a cinquante ans, cette réussite
catholique n'apparaissait que chez certaines
personnalités brillantes, dont les noms étaient
d'autant plus mis en lumière qu'ils étaient plus
rares ^. Aujourd'hui, c'e§tun va§le mouvement
I. L'ascension des classes ouvrières aux responsa-
bilités sociales et politiques, qui constitue un des faits
majeurs de notre société moderne, s'eSt doublée, depuis
un siècle, d'un goût de la recherche et de la création
intelleâueUes auquel la philosophie et la science contem-
poraine donnèrent une allure révolutionnaire et souvent
antireligieuse. L'une des habiletés et des forces du mar-
xisme a été de prétendre associer le culte de la recherche à
la poussée révolutionnaire de revendications sociales,
" le matérialisme historique " se présentant non seule-
ment comme le libérateur des classes opprimées mais
comme le système philosophique dont la vision du
Essor ou déclin de l'Églùe 78
d'ensemble qui s'afcme et qui se ptépate : les
intelleâ^iels chtéticns sont pattout ^. On les
trouve dans les Facultés, les Académies, les
Sociétés scientifiques, les Centres de recherche.
Non seulement ils ne craignent pas d'y affirmer
leur foi, mais tous, — chercheurs modestes ou
savants de réputation mondiale — témoignent,
monde permet à rhonune moderne de trouver réponse à
ses exigences intellectuelles. Cette confusion fut grande-
ment facilitée par la place, restreinte il faut le reconnaître,
qu'occupaient les penseurs catholiques depuis plus d'un
demi-siècle, et que ne purent compenser le génie d'un
Lapparent, d'un Branly, d'un Termier, etc.
I. " C'e§t un fait que cette renaissance catholique
dans les Lettres existe, qu'elle e§t chez nous sans précé-
dent et qu'elle se prolonge sans que rien en laisse entre-
voir une interruption ou un arrêt prochains. Le divorce
entre l'art et la foi e§t, chez les catholiques, de moins en
mioins admis. L'attitude d'un Montaigne, catholique dans
sa vie, païen dans son œuvre, bien peu oseraient la
prendre aujourd'hui. Être chrétien, pour nous, c'eSl
tendre à ** informer " toute notre vie de Christianisme.
En outre, l'écrivain catholique n'eSt plus, comme au
temps de Barbey d'Aurevilly ou de Bloy, un isolé fa-
rouche. Nous n'aurons jamais assez de gratitude à
l'égard de ces devanciers illustres qui luttèrent seuls,
qui furent presque seuls les témoins de Dieu à une époque
matériasliSte et païenne. Mais de nos jours, la littérature
catholique a conqms sa place dans la Cité. Nos écrivains
sont partout. Et le ton des livres chétiens, sans avoir
rien perdu de sa fierté légitime, a quelque peu changé. "
(L. Chaigne, Anthologie dt la Kettaissance catholique, t. II,
P-5.)
I^e mjitère de PÉglùe 79
par leur valeur technique et leur loyauté dans
la recherche, de la parfaite harmonie de leur
vocation de penseurs et de leur vocation de
chrétiens. Ils s'appliquent surtout — et cet
effort " positif " eSt une vraie nouveauté — à
montrer que les problèmes posés à la conscience
contemporaine trouvent dans le Catholicisme
leur réponse plénière. Leurs investigations
méthodiques portent sur tous les domaines :
aussi bien Sociologie, Histoire et Psychologie
que Sciences exaâes. Par son ampleur numé-
rique comme par sa qualité, cette renaissance
intellectuelle constitue à la fois le plus indiscu-
table témoignage de la vitalité présente de
l'Église et l'une de ses plus belles promesses
pour demain.
SUR LE PLAN SPIRITUEL.
Cet essor se manifeste, parallèlement, dans
la vie religieuse elle-même. La spiritualité s'eSt
en même temps répandue et approfondie. Ce
progrès se manifeste par des conversions —
souvent éclatantes — qui intriguent et impres-
sionnent les incroyants. Mais aussi, par des
Essor ou déclin de l'Église 80
exigences de plus en plus affirmées à Tégard
de la vie chrétienne : retour aux grands
"dogmes générateurs de la piété '*; pratique
religieuse accrue et axée sur la liturgie. Celle-ci
a suscité — et provoque encore tous les jours
— des curiosités, des enquêtes, et des contro-
verses passionnées. La vie mystique elle-même,
et la plus authentique, attire et retient des âmes
de plus en plus nombreuses. Le succès étonnant
du Livre catholique — Écrits spirituels. Hagio-
graphie — en serait à lui seul un indice.
Mais la vie en fournit un autre — combien
plus valable : dans Tordre de la sainteté. Car s'il
est vrai que jamais, sans doute, les foules n'ont
été aussi éloignées de Dieu, jamais, non plus
peut-être, nous n'avons connu tant de saints.
La simple liste de ceux que l'Église a béatifiés
ou canonisés depuis le début de ce siècle suffirait
à lui mériter son vocable : le siècle des Saints.
Mais combien d'autres ont donné leur vie, tous
les jours ou en une fois, pour le Christ et son
Église ! La guerre et la déportation ont eu
leurs héros et leurs martyrs. La vie quotidienne
nous fait admirer des vertus d'autant plus
sublimes qu'elles sont plus humbles et plus
cachées. Vocations d'apôtres et de millitants
JLe mystère de l'Église 8i
laïcs, vocations sacerdotales et religieuses,
naissance spontanée d'ordres religieux de Style
nouveau, où la spiritualité la plus dépouillée
s'unit au souci d'adhérer au présent — autant
de signes, encore, d'une efflorescence de vie
dans l'Église de ce temps.
DANS l'action.
Cette montée de sève n'eSt pas une " géné-
ration spontanée ". On la doit, pour une très
large part, à une réalité nouvelle, manifestement
suscitée par l'Esprit-Saint pour en faire un
instrument apostolique adapté à la pénétration
du monde moderne, à savoir l'yidtion Catholique.
Pour ne citer que la France, il eSt désormais
impossible de faire l'histoire de ces vingt
dernières années sans tenir compte du fait
nouveau qu'a constitué son origine et son déve-
loppement. Qu'il suffise ici d'y voir une preuve
manifeste du rajeunissement incessant de
l'Église. Partie de principes dont les consé-
quences devaient se révéler incalculables :
en particulier, la participation des laïcs à l'évan-
gélisation du monde, et la restitution aux va-
Essor ou déclin de P Église 82
leuts humaines de leur orientation éternelle,
rAéHon Catholique atteint aujourd'hui toutes
les classes de la Société. On se sert ordinaire-
ment, pour l'apprécier, de mesures surtout
quantitatives. Elles sont déjà révélatrices :
dans les milieux ouvriers et ruraux, où ses
efFeâdfs sont les plus nombreux, le nombre des
militants, adhérents ou influencés, dépasse, pour
la J. O. C. et pour la J. A. C, 200 000 pour
chaque Mouvement — et plus encore pour les
branches féminines. Si Ton considère, derrière
ces chiffres, le travail effectué : prise en charge du
milieu, réponses réalistes aux problèmes qu'il
pose, affirmation fière et accueillante de la foi
catholique, on conçoit que l'aâion réeUe dé-
borde largement les zones visibles d'efficacité.
Car ce serait une erreur grossière que d'identifier
les §lruâ:ures de l'AéHon Catholique avec sa
Mystique; son " corps " avec sa " vie ", et de
confondre " organisation " avec" mouvement ".
Ce dernier mot — malheureusement affadi par
l'usage — dit pourtant assez que l'Aétion Catho-
lique n'eSt pas " quelque chose de fait " mais
" quelque chose qui se fait ". Elle eSt in via.
Sans cesse elle révise ses méthodes, confronte
ses résultats, interroge l'avenir. Qu'elle con-
Le my itère de l'Église 85
naisse des moments d'artêt et des fermentations
imprévues, cela e§t normal, et c'eSt même ras-
surant : on reconnaît là les signes de la vie.
L'Aâion Catholique a vingt ans : il eSt légitime
qu'elle traverse sa " crise de croissance " pour
accéder au Stade de la vie adulte.
A chaque moment, les germes que tant de
prières, de réflexions et d'efforts convergents
ont déposés en elle, prennent racine et se déve-
loppent. Le devenir ultérieur de cette croissance
n'eét pas toujours prévisible. La garantie de sa
sécurité réside dans le souci qu'a TAétion Catho-
lique de se dépasser elle-même — en rêvant
fidèle à ses principes essentiels — et dans son
esprit de loyale et filiale confiance à l'égard de
la hiérarchie.
SIGNES DE VIE.
Ce sera l'honneur de notre génération d'avoir
compris que la situation nouvelle de l'humanité
exigeait des conditions apostoliques nouvelles.
En plus des Mouvements généralisés, masculins
et féminins, qui sont de haute tenue et de grand
rendement, l'immense effort qui a produit les
Essor ou déclin de r 'Eglise 84
Mouvements spécialisés les pousse à découvrir
sans cesse les moyens de travailler la masse indif-
férente, à la manière du levain. On constate
maintenant l'influence réelle exercée par les
générations montantes sur la famille, la profes-
sion, les commiinautés naturelles de vie, et
même les Institutions. Tous concourent à cet
immense labeur : la Paroisse qui cherche sa voie
communautaire et missionnaire; le clergé qui
repense TapoSlolat et anime les militants; les
apôtres laïcs qui pénètrent le tnilieu; enfin,
certaines formules — Mission de France,
Mission de Paris, — qui, le plus souvent en
marge de la Paroisse, mais toujours en liaison
avec elle, constitue sa pointe avancée.
Il faut conclure. A qui ferait-on croire, après
cette seule énumération, que l'Église se meurt ?
Est-on fondé, en face d'un tel bouillonnement,
à parler d'agonie ? Ces grandes forces qui traver-
sent l'Église, ces vagues de fond qui la sou-
lèvent, ne sont pas des signes de mort. Elles
trahissent la montée de la sève, la poussée du
printemps.
Troisième partie
Lies conditions
de l'essor
Loin de nous, cependant. Nos Très Chefs
Frères, la tentation de l'illusion. Il s'agit de
bourgeons, et non pas de moisson. La croissance
de l'Église, c'e§t à Dieu qu'elle reviendra :
mais non pas sans nous 1 Car sa Toute-Puis-
sance a voulu nous «confier le soin d'en être,
avec sa grâce, les artisans. A quelles conditions ?
Ce que la Théologie et l'Histoire viennent de
nous apprendre de l'ÉgUse, va guider notre
aétion.
j. Les options
à exclure
Celle-ci va se fonder sur la nature ** théan-
drique " de l'Église et donc éviter, dès l'abord,
deux fausses routes : celles-là mêmes qui, si on
les poussait à là limite et d'une façon imilatérale,
constitueraient des erreurs nettement caraélé-
risées. Ces deux solutions contradiéfcoires ont
ceci de commun, nous sommes maintenant à
même de le voir, de mutiler la conception totale
de l'ÉgHse en excluant l'un de ses deux éléments.
I. LE " MODERNISME
»
Un premier groupe d'errevirs constitue le
Modernisme. Il a une hi^oire. Voici un demi-
siècle, pris de vertige devant les conquêtes de
la pensée moderne, certains catholiques, insuf-
fisamment conscients de la valeur transcendante
de leur foi, tentèrent une adaptation qui était
un abandon doâ;rinal : ce qui importe, pen-
Essor ou déclin de rEglise 92
saient-ils, c'e§t de se r éconcilief avec le monde.
Si donc quelque accommodement eét néces-
saire, pour faire cadrer le dogme avec la raison,
ou la morale avec la science, il faut y consentir.
Tout évolue dans le monde : l'Église n'échappe
pas à cette loi. Qu'elle s'y prête hardiment. Elle
y trouvera son profit : ce qui importe, ce n'e§t
pas la Lettre, c'e§t l'Esprit ; ce n'e§t pas l'héri-
tage, c'est la " Vie " et le " Progrès ". Car être,
c'e^ essentiellement " devenir ". Si l'Église veut
vivre, qu'elle adapte son Dogme, son culte et sa
discipline aux formes du présent.
Mais l'Église ne l'entendit pas ainsi. Et en
condamnant si nettement cette déviation, elle
se sauvait elle-même d'un naturalisme qui, en
la privant de sa transcendance, lui ôtait du
même coup toute raison d'être historique. Le
Modernisme avait bien vu la face " humaine "
de l'Église, mais il avait méconnu sa nature
divine. Il n'avait vu que le *■ phénomène ".
Aveuglement inévitable qui guette encore, de
nos jours, tous ceux qui, même sans s'en rendre
compte, resteront influencés par le Naturalisme.
Est-ce par cette voie que l'Église reprendra
sa place dans le monde ? Assurément non.
Dans la pensée, les catholiques ne devront donc
JLes conditions de l'essor 93
jamais accepter un rejet systématique de tout ce
qui eêt ancien, ni un engouement de principe
pour " tout ce qui e§t nouveau ". D'abord parce
que le Progressisme outrancier eêt à la fois naïf
— au simple regard de la raison ou de l'expé-
rience — et contradiâioire dans les termes :
qu'e§t-ce qu'un " modernisme " qui, au nom
d'un progrès indéfini, canonise l'un de ses
moments transitoires ? C'e§t un " fixisme " l En
faisant de 1' " aduel " — comme tel — un ab-
solu valable et une norme d'aétion, le Progres-
siste " fige " le devenir en l'une de ses Struâiures
caduques. Ce qu'il appelle " aujourd'hui ", un
autre, demain, l'appellera " hier ", et le condam-
nera pour cette seule raison. On reconnaît là
l'impasse du Pragmatisme, et les courtes vues
de l'Américanisme. Mais surtout, on voit
combien l'Église a raison de maintenir, face à
toutes les concessions et compromissions qui
lui sont si souvent demandées par ce ** monde
qui passe ", une intransigeance qui n'eSt pas
chez elle une " attitude ", ou un réflexe prudent
de survie, mais le simple corollaire d'un dogme,
et le rayonnement tranquille de son être^.
I. "Le Chrigtianisme a eu en vue, du comtnencetnent
à la fin, des principes fixes dans le cours de ses dévelop-
Essor ou déclin de l'Ëglùe 94
Rappelons à ce sujet la belle afïkmation de saint
Vincent de Lérins : " Garde le dépôt de la foi ^ "
Mais qu'est-ce que ce dépôt ? C'est ce qui t'a
été confié, et non ce qui a été trouvé par toi ;
c'est ce que tu as reçu, non ce que tu as inventé.
Ge n'eSt pas affaire d'invention personnelle,
mais de doâ:rine; non d'usage privé, mais de
tradition publique... Tu ne dois pas en être
l'auteur, mais le gardien... Conserve donc
intaâ; et sans souillure le talent de la foi catho-
lique. Ce qui t'a été confié, c'eét cela que tu dois
garder, puis livrer à ton tour. Tu as reçu de
l'or, rends de l'ot, ne remplace pas impudem-
ment l'or par le plomb... La vérité que tu as
apprise, enseigne-la toi aussi; dis les choses
d'une manière nouvelle sans dire pourtant des
nouveautés ^, "
Dans la pratique, l'attitude du chrétien, face
pements, et c*e§t pour cela que, sans tien perdre de ce
qui lui était propre, il a été capable de s'incorporer les
doctrines qui lui étaient étrangères. Une pareille conti-
nuité de principes et un semblable pouvoir d'assimila-
tion sont Tun et l'autre incompatibles avec l'idée de
corruption... " (Newman, HiHoire du développement de la
doctrine chrétienne^ ch. vr, seâ:. 11.)
1. I Timothée, vi, 20.
2. Saint Vincent de Lérins, Commonitorîum, Rouet de
Journel, n^ 2175.
Les conàitions de P essor 95
au inonde, ce ne sera donc jamais et à aucun
prix, l'abandon. " On n'e^ pas chrétien pour
être complaisant, flexible et malléable, prêt à
tout compromis et à tout eflfacement... " pour
être ballotté à tout vent de doârine^". Le
chrétien a sa ligne de vérité et de droiture, et,
devant l'erreur, devant le mal, il dit : non ...
Souvenons-nous que, si puissant que soit le
monde, il e§t tenu en échec devant la fermeté
d'une conscience *. '*
II. " L'INTÉGRISME "
Mais à l'inverse, l'Église ne se ramène pas,
sans mutilation, à son asped imjnuable et
intemporel. Si l'ÉgUse eSt indépendante à
l'égard du monde, de tout l'abîme de sa trans-
cendance, et si, en ce sens, elle n'eSt pas " du
monde ", par contre, elle eét ** dans le monde ",
et, à ce titre, elle en fait partie par ce qu'il y a
en elle de visible et d'humain. Ce simple rappel
différencie son aétion de celle à laquelle vou-
I. Ephes., IV, 14. 2. Mgr Blanchet, Lettre pastorale.
Carême 1946.
Essor ou déclin de l* Église 96
droit la rédxiire l'Intégristne. Celui-ci revêt di-
verses formes : toutes, ici encore, relèvent d'une
acception unilatérale de la Réalité totale de
l'Église. Voilà pourquoi il e§t si important de
signaler à la conscience des vrais chrétiens les
trois " modes " principaux d'une erreur de
perspeéHve, qui constituent autant de méprises
à éviter.
INTÉGRISME DOCTRINAL.
V
Et d'abord, il ne faut pas confondre l'inté-
grité de la doétrine avec le maintien de son
revêtement passager. Sans doute — et il faut
l'affirmer plus que jamais — le dépôt révélé e§t
le trésor essentiel de l'ÉgUse auquel on ne peut
porter atteinte sans suicide et sans sacrilège.
Sans doute faut-il garder scrupuleusement les
formules dogmatiques définies. Mais faut-il
identifier la Révélation aux systèmes et aux
Écoles théologiques ? Comment, s'il en était
ainsi, expliquer l'attitude de saint Thomas
d'Aquin rompant catégoriquement avec l'Au-
guStinisme platonicien pour adopter l'AriStoté-
lisme ? La " diStinéHon réelle " sur laquelle il
Les conditions de P essor 97
fondait son attitude, il pouvait la justifier pat
un précédent traditionnel : les deux interpréta-
tions parallèles de vérités docStrinales identiques
qui constituent le double courant des Pères
Grecs et des Pères Latins.
E§t-ce à dire que l'Église ne puisse préférer
une synthèse à une autre ? Assurément si.
Pour des raisons de sécurité morale et doctrinale
elle peut proposer à ses fils tel ou tel système,
par la voix des Papes, comme une sûre garantie.
C'eét ainsi qu'elle a maintes fois recommandé le
Thomisme, pour la valeur de ses méthodes et
la solidité éprouvée de ses thèses. En faisant
de " la doétrine et des principes du Doâieur
Angélique ^ " son enseignement officiel \ l'É-
gUse affirme nettement le prix qu'elle attache
au " magnifique édifice que saint Thomas
d'Aquin a construit avec des éléments réunis et
rassemblés par-delà et par-dessus tous les temps
et que lui fournirent les maîtres de toutes les
1. Pie Xn, Discours aux Pères Dominicains du Cha-
pitre Général, 22 septembre 1946.
2. Code de Droit canonique, Can. 1366, § 2, confirmé
par la Constitution Apostolique Deus scientiarum Domi-
ttusy 24 mai 193 1.
4
Essor ou déclin de r Église 98
époques ^ ". Faut-il en conclure que saint Tho-
mas a tout dit et que sa pensée a épuisé et égalé
le dépôt révélé ? Faut-il, après lui, renoncer à
penser ? Évidemment non. On connaît le mot
de Lacordaire : " Saint Thomas e§t un phare, et
non pas une borne. " Sa lumière doit éclairer
une investigation toujours plus poussée des
deux sources de la foi : l'Écriture et la Tradition.
Parlant d'elles, saint Irénée faisait observer
que " l'enseignement que nous avons reçu de
l'Église est comme un dépôt précieux ren-
fermé dans un vase excellent. UE^rit le rajeunit
toujours et communique sa jeunesse au vase qui
le contient ^ ". Les hommes de doétrine, écrit
Pie XII, " doivent s'exprimer, tant dans leurs
paroles que dans leurs écrits, de telle sorte que
les hommes de notre époque les comprennent
et les écoutent... ^ ".
La Tradition, en effet, eSt tout autre que la
transmission mécanique d'une " chose " inerte.
I. Pie XII, îbid, — 2. Saint Irénée, A.dv. Hères., III,
24, I.
3. Pie XII, Discours aux Pères Jésuites de la XXIX
Congrégation générale, 17 septembre 1946, D. C. col.
1317.
Les conditions de r essor 99
C'est la Gommunication vivante et la manifesta-
tion progressive — sous le contrôle infaillible
du Magistère — d'une vérité globale dont
chaque âge découvre un nouvel aspe6t. Ici
également, saint Vincent de Lérins introduit une
précision opportune. Il prévient l'objeârion :
" Mais, dira-t-on peut-être, la religion n'eSt-
elle susceptible d'aucun progrès dans l'Église
du Christ ? Si assurément, et un très grand.
Qui serait assez ennemi de l'humanité, assez
hostile à Dieu, pour essayer de s'y opposer ?
Mais à une condition néanmoins : c'eSt qu'il
s'agisse vraiment d'un progrès de la foi et non
de son altération. Car le propre du progrès
consiste en ce qu'un être se développe en jreStant
lui-même, tandis que l'altération consiste en ce
qu'une chose se transforme en une autre. Il faut
donc que l'intelligence, la science, la sagesse...
de chacun comme de toute l'Église, croissent
et se développent, et même largement, avec les
âges et les siècles, mais toutefois selon leur
nature particulière, c'eSt-à-dire, dans le même
contenu doctrinal, le même sens et la même
pensée ^. "
I. Saint Vincent de Lérins, Commonitorium^ Rouet de
Journal, n*> 2174.
Essor ou déclin de r Église loo
La même remarque s'impose à l'égard de la
discipline et de l'aéHon de l'Église, dans l'ordre
moral et les institutions. Faut-il en effet, identi-
fier la Tradition — qui e§t vie — - avec la routine
— qui eél mort ? La " Loi ", qui eSt " achevée ",
et ses applications qui ne le sont pas ? Pour
sauvegarder la vie, le Modernisme sacrifiait les
formes; pour sauvegarder les formes, l'Inté-
grisme sacrifie la vie ." Il eSt aujourd'hui impos-
sible, écrit Pie X, de rétablir sous la même
forme toutes les institutions qui ont pu être
utiles et même les seules efficaces dans les
siècles passés, si nombreuses sont les modifica-
tions radicales que le cours des temps introduit
dans la société et dans la vie publique, et si
multiples les besoins nouveaux que les circons-
tances changeantes ne cessent de susciter. Mais
l'Église, en sa longue histoire, a toujours et
en toute occasion lumineusement démontré
qu'elle possède une vertu merveilleuse d'adapta-
tion aux conditions variables de la société
civile : sans jamais porter atteinte à l'intégrité
ou à l'immuabilité de la foi, de la morale, et en
sauvegardant toujours ses droits sacrés, elle
se plie et s'accommode facilement, en tout ce
qui eSt contingent et accidentel, aux vicissitu-
Les conditions de l'essor loi
des des temps et aux nouvelles exigences de la
société 1. "
ï. Pie X, // Fermo Proposito, Aftes, t. II p. 94, Éd.
Bonne Presse.
On pourrait ainsi distinguer une double sorte " d'adap-
tations ". La première qu'on pourrait appeler " adapta-
tion de tolérance ", consiste dans le désir qu'a l'Église
de conformer ses prescriptions aux degrés divers de
réceptivité de ses fidèles : " Non poteH esse aliquis
perfeSiior Hatm praesentù vitae quam Status novae legU ; quia
tanto eSi unum quodque perfeâim quanto eB ultimo fini propin-
quius. A.lio modo Batus hominum variari poteH, secundum quod
homines diversimodo se habent ad eamdem hgem, vel perfeBius,
vel minm perfeâe ; et sic Siatm veteris kgis fréquenter fuit muta-
tus, cum quandoque leges optime custodirentUTy quandoque
autem omnino praetermiiïerentur, Sicut etiam et Siatm novae
kgis diversificatur secundum diversa loca, et tempora, et per-
sonaSy in quantum gratia Spiritus sanBi perfeBius ; vel minus
perfedie ah aliquihm habetur. " Saint Thomas, Summa The-
logica, t. II, Prima Secundae, Q. CVT, art. iv.
L'Église, jusqu'en ses documents ojfficiels, nous four-
nit des exemples de ces modifications légitimes : Concile
de Latran 121 5, Canon 50 : Non débet reprehensibile
/udicariy si secundum varietatem temporum Sîatuta quandoque
varientur humana, praesertim cum urgens nécessitas vel evidens
utilitas id exposcit : quoniam ipse Dem ex iis, quae in Veteri
TeBamento Statuerai , non nuUa mutavit in Novo. Suit la
suppression de i'interdi«9îon de contrad:er mariage in
secundo et tertio affinitatis génère^ et d'autres adoucissements
du même genre, en ce qm concerne les empêchements
de consanguinité. Canon inséré aux Décrêtales de Gré-
goire IX, libre IV, tit. xiv, C. 8.
La seconde qu'on pourrait appeler ** adaptation de
développem^ent " a été bien mise en lumière par Ne-wman.
"Essor ou déclin de l'Église 102
Ici encofe le ttaditionalistne excessif oublie
Tune des données du problème et, par là, abou-
tit à la même contradiéHon que le modernisme :
ce dernier faisait une norme de toute valeur
d'aujourd'hui; celui-là fait des formes d'hier
l'idéal du présent. Grave méprise dont les catho-
liques devront se garder doublement : d'abord,
parce que cette attitude négative de méfiance à
l'égard des changements légitimes freine la
marche en avant de l'ÉgHse, retarde sa péné-
tration dans le monde et risque de fournir pré-
texte à l'inacSHôn de la moyenne des fidèles;
mais surtout parce que cette habitude de suspi-
cion, si elle revêtait une forme systématique, ne
serait pas chrétienne : à un manque de charité
intelle6tuelle, elle ajouterait un péril subtil de
libre-examen. Car n'y a-t-il pas, à devancer la
hiérarchie dans ses appréciations, ou même à la
critiquer pour les initiatives qu'elle autorise, et
On se souvient que c'eSl l'étude de l'hiétoire du dogme
catholique qui convertit au catholicisme le célèbre minis-
tre anglican. " L'Église de Rome peut, plus librement
que les autres Églises, prendre en considération les
convenances de l'heure présente : elle a confiance en la
vie de sa tradition, et quand on l'accuse parfois de
manquer dé principes et de scrupules, c'eSt le seul forma-
lisme de cette tradition qu'elle néglige ", etc. (fîiitoire du
développement de la do&rine chrétienne, ch. ii, seâ:. m, par. 5.)
Lues conditions de Pessor 103
à " en appeler du Pape au Concile ", un trans-
fert de compétences dont le moins qu'on puisse
dire e§t qu'il n'eSt pas dans Tordre ?
Assurément, ce n'eSt pas à ce retranchement
défensif que l'Église convie ses fidèles. Suprê-
mement exigeante sur tout ce qui touche à
l'orthodoxie; prête à tous les sacrifices lorsqu'il
s'agit de ce qui vient de Dieu et de la Tradition
apostolique, elle n'oublie pas, non plus, le
souffle qui l'anime intérieurement : " N'étei-
gnez pas l'Esprit, dit saint Paul; mais éprouvez
tout et retenez ce qui eSt bon ^. "
INTÉGRISME " TACTIQUE ".
Mais le monde n'e^ pas bon, insi§te-t-on.
C'e§l le royaume du péché et de l'erreur; c'eSt
le domaine de Satan. Il n'y a donc que deux atti-
tudes possibles — et prêchées par le Christ :
le fuir, ou le combattre.
Combatte le monde, en lançant une croisade
contre les adversaires du Christ, répondre à leurs
attaques et même lancer des offensives; telle
I. I Thess., V, 19-21.
Essor ou déclin de PÊgltse 104
e§t la seule voie efficace pour l'Église, en face du
mal. Céder ou se résigner perpétuellement aux
calomnies et aux injustices, c'eft oublier la
" violence " du Chri§t à l'égard des Pharisiens.
Il faut vaÎQcre le monde avec ses propres armes,
au lieu de composer avec Im, pour s'y perdre, sans
résultats.
Ici encore, l'Église nous rappelle son mystère.
Il e§t vrai qu'elle e§t " liée à l'Éternel ", par une
alliance qui n'est pas de ce monde; il eât vrai
qu'elle eét la " Jérusalem sans tache " qui ne
paéHse pas avec Samarie. Mais ce n'eSl pas parce
qu'elle eét divine qu'elle doit s'opposer au
monde. Sa transcendance n'eSt pas de cet ordre.
Ce n'eSt pas parce qu'elle constitue le peuple
élu qu'elle doit se durcir et s'opposer à ceux qui
errent encore, loin du bercail, " dans les ténèbres
et l'ombre de la mort ". L'Église n'eât pas un
parti, et les Chrétiens ne sont pas des partisans.
Elle ne gagnera pas le monde ens'opposantàlui,
bloc contre bloc. Sans doute, toute erreur ap-
pelle une réfutation et toute injustice un recours.
Il e§t certaiaes violations des droits imprescrip-
tibles de Dieu et de la Morale contre lesquelles
l'Église s'eSt élevée et s'élèvera toujours avec
la dernière énergie. Elle sait opposer à la force
JLes conditions de Pessor 105
triomphante la protestation indignée de la cons-
cience — s'il le faut jusqu'à l'eflusion de son
sang. Sur les principes, l'Église ne cède pas.
Elle ne se départit jamais de son intransigeance
sacrée. Mais sur le plan des méthodes, va-t-elle
pour autant prendre à son compte les façons
de faire de ses adversaires ? Va-t-elle, pour ne
pas pactiser avec leurs erreurs, essayer, d'auto-
rité, de leur imposer sa Vérité et sa Foi ?
L'higloire ne montre-t-elle pas, au contraire,
que les procédés d'enrôlement et de " choc "
psychologique empruntés à l'appui du '' bras
séculier " ou aux propagandes de facture hu-
maine, se révèlent aussi inefficaces qu'irrespec-
tueux de la liberté évangélique? On voit où
conduirait la méconnaissance de l'aspeéè " in-
carné " de l'Église, de son insertion vitale dans
le temps : à l'erreur qu'on voulait éviter. Parce
qu'on se refuse au monde, on le combat ;mais
pour le combattre on prend ses propres armes.
L'excès engendre ainsi son contraire; et la ** né-
gation " du monde aboutit finalement à toutes
les vicissitudes d'un '* chri^anisme taéHque ".
io6
« -.rV^-n »-.- >'
INTÉGRISME MORAL
Cette erreur se rencontre, enfin, chez une
dernière famille de chrétiens, qu'on pourrait
— selon qu'ils mettent l'accent sur l'inutilité
du monde, ou sur sa nocivité — appeler les
Quiéti^les et les Janséniéles. La vie terrestre
importe peu, disent les premiers, en regard de
la cité éternelle. Dès lors, à quoi bon, pour
l'Église, se préoccuper de ce monde ? L'aéHon
eêt inutile. Dieu pourvoit à la pérennité de son
Église. Stru6hires et adaptations doivent céder
le pas à la confiance en Dieu et à la prière : le
surnaturel sait bien se passer des moyens natu-
rels. Il en va de même de l'Église.
Non seulement elle peut s'en passer; mais
elle y e§t bien obligée, insistent les partisans de
" la rupture " : au nom même de sa transcen-
dance. Ce monde eât mauvais. Imperméable à la
grâce, il l'eSt aussi à l'Église. L'essor de celle-ci
ne doit donc pas être cherché par voie " d'imma-
nence ", — en s'incarnant dans les civilisations
temporelles. — La" dialeéHque " de la technique
et de l'histoire n'admet pas de " révolution ".
C'ea un système clos, et fatal. Le monde et le
L,es conditions de l'essor 107
ChfiSlianismc sont deux plans diffétcnts — qui
appellent un " divorce " et non une réconcilia-
tion. Le devoir des croyants, ce n'e§t pas d'agir
sur les événements, mais d'être simplement,
dans leur vie privée, de vrais disciples du Chri^.
Le chrétien qu'attend l'Église, ce n'eSt pas le
" chrétien con^antinien ", mais le " chrétien
de l'Apocalyspe et de la Parousie ".
E§t-il besoin de souligner ici — sans parler
des réserves qui s'imposent relativement à cette
conception du monde et de la grâce — le pré-
supposé sur lequel elle s'appuie ? De l'Église,
elle n'a, encore une fois, retenu que sa trans-
cendance, mais au détriment de son " adhialité "
temporelle^. C'eSt cet oubli qui confère aux
I. Saint Augustin, avait bien senti le problème, et
proposé la route à suivre : ** La Cité céleste, ou plutôt la
portion de cette Cité qui accomplit encore le voyage de
la vie mortelle a aussi besoin d'user de cette paix (de cet
ordre humain)... Aussi tant qu'au sein de la cité terrestre
elle vit captive et passe le temps de son exil soutenue par
la promesse de sa rédemption... elle n'hésite pas à obéir aux
lois de la cité terrestre, d'après lesquelles s'administre
tout ce qui eSC approprié au soutien de cette vie mortelle :
et puisque la mortalité est commune à l'une et à l'autre
société, elle veut, dans ce qui a rapport aux intérêts
présents, conserver la bonne harmonie entre elle et la
cité terrestre, " (Saint Augustin, Cité de Dieu, livre XIX,
ch. 17.)
Essor ou déclin de FÉglm io8
ttois fottnes de l'Intégrisme leur " irréalisme "
commun. C'e§t cette mutilation arbitraire qui
appelle — comme son erreur symétrique : le
modernisme — un complément et une conci-
liation supérieurs .
2. L,a synthèse
catholique
Mais ici, une précision s'impose. L'engage-
ment que doit prendre l'Église aujourd'hui eSt
trop capital pour qu'elle se contente d'un com-
promis, passager et local. Ce qu'il faut, c'eêt une
vaSte synthèse, capable de fournir aux chrétiens
la double réponse qu'ils attendent : une a£Hon
humainement efficace et une doctrine pleine-
ment catholique. Ici encore, c'e5t la Théologie
et l'histoire de l'Église qui permettront de
réaliser cette doctrine valable. Nous ne préten-
dons pas à autre chose, en ces lignes, qu'à indi-
quer la route, et soutenir l'aâion de nos fidèles.
UNE " SOMME ".
Car l'œuvre totale sera de longue haleine, —
et ne sera pas l'œuvre d'un seul. L'heure eSt
venue où le plus grand service qu'on puisse
rendre à l'Église, et à ses fils, c'e§t de faire la
" Somme chrétienne " du monde qui s'élabore.
Essor ou déclin de PÉglke
112
La plus grande faute des chrétiens du xx© siè-
cle, celle que leurs descendants ne leur par-
donneraient pas, ce serait de laisser le monde se
faire et s'unifier sans eux, sans Dieu — ou contre
Lui; ce serait de se satisfaire, pour leur apostolat,
de recettes et de procédés. Cette faute, nous
ne voudrons pas la commettre. Et ce sera peut-
être le grand honneur de notre temps d'avoir
entrepris ce que d'autres mèneront à bonne fin :
un humanisme à la mesure du monde et des
desseins de Dieu. C'eSt à cette condition, et à
cette condition seulement, que l'Église peut
prendre son essor, en devenant dans un avenir
imminent ce qu'elle fut au moyen âge pour
l'Occident : le centre spirituel du Monde. La
civilisation athée et antichrétienne qui se pro-
page de nos jours peut faire place à une " culture
sacrée ", à une " transfiguration chrétienne de
la vie ".
E^-il besoin de dire que c'eSt aux intellectuels
que revient cette tâche, comme il en fut au
temps des grands Doéteurs de l'Église ? C'e§t à
eux de tendre de tout leur pouvoir à cette
** création " d'une société chrétienne où le
Royaume de Dieu sera recherché avant tout. Le
premiei apostolat, au carrefour où nous sommes.
h,es conditions de l'essor 113
c'e§t celui de la Pensée. L'Église e§t à ce " tour-
nant " où elle peut tout perdre, ou tout gagner,
selon la spiritualité qu'elle proposera à l'huma-
nité.
Cette ** vision du tnonde " peut se rassembler
tout entière autour d'une double perspedHve qui
n'en fait plus qu'une, à son terme, et qui résume
tout le mystère de l'Église : le Corps Mystique,
le Chri§t-Roi.
SPIRITUALITÉ " CATHOLIQUE ".
Axée sur le Corps Myfiique, la ^iritualité sera
d'abord " catholique " : elle fera appel à tous
pour s'élaborer — savants, philosophes, socio-
logues de tous les pays fournissant aux théolo-
giens les résultats de leur expériences. Mais
surtout, elle sera universelle en tenant compte des
conditions, des cultures, des problèmes de
l'humanité tout entière. Elle s'adressera à tous
les hommes sans particularismes ni nivellement.
Elle tendra sans cesse à l'achèvement du Corps
Mystique^ par l'annexion se nouveaux membres,
I. " L'Église continue la mission du Christ sur la
terre, ne cherchant pas autre chose que d'amener à la
Essor ou déclin de l'Église 114
communiant à la même vie divine. Spiritualité à
la taille de la tetre.
Par le fait même, elle sera accueillante, ouverte
à des valeurs très diverses, — où Terreur se
mêle souvent au vrai. Effort complexe : il
faudra d'abord lutter contre des tendances
humaines, maintenant colle£Hvisées, et qui
sont mauvaises : le souci exclusif du profit et
de la jouissance; l'adoration de la force; la
passivité devant les progagandes de haine et de
division, etc. Mais en même temps, il convien-
dra d'intégrer dans une perspective religieuse
des valeurs humaines authentiques et bonnes :
la croissance de l'organisation sociale; le renou-
vellement et la transformation du monde par
tous les efforts intelleéhiels, techniques et esthé-
tiques des siècles derniers; l'affirmation de plus
en plus consciente d'une universelle soHdarité
humaine, etc. Ce discernement devra s'inspirer de
deux principes : la croissance du Corps Mysti-
que, et sa catholicité théorique et historique —
qui conduira à une attitude de charité intellec-
connaissance de Jésus-ChriSt tout le genre humain et de
le conduire, par la connaissance de la loi évangélique, à
la gloire céleste. " ( S. Congrég. de la Propagande aux
Supérieurs de Missions, 7 décembre 1929.)
Ljes conditions de r essor 115
tuellei; mais, en même temps, l'immuable
consistance de l'Église divine, qui commandera
une intransigeance inflexible en matière de
vérité doétrinale.
SPIRITUALITÉ " TOTALE ".
^xêe sur le " ChriH-Koi ", la Spiritualité qu'at-
tend l'homme moderne pour entrer sans con-
trainte dans l'ÉgUse sera vraiment " cosmique".
C'eSt-à-dire qu'elle envisagera l'univers dans son
ensemble tel que Dieu a voulu le " récapituler
en Jésus-Chriét ". Sous cet angle, le " système
I. "Il e§t facile de montrer que la vérité presque tout
entière e§t répartie parmi les philosophes et les seétes.
Pour nous, en effet, nous ne combattons pas la philoso-
phie, comme le font d'ordinaire les Académiciens.
Leur but à eux e^ de trouver des objedions à toute
proposition. C'eét là plutôt plaisanter et se jouer. Nous
enseignons, au contraire, qu'il n'a point existé de seâe si
dévoyée ni de philosophe si vain, qu'il n'ait vu quelque
parcelle de la vérité... S'il s'était rencontré un homme
capable de rassembler et de réduire en un corps de doc-
trine la vérité disséminée chez les individus et diffusée à
travers les seâes, à coup sûr celm-là ne différerait point de
nous. Mais cela, nul ne peut le faire, à moins d'avoir
l'expérience et la science du vrai. Or, connaître la Vérité,
cela n'appartient qu'à celui qui eSt enseigné de Dieu. "
(Laâance, InSi. div., ^ra^ 7, P. L. VI, 758.)
E^sor ou déclin de P 'Église ii6
chrétien " e§t nettement optimiste : il montre
que le monde a un sens; qu'il n'eSl pas livré à la
" dialedique " aveugle de la matière, mais à
l'éternelle " prédestination " de toutes choses
en Jésus-Christ. Il montre que rien n'échappe
à sa Rédemption : que tout e§t lavé dans son sang :
** Terra,ponfm, afîra,mundus,quo lavantur flumine i,
et que, dès lors, le monde eSt signe d'amour.
Bien loin de le fuir, le chrétien a pour tâche de
" l'achever " et de " l'assumer ". " Omnia veHra
suntj vos autem CbriftiK " Du même coup se
trouve tracée sa route, et justifiée son " insertion
dans le temporel ". Au lieu de fermer les yeux au
progrès, le-chrétien y croit et y travaille, pour
** achever la création " et hâter la " parousie ",
où l'univers — corps mystique et création tout
entière — feront éclater le triotnphe du ChriSt-
Roi, en réalisant son " Plérôme ", l'achèvement
du Christ total ®.
Ne pensez pas. Nos Très Chers Frères, que
I. Hymne ** LuSfra sex *\ Laudes du Dim. de la Pas-
sion. — 2. I Cor., III, 23.
5. On connaît les belles pages du R. P. Huby, dans
son Commentaire de Kom., vin, 19 sq. (Colleâ. Verbum
Salufîi), tt II Pet., m, 13. Cf. aussi la Bible de Pirot qui
rapproche Isaïe, lxv, 67; lxvi, 22, de Rom., vin, 19;
Cor., VII, 31 ; Apoc, xxii, etc.
L,es conditions de P essor iif
cette conclusion sublime soit une simple vue
de l'esprit : c'e§t une perspeâive, familière aux
premiers chrétiens, mais de nos jours trop ou-
bliée. C'e§t en lui redonnant toute sa valeur que
l'ÉgUse retrouvera l'audience de l'honime
d'aujourd'hui. Car c'eSl à un humanisme dyna-
mique qu'il e§l tout près de se livrer. L'ËgHse
laissera-t-elle la copie appauvrie remplacer le
modèle parfait? et l'homme se contenter de
ses limites — homo homini deus — ou s'en déses-
pérer — c'est le nouveau *' mal du siècle " -^
alors qu'il peut, par elle, se dépasser sans cesse :
" vos autem Chrifîi, Chriitus autem Dei " ?
HUMANISME DE LA PERSONNE.
Disons cependant — avec la dernière net-
teté — que l'humanisme que présente l'Église ne
diffère pas seulement du " messianisme " athée,
comme Jérusalem diffère de Babel — c'eSt-à-dire
sur le plan de la cité — mais avant tout sur le
plan de la personne. Car si les sociétés, les institu-
tions et l'univers matériel lui-même sont appe-
lés à cette " rédemption", c'eêt toujours en
fonéHon de la personne humaine, et par elle;
Essor ou déclin de l'I^Iise ii8
c'est elle qui, le rè^e de Dieu étant présup-
posé, e§l " premi^e " dans l'intention créatrice
par rapport à la Société. L'oublier, c'eêt sacri-
fier le drame unique de la vie de chacun à la
réussite " eschatologique " de l'ensemble ;
c'eël transférer indûment au Groupe des préro-
gatives et une autonomie qui n'appartiennent
qu'à l'homme lui-même : " Dans un corps
physique vivant, précise l'Encyclique Myfîici
Corporis, chacun des membres, en définitive,
eél uniquement deéliné au bien de tout l'orga-
nisme; toute société humaine, au contraire,
pour peu qu'on fasse attention à la fin dernière
de son utilité, eél ordonnée en définitive au
profit de tous et de chacun des membres car ils
sont des personnes ^. "
Méconnaître cette vérité, en renversant
l'ordre des valeurs, c'eél préparer, et légitimer,
tous les asservissements, toutes les douleurs.
Précieux rappel, contre le collectivisme enva-
hissant.
I. MySfiei Corpork, p. 33.
119
HUMANISME DE LA GROIX.
D'autre patt, une place — très large, malheu-
reusement • — sera faite, dans cette synthèse,
au péché. Au mythe de la perfectibilité continue
de l'homme, on opposera le dogme — et
l'expérience — de la faute, et de la soufiFrance
rédemptrice : l'humanisme cosmique restera
un humanisme de la Croix. L'Église sait trop
bien le prix du Sang pour ne pas mettre le sacri-
fice au centre de ses perspeéHves terreélres ^.
Salut du monde et salut de la personne;
amour de la création et sens de la croix; progrès
et péché; salut du présent et réussite de l'avenir;
cité du ciel et cité de la terre : autant d'antino-
mies qui ne pourront se résoudre — du reéle,
I. " L'encre des savants e§t plus agréable à Dieu que
le sang des martyrs ", dit un proverbe arabe. ** Malheu-
reuse race, s'écrie Psichari, qui n'a pas compris ce que
valait la goutte de sang d'un martyr... et que l'encre
s'effacera, mais que la goutte de sang ne s'efifacera pas...
Malheureuse race qui n'a pas reconnu le prix du sacri-
fice, celui d'un frère pour ses frères, celui d'un Dieu pour
les hommes. Voilà ce qu'il en coûte de ne pas avoir eu
un Dieu qui ait connu la souffrance et qui soit mort sur
une croix de bois. " (Psichari, L£S Voix qui crient dans le
Désert.)
Essor ou déclin de PÉglke 120
au terme de patients efforts — que par une
Théologie basée sur la double réalité del'Église.
Éternelle et transcendante, elle refuse toute
concession, et tout compromis; incarnée dans
l'Histoire, elle en épouse les vicissitudes, pour
en être le ferment. Le même my^ère se retrouve
dans l'âme de chaque chrétien. Messager du
surnaturel, il ne craindra pas d'être " scandale "
et " folie *' aux yeux des hommes; citoyen de la
terre, il ** rendra à César ce qui eât à César " et
se donnera loyalement aux tâches d'ici-bas.
On le voit, l'engagement de l'Église, comme
celui des chrétiens, n'e^t plus une " option " —
exclusive^ d'une autre alternative, et par là,
partielle et privante. C'eft une synthèse et une
acceptation simultanée des deux appels.
;j. U engagement des
chrétiens
Cette conciliation des contraires n'e§t ni une
recette, ni un mélange : elle consiste unique-
ment dans une ju§te hiérarchie des valeurs.
L'essor de l'Église appelle donc un ordre, une
proportion, qui guideront l'aâion des chrétiens,
et qui peuvent s'exprimer en deux principes :
Primauté du Spirituel ; insertion dans le Tem-
porel.
I. PRIMAUTÉ DU SPIRITUEL :
L'APOSTOLAT
L'aftion du chrétien sera d'abord surnaturelle.
Elle sera un apoHolat, c'eât-à-dire la diffusion de
l'Évangile, et la communication de la vie
divine. De quoi s'agit-il, en effet ? d'étendre la
Rédemption, de sauver les âmes. Mais Dieu seul
peut opérer la conversion. On n'insistera jamais
Hssor ou déclin de r 'Église 124
assez sur ce point que l'apoêtolat eét essentielle-
ment œuvre divine. C'eêl la " charité " de Dieu
qui se communique au monde par le Chriét et
l'Église. Être apôtre c'e§l donc s'ouvrir au don
de Dieu pour pouvoir, modeSte instrument de
son œuvre, le communiquer au monde. Si donc
les instants décisifs que nous vivons demandent
des chrétiens une sympathie " catholique " pour
le monde en gestation, il importe, plus que
jamais, de partir de l'essentiel : la communi-
cation de la vie divine e§t l'origine comme la
fin de tout apostolat. Réalité transcendante
située au-delà des prises de l'homme livré à lui-
même, elle s'offre à l'apôtre dont l'attitude
foncière doit être celle de l'humble accueil.
La grâce eSt un don de Dieu, sans aucune pro-
portion avec nos forces naturelles. Les âmes ne
vont au ciel que par la Croix du Christ,
l'unique médiateur : " Je suis la voie, la vérité
et la vie^. " Plus que jamais se vérifie, à cet
âge d'athéisme, officiel ou pratique, la prédiétion
du Sauveur : " Sans moi, vous ne pouvez rien
faire *. " Ces paroles que le Pape Benoît XV
adressait aux Missionnaires en pays lointain,
peuvent s'appliquer à tous les chrétiens : " Que
I. Jean, xrv, 6. — 2. Ibîd. xv, 5.
L,es conditions de P essor 125
la confiance (de l'apôtre ) soit uniquement en
Dieu... Tout eSl divin dans l'apoâlolat mission-
naire. Car Dieu seul peut pénétrer l'intérieur de
l'âme, éclairer l'esprit... embraser la volonté;
Lui seul peut donner à l'homme les forces suffi-
santes à lui faire suivre le vrai et accomplir le
bien... Aussi le missionnaire travaiQera pour
rien si le Seigneur n'eSt pas avec lui ^. "
AI>0Sr01.A.r FONDÉ SUR L^ SAINTETÉ.
Mais comment introduire les " infidèles "
dans le " royaume qui n'e§t pas de ce monde ® "
sans employer des moyens transcendants ?
La mission de l'Église, ce n'eêt pas de " rétablir
le royaume d'Israël * ". Les âmes n'iront à la
Croix — " ^es unica " — que par la prière, la
pénitence, et la longue patience de la foi et de
la charité. " Toute réforme vraie et durable,
en dernière analyse, écrit Pie XI, a eu son point
de départ dans la sainteté, dans des hommes qui
I. Benoit XV, Épitre K^o§to)lo^<^ Maximum iUudy Éd.
U. M. C, p. 173. — 2. Jean, xviii, 36. — 3. Aâes, i, 6.
Bssor ou déclin de P Église 126
étaient enflammés... de l'amout de Dieu et du
prochain. Généreux... prêts à... tout appel de
Dieu... ils ont grandi jusqu'à devenir les lumiè-
res et les rénovateurs de leur temps. Là au
contraire où le zèle réformateur n'a pas jailU
de la pureté personnelle, mais était... l'explosion
de la passion, il a troublé au lieu de clarifier,
détruit au lieu de construire et il a été plus d'une
fois le point de départ d'aberrations plus fatales
que les maux auxquels il prétendait remédier ^. "
La leçon du Seigneur risque de nos jours d'être
trop oubliée : " Ce genre de tentations ne peut
se chasser que par le jeûne et la prière ^. "
Notre premier devoir, c'e§t la sainteté; c'eSl en
effet avec Dieu qu'il faut se mettre à l'œuvre et,
en définitive, commencer en soi-même la con-
version du monde. " Ce n'e§t pas, précise le
Souverain Pontife, que nous dédaignions les
ressources humaines, ni que nous blâmions
l'usage qu'on en fait en les mettant au service
de l'apostolat... mais l'erreur serait ... de faire
iond d'abord sut ces industries... et de ne recourir
aux forces surnaturelles de la grâce, par la
I. Pie XI, Encycl. Mit brennender S orge,
z. Marc, ix, 29.
Les conditions de V essor i2.f
priète et la pénitence, que comme à un renfort
subsidiaire*. "
Nous ne saurions trop insiâler sur ce primat
absolu qu'il convient d'accorder aux valeurs
surnaturelles, raison même de toute notre
œuvre. C'eSt à cette lumière que tous les autres
problèmes s'éclairent; c'eSt dans cette réalité —
sous la motion même de l'Esprit Saint dans
son Église et dans l'âme de l'apôtre — que tout
le reâle prend consistance.
l'ame de tout apostolat.
La vie intérieure, voilà donc " l'âme de tout
apostolat 2 ", l'antidote au naturalisme, la
garantie de la fidélité à 1' " Unique Nécessaire ^ ",
et au fond, la condition de la converrsion : car
l'homme moderne ne quittera jamais sa Mysti-
que pour une Foi au rabais. Ce dont il a soif,
c'est de l'Évangile, sans gauchissements. " Ils
se trompent, au grand dam des âmes, ceux qui
pensent les ramener plus facilement au devoir,
à la pratique de la religion, en desserrant le
I. Pie XII, Discours au Gtand Retour, 1946. —
2. Dom Chautard. — 3. Luc, x., 42.
Essor ou déclin de P Église 128
joug du Maître... ^ . " Ce qui ne signifie nullement
que l'apôtre ne doive pas, à l'exemple de saint
François de Sales, faire aimer la " vraie dévo-
tion ". Mais ** ils ne se trompent pas moins
ceux qui ne montrent de la route que les ronces et
les épines, qui ne songent pas à la faire aimer ^ ".
Il faudrait reprendre ici toute la Tradition
spirituelle de l'Église — magistère, auteurs
mystiques — pour montrer que sans un con-
ta6t étroit et assidu avec le Christ, il n'eSt ni
sainteté, ni apostolat. L'apôtre, prêtre ou laïc,
devra donc mettre au premier plan des valeurs
de son existence la prière, le recueillement
silencieux,^ l'oraison et tout ce qui la nourrit :
retraites, récolledtions, vie sacramentelle. L'Office
divin devra être la nourriture quotidienne du
ministre de Dieu qui puisera par ailleurs dans
une grande dévotion, et surtout dans l'amour
de la Très Sainte Vierge, la sève dont il a besoin.
Mais, oraison mentale, leéture spirituelle. Saint
Sacrifice de la Messe, vie sacramentelle, ne
sont pas seulement des " pratiques" auxquelles
il faut sacrifier une part plus ou moins notable
d'a£tion : c'eSt la source indispensable, l'ali-
ment substantiel d'une vie chrétienne; il ne
I. Pie XII, Ibid. — 2. Ibid.
L.es conditions de V essor 129
s'agit donc pas d'iin vernis superficiel ou d'un
régime artificiel qu'on peut doser à volonté :
il n'y aura d'authentique apostolat qu'à la seule
condition de puiser en Dieu, dans le Chri§t et
son Église, la vie divine que nous avons mission
de communiquer.
APOSTOLAT " RÉALISTE ".
Pleinement surnaturel, rJlpoHolat devra en
effet être aussi adapté. A condition de ne pas se
méprendre sur ce mot. adaptation ne signifie
pas : accommodements ; remplacement systémati-
que du " vieux " par du " neuf ", encore moins
mutilation du message^ mais seulement " Incarna-
tion ", intégrale et intelligente, de ce dernier
dans le " donné " à convertir ^. Or celui-ci n'e§t
pas toujours ni partout identique. C'eSt ce qui
explique — et légitime — que les " méthodes
d'apostolat " varient avec les époques. Ce fait
eêt si important qu'il commande toute la marche
I. " L'adaptation n'eSt qu'une conséquence pratique
de la conception catholique de la Nature. Elle eSt un cas
spécifique de l'Incarnation. " (L. de Coninkc, S. J.,
JLej" ^Problèmes de r adaptation en apoHoIaty Nouvelle Revue
Théologique, oâ:obre 1946, p. 186 sq.)
5
Essor ou déclin de l'Église 130
à suivre de nos jours. La première tâche, celle
qui s'impose avant toute démarche, c'est de
" s'arrêter et de s'asseoir ^ " pour étudier les
conditions présentes de rechriStianisation du
monde.
APOSTOî^AT MISSIONNAIRE.
Or, dès l'abord, une évidence s'impose :
celles-ci diffèrent du tout au tout des méthodes
traditionnellement employées, aux temps de
" chrétienté ". Au moyen âge, en effet, et même
jusqu'au xix© siècle, le christianisme était loca-
lisé, sur la planète, et l'apoStolat missionnaire
était " géographique ". Les missionnaires
"sortaient " de la chrétienté pour aller prêcher
aux " nations infidèles ". Le paganisme était
" extérieur " à la société chrétienne. Aujour-
d'hui, au contraire, les deux cités " ne sont
plus extérieures, mais intérieures, l'une à
l'autre, et étroitement " imbriquées ". La société
païenne pénètre, de partout, dans la vie journa-
I. Lue, xrv, 28.
L,es conditions de l^ essor 131
lière des chrétiens. Une " société chrétienne "
close, à Pabri des influences païennes, e§t deve-
nue, semble-t-il, aduellement impensable. La
France n'eSt pas seule à être devenue *' pays
de mission ". Plus sensible chez nous, le phéno-
mène eêl latent partout, et se vérifiera, vraisem-
blablement, de plus en plus. Cet état de choses,
absolument nouveau à cette échelle mondiale,
entraîne deux conséquences.
A LA MANIÈRE DU FERMENT.
La première, c'eél que l'apostolat moderne ne
saurait être aucunement une attitude négative de
recul ou de protection à l'égard des influences
pernicieuses, pas plus qu'une " propagande ",
ni même une " conquête ", si on entend par là
une annexion " extérieure " de sujets ou de cou-
rants humains. La " victoire " de l'Église n'est
pas une question d'isolement : on ne peut pas
plus " isoler " le fait chrétien qu'on ne peut
soustraire un organisme aux baâ:éries perni-
cieuses : il les respire tous les jours, mais sa
réaétion en triomphe. Ainsi en va-t-il du chré-
tien. Son action s'en trouve toute tracée ;
Essor ou déclin de l^ Église 132
c'eSl un " conflit de virulences ", étant bien
entendu que l'une eêl sans mesure par rapport
à l'autre. Il ne choisit pas sa méthode; son mode
d'agir lui e§t imposé par le milieu où il e§t plongé :
c'est l'aétion du levain. Sans se déplacer, il se
trouve investi d'un devoir et d'une tâche de
missionnaire ^. Son effort ne consistera donc
pas seulement à recruter, à " faire venir à lui "
les incroyants, mais encore et surtout à se mêler
à eux pour les sauver tels qu'ils sont : a^ion
centrifuge, qui doit faire de l'Église le " ferment "
de la masse immense et le sang jeune qui lui
rendra la vie 2. Cette aéfcion missionnaire " sur
place ", notre communauté catholique, qui n'a
pas cessé d'envoyer ses fils et ses filles dans les
terres lointaines, l'a trop longtemps oubliée
ou même suspeftée en raison des dangers du
1. " Devenir des maîtres de la foi e§t une œuvre qui
assimile bien un chrétien de nos régions aux mission-
naires qui, aux confins les plus éloignés de l'univers
chrétien, portent la première lumière de la vérité évangé-
lique dans les ténèbres du paganisme. *' (Pie XI, Discours
aux Évêques et Pèlerins de Yougoslavie, 18 mai 1929.)
2. ** Les besoins et les conditions de notre époque ont
élargi de jour en jour le champ de l'apoStolat; de nou-
veaux et grands combats se livrent le long des voies ou
sur des terrains que le développement de la civilisation
nous a ouverts. " (Pie XI, Lettre à Mgr Skwireckas et
aux Évêques de Lithuanie, 27 décembre 1930.)
JLes conditions de l'essor 133
laïcisme ambiant : de là, une attitude de défense,
qui se traduit, de nos jours encore, par une
redoutable force d'inertie. Et pourtant, chaque
chrétien peut faire sienne, à la mesure de son
rôle, cette consigne du Pape Benoît XV au
" chef de mission " : " Aussi loin que s'étende
la région qui con^tue son territoire, il eêt tenu
de travailler au salut de tous ses habitants, si
nombreux soient-ils. Avoir amené à la foi quel-
ques milliers de païens, sur une foule innom-
brable, ne l'autorise pas à se reposer... ^, "
LE TEMOIGNAGE.
Mais par quels moyens le chrétien pourra-t-il
être ce " ferment " ? Grâce à Dieu, les expé-
riences de ce genre ne manquent plus, aujour-
d'hui, et nous apportent la réponse. Les apôtres
des milieux déchristianisés découvrent chaque
jour que, pour parler de la " Bonne Nouvelle ",
il faut d'abord vivre de la même vie, comme le
Chriél " qui a habité parmi nous ^ " et comme
lui, partager les joies et les peines, les décep-
1. ^en.oit'KN y Maximum illud.,^à..1J. M., Q,,^. 163.
2. Jean, i, 14.
Essor ou déclin de l^ Église 134
tions et les espoirs, être solidaire des ju§lcs
aspirations du milieu. Car la vérité chrétienne
n'eSt pas un système qixi s'impose de l'extérieur
par le prestige de ceux qui l'enseignent, ni même
par sa seule rigueur objective : elle se propose
comme un témoignage. Or, la présence, non
seulement physique, mais spirituelle, qui sup-
pose la Communauté de vie, e§t essentielle au
témoin. C'e§t le sens de cette formule que Ton
comprend parfois de façon superficielle, mais
qui recouvre un sens profond : " l'apoêtolat du
semblable par le semblable". Formule qui ne
signifie pas que soient exclus de l'apostolat
chrétien, _dans un milieu déterminé, ceux que
sépareraient une différence de race ou de classe,
mais qui exige de ces apôtres de renoncer à
leurs particularismes pour " se faire tout à
tous ". La loi essentielle de l'ApoStolat, c'eSt
" l'Incarnation ".
INCARNATION ASCENDANTE.
Mais celle-ci ne doit pas prêter à confusion.
Elle ne consiste pas uniquement en un ajuste-
ment faétice et superficiel : lorsque le Verbe
L.es conditions de l'essor 135
" s'e^t fait chair ^ " il s'e§t fait " pleinement
homme " comme nous. Surtout, il ne s^eét pas
borné à ce mouvement " descendant " : il a
^m notre nature et l'a " assumée", telle quelle —
" ahsque peccato " — pour l'introduire dans la
gloire du Père, à l'Ascension. Mouvement
ascendant qui couronne et motive à la fois sa
venue parmi nous. " Dieu s'eSt fait homme
pour que l'homme se fasse Dieu. " Tel est, se-
lon les Pères, le " circuit " total de l'Incarnation
rédemptrice. L' " incarnation " du chrétien sui-
vra son modèle. Être apôtre, c'eSt tout pren-
dre, tout pénétrer, — en cequi peut être légi-
timement assumé, — de l'homme et du monde
qu'il s'eél façonné. Tout, c'eSt-à-dire — sauf le
péché — toutes les valeurs, même étrangères
jusque-là au christianisme — quand elles ne sont
pas, simplement, ses propres " idées dévenues
folles 2 ". La discrimination de ces vérités frag-
mentaires e§t une œuvre délicate. Mais c'eSt la
condition " sine qua non " de la pénétration tout
ensemble efficace et durable, qui s'impose à l'É-
glise comme l'une des tâches les plus urgentes
d'aujourd'hui. C'e^t ainsi qu'il faut entendre
son aâion de " levain dans la pâte ". Cette
\i Jean, i, 14. — 2. Chesterton.
Essor ou déclin de l'Église 136
dernière n'e§t pas dénaturée, mais soulevée
par sa fermentation. De même, l'adhésion au
Christianisme ne suppose aucun renoncement à
aucune valeur humaine authentique — pas
plus que le missionnaire apportant la bonne
nouvelle à un peuple de vieille civilisation,
comme l'Inde ou la Chine, ne demande au
néophyte de renoncer à sa culture ou à son
héritage ance§tral. Ainsi, rien de ce qui fait
l'apanage légitime de l'ouvrier ou de l'intellec-
tuel moderne ne doit être abdiqué — encore
une fois, sauf le péché. Car l'Évangile eSt deétiaé
à toute créature : " Praedicate omni creaturae ^. "
Bien entendu, H n'eât pas d'aétion humaine sans
péril et sans déficits : le partage de la vie peut
s'infléchir parfois en partialité ou en compUcité,
en timidité ou en faiblesse. Mais ces défaillances
individuelles ne doivent pas faire méconnaître
la valeur des méthodes et des fruits déjà récoltés.
En aucun cas, les tâtonnements, ou les erreurs
des pionniers ne peuvent servir de prétexte à
l'inaétion de l'ensemble des fidèles.
De la "Loi d'iacarnation ", intégralement
comprise, nous voudrions. Nos Très Chers
Frères, tirer deux conclusions pour le présent.
I. Marc, XVI, 15.
137
ACTION CATHOLIQUE.
La première, c'e§t que l'ApoSlolat doit être
à base d'yLBion Catholique. De celle-ci, nous
avons, pour la France, esquissé le bilan — résul-
tats et espérances. Nous rappelons mainte-
nant toute la valeur que nous y attachons et
ce que nous attendons d'elle. Les raisons qui lui
ont donné naissance n'ont fait que se renforcer et
la consigne du Pape reéte toujours actuelle :
" Les circonstances nous tracent clairement la
voie dans laquelle nous devons nous engager.
Comme à d'autres époques de l'Histoire de l'É-
glise, nous aflfrontons un monde retombé en
grande partie dans le paganisme. Pour ramener
au Christ ces diverses classes d'hommes qui
L'ont renié, il faut avant tout recruter et former
dans leur sein même des auxiliaires de l'Église
qui comprennent leur mentalité et leurs aspira-
tions, et qui sachent parler à leurs cœurs dans
un esprit de fraternelle charité. Les premiers
apôtres, les apôtres immédiats des] ouvriers
seront des ouvriers; les apôtres du monde
industriel et commerçant seront des industriels
Essor ou déclin de l* Église 138
et des commerçants ^. " Cette aéHon ne scta,
souvent, pas plus visible que celle du levain qui,
lorsqu'il a pénétré dans la pâte, disparaît et
semble englouti. A l'heure présente, nos Mouve-
ments d' Action Catholique, tout en conservant
le souci de " faire choc ", de témoigner de leur
Foi, comprennent de mieux en mieux la liaison
indispensable de leur apostolat avec les gestes
concrets de la charité du Christ pour la construc-
tion d'un monde meilleur : quand la vitalité
religieuse eSt en recul dans une société, la vie
Religieuse se réfugie dans les seuls aâes cultuels ;
à l'inverse, quand elle eSt en progrès, elle se
difluse, à partir des ades du culte, dans toutes
les aâivités du chrétien, même les plus profanes
en apparence : " Sive manducatis, sive bibitis,.. ^. "
AXÉ SUR LA CLASSE OUVRIERE.
Le seconde conséquence de cette " Incarna-
tion réaliste ", c'est que l'apoStolat moderne,
sans oublier personne, sera surtout axé sur la
classe ouvrière. D'abord sans doute parce que
1. Pie IKly Quadragesimo A.nno, 15 mai 193 1.
2. I. Cor., X, 31.
L^s conditions de T essor 159
ce sont surtout les masses laborieuses qui sont
aârueUement coupées de l'ÉgUse, et que leut
évangéUsation pose des problèmes qu'il nous
faut coûte que coûte résoudre si nous voulons
que le xx® siècle rende au Chri^ les foules que
le XIX® siècle lui avait enlevées. Mais aussi parce
que l'Église a trop le sens de la dignité humaine
pour ne pas encourager de sa clairvoyante
sympathie l'ascension de la classe ouvrière vers
sa place légitime dans la Nation. Cet effort sera
principalement un effort d'éducation : par tous
les moyens — travail, loisirs, famille, vie spiri-
tuelle, etc. -— préparer la " déprolétarisation
intérieure " conçue non pas pour une petite
élite, mais pour la masse des travailleurs à qui
il ne s'agit pas de donner une reHgîon de
seconde 2one ou une morale de *' sous-prolé-
tariat " : mais à qui il faut révéler leur dignité
sublime de fils de Dieu ^. " Car l'Église, qui
a pour chef le divin ouvrier de Nazareth... par
la force de sa doctrine et de son aâion persé-
vérante, a arraché les ouvriers... à l'esclavage
I. Chanoine Cardyn, Conférence aixx Aumôniers
fédéraux, novembre 1946, Notes de pastorale jociSte,
février 1947.
Essor ou déclin de V 'Église 140
et les a élevés à la dignité de frères de Jésus-
Christ 1."
C'est en confiant au Laïcat des responsabilités
de plus en plus étendues et en l'associant tou-
jours plus étroitement aux efforts de la Hiérachie,
que se feront les transformations profondes
indispensables à la chriâtianisation du monde.
APOSTOLAT COMMUNAUTAIRE.
Cet effort conjugué indique que l'apoétolat
doit être communautaire. Il doit l'être deux fois.
Cette consigne s'applique d'abord aux apôtres
— ^prêtres et militants — et signifie qu'ils ne
peuvent sans péril ou sans StériUté rester soli-
taires. La garantie de leur vie intérieure, comme
de leur persévérance morale, et leur réconfort
mutuel, c'eêt la communauté. Celle-ci n'eât pas
nécessairement la cohabitation physique. Elle
suppose surtout l'esprit d'équipe. Elle exige
que les Messagers de l'Évangile n'agissent pas
en francs-tireurs, mais s'adonnent à la même
I. Pie XI, Lettre au Cardinal de Lisbonne, 10 novem-
bre 1933.
I^es conditions de l'essor 141
aâion dans une totale convergence de vues et de
méthodes. Le rendement en sera décuplé.
Isolé, le chrétien eSt un îlot dans une nappe
d'indifférence. Même s'il s'y montre fidèle, il
ne " débouche " pas dans la société.
C'est ce qui fait comprendre que la commu-
nauté ne concerne pas seulement les apôtres :
elle concerne aussi et surtout tous ceux qu'ils
atteignent. Sans doute, une conversion totale ne
peut s'opérer sans des relations d'âme à âme,
qui supposent des contacts individuels. Mais
on ne peut s'en tenir là. Il faut compter avec
la communauté et sur eUe. On ne sauve le
groupe que par le groupe : il a " grâce d'état "
pour cela. Aujourd'hui surtout où la forme
sociale acquiert une telle importance et accroît
si fort sa pression, ce n'e§t plus seulement l'indi-
vidu, c'eSl le groupe lui-même qui doit se faire
missionnaire. Ce sont les communautés natu-
relles : foyers, communautés d'immeubles, de
quartiers, de travail, de loisirs, etc., qui doivent
porter témoignage et communiquer le message.
A une condition toutefois, c'eél de ne pas
céder à ce qu'on pourrait appeler la " tentation du
Thabor " : Seigneur, il nous e§t bon d'être ici... ^ "
I. Luc, IX, 33.
Essor ou déclin de l* Église 142
— c'eSt-à-dire de ne pas se renfermer sur soi
en oubliant la mission essentielle. Ces commu-
nautés n'ont pas, en effet, leur fin en elles-mêmes.
Elles sont à la fois le produit et le point de
départ d'un mouvement missionnaire. Elles
doivent alimenter la vie spirituelle, mais sans
arrêter leurs membres sur la route : ils s'y
abreuvent et ils passent. Faire au contraire de
leur charité fraternelle et de leur ferveur le but
de l'aébion, ce serait s'exposer à un double risque :
l'égoïsme, qui se contente de ce qu'il a ; l'exclu-
sivisme, qui se ferme aux âmes du dehors. Ce
n'eêt pas ainsi qu'on entendra les communautés :
elles seront accueillantes et ouvertes à tous.
PAROISSES ET COMMUNAUTES NOUVELLES.
Ces communautés seront très diverses :
paroisses, équipes missionnaires, équipes d'Ac-
tion Catholique.
Les paroisses demeurent les communautés
de base de l'Église, pourvu qu'elles se fassent
plus accueillantes et plus adaptées. Avec d'au-
tres, la Mission de France y travaille.
Dans des secteurs plus paganisés que la pa-
Les conditions de P essor 143
roisse ne peut atteindre, des équipes mission-
naires ont à susciter des communautés nouvelles,
ouvertes à ceux " qui viennent de loin ".
Des tentatives sont faites dans ce sens par la
Mission de Paris.
En liaison avec les unes et les autres, les
équipes d'Aâion Catholique portent dans les
institutions de leurs différents milieux la pré-
sence aéHve de rÉgUse.
Nous désirons que les paroisses travaillent
de plus en plus avec tous ces groupes avancés,
et, à leur contad, intensifient leur esprit mission-
naire.
CRITÈRES d'orthodoxie
Problèmes nouveaux, apostolat nouveau. La
voie reste toujours ouverte aux formules de
recherche et de pénétration. Mais il faut, à ces
essais, une garantie. A quels signes reconnaîtra-
t-on les tentatives valables ? Le sens surnaturel
des âmes, l'esprit de foi et d'humilité, la charité
persévérante sont déjà des critères, ainsi que
le bon sens et la juSte appréciation des réalités.
Mais surtout, c'eSt l'amour de l'Église qui ser-
Essor ou déclin de F Église 144
vira de pierre de touche pour décider du bien-
fondé de ces démarches.
SENS FILIAL DE l'ÉGLISE.
Il faut que ceux qui s'y livrent ne soient pas
seulement " dans " l'Église, mais " de " l'Église ".
Ge rappel e§t très important, à l'heure aétuelle.
Car rien ne compromettrait l'élan conquérant
comme une dispersion anarchique. C'eât ce qui
menacerait un certain nombre d'initiatives, si
elles ne renforçaient leurs liens avec la Hiérar-
^chie. Coupées d'elle, il leur arriverait très vite
de s'égarer. Au contraire, '* tant que le membre
eât encore attaché au corps, il ne faut pas déses-
pérer de sa santé; mais s'il en e^ retranché, il ne
peut plus ni être soigné, ni être guéri ^ ".
L'Église eSl donc la grande garantie 2. *' On ne
peut pas avoir Dieu pour Père quand on n'a
pas l'Église pour Mère, affirme saint Cyprien...
Celui qui amasse ailleurs que dans l'Église
1. Saint Augustin, Serm., cxxxvii, i.
2. On a écrit, sans porter atteinte, bien entendu, à
l'autonomie primordiale de la personne et en se plaçant
au seul point de vue de l'aâion du chrétien, que celle-ci
ne s'explique que " comme une fonction de la ruche
même... Transférer les prérogatives de la ruche à l'abeiUe,
c'eét faire mourir l'une et l'autre ". (P. Charles, L.a Robe
sans couture^ p. 129-130.)
JLes conditions de l'essor 145
disperse l'Église du Christ... Il eêl écrit à propos
du Père, du Fils et de l'Esprit : " Les trois ne
sont qu'un. " Comment cette unité dérivée de
cette solidarité divine... pourrait-elle être morce-
lée dans l'Église ? Celui qui n'observe pas cette
unité n'observe pas la loi de Dieu... il ne garde
ni la vie, ni le salut ^. "
MYSTIQUE DE LA HIÉRARCHIE.
Mais où donc eSt l'Église ? Autour de sa
Hiérarchie. Celle-ci n'eêt pas uniquement cette
autorité, visible, et extérieurement comparable
aux autres pouvoirs humains, qu'on remarque en
elle. C'est un " mystère ", comme l'Église même :
" Uhi Ecclesia, ibi ChriHm ; uhi Petrus, ihi Eccle-
sia. " Le Souverain Pontife eét le sommet de
l'unité. Mais chaque ÉvêqueuniauPape e§t, éga-
lement, successeur des Apôtres, et représentant
direâ; du Christ. Ainsi," que là où eSl l'Évê-
que, là soit aussi son peuple; comme là où e§t
Jésus-Christ, là eSt l'Église catholique ^ ".
Sans ce respeâ; profond et filial pour le
PaSteur du Diocèse " Sacerdos et Pontifex ",
1. Saint Cyrien, De XJnîtate Ecclesiae, 46 p., 13.
2. Saint Ignace d'Antioche, Smyrn^ 8.
Essor ou déclin de l^Église 146
expression la plus complète du Pontificat du
Christ; et sans cette obéissance loyale aux direc-
tives du Pape, " Vicaire de Jésus-ChriSt ", il
n'e^ pas d'apôtres. Le laïcat n'a de sens que
dans ces perspe£tives, où l'ordre rejoint la mys-
tique, en la personne des Pasteurs. Dès lors, ni
" laïcalisme ", ni " cléricalisme " : il faut que
tous, prêtres, religieux ou laïcs, nourrissent à
l'égard de la Hiérarchie un esprit d'obéissance
vraiment filiale, dans xme confiance réciproque.
A tous ces signes, on reconnaîtra la marque et
le souffle de l'Esprit-Saint.
II. URGENCE DE L'ACTION
TEMPORELLE.
LES CHRÉTIENS DANS LA CITÉ.
La mission de l'Église se limite-t-elle à l'Apos-
tolat ? Certains le pensent : nous avons vu leurs
obje<5tions à une " insertion dans le temporel " :
ce serait trahir le Royaume de Dieu, qui n'eSt pas
de ce monde, ce serait paâiser avec l'idolâtrie
JLes conditions de Pessor 147
contempotaine de la terre. Nous avons déjà
répondu à cette fausse conception.
LÉGITIMITÉ DES TACHES DE LA TERRE.
Qu'il suffise ici de rappeler brièvement que,
sans " Incarnation ", il n'y a plus d'Église et
qu'à vouloir nier la vie de l'homme " selon
la chair ", on finit par détruire le spirituel lui-
même, et par tomber dans le Protestantisme.
Car s'il e§t vrai que l'ÉgHse e§t le royaume des
âmes, que sa fin eét absolument surnaturelle, et
que, par là, elle ne poursuit pas direffcement le
bonheur et la civilisation d'ici-bas, elle s'en
occupe, en revanche, d'un autre point de vue :
parce que l'homme e§t corps et âme, mortel et
immortel, eUe se soucie de tout ce qui, en lui,
sert d'assise naturelle au surnaturel. Car " la
grâce ne détruit pas la nature " : elle l'élève et
la perfectionne ". Et par ailleurs, messagère et
" inélrument conjoint " du Christ Rédempteur
dont elle eSt la vivante incarnation ^, elle se doit
I. *' Le Sauveur agit en Dieu, mais aussi en homme...
Re§té homjne, il continue d'agir comme un homme agit,
pas uniquement comme Dieu agit. Il se sert, de nos jours,
non seulement de sa toute-puissance divine, ou d'énergies
Essor ou déclin de l'Églùe 148
d'étendre à tout le créé le bienfait du renouvelle-
ment. Le Christ n'e§t pas venu pour excommu-
nier le monde, mais pour le baptiser dans son
sang. Dès lors, le chrétien a non seulement le
droit, mais le devoir d' " achever " la création,
et de travailler à la cité d'ici-bas. " Le Tempo-
rel est une réalité blessée qu'il faut aimer d'un
amour rédempteur ^. "
l'optimisme chrétien.
Comme nous sommes loin. Nos Très Chers
Frères, de ce faux portrait de chrétien qu'on se
plaît à décrire : méfiant et désarmé à l'égard du
purement spirituelles, mais encore de toutes les ressour-
ces... de la nature, laquelle... e§t sa création. Toute l'huma-
nité, c'eét-à-dire tout l'humain, peut être, doit être
utilisé par le Christ. Toute l'aâivité noblement humaine
doit devenir " sacramentale ", c'eSt-à-dire porteuse
d'efficacité surnaturelle. " (L. de Coninck, 0. e., p. 686.)
I. " Aimer les créatures de Dieu, l'eifort humain, les
joies humaines, c'eSt non seulement permis ,c'e§t com-
mandé : il faut le faire pour ressembler au Christ et
accomplir son devoir... Le chrétien aime le temporel
comme quelque chose qxii doit l'aider à rejoindre son
Dieu... Le Christianisme dès lors condamne avec énergie
non pas l'amour, mais l'idolâtrie du temporel. " (J.
Mouroux, ILe Sens chrétien de l'homme, p. 16.)
JLes conditions de l'essor 14a
présent, inutile à la société ^, C'eSl au contraire
sur nos œuvres, eiFeâives, réelles, que le Christ
nous jugera : " J'avais faim... et vous m'avez
nourri; j'étais en prison et vous m'avez visité \ "
La voie qui vous eét tracée par l'Église n'eât
pas différente : c'eSt un authentique engage-
ment. " Croître, et posséder la terre ^ ", par
votre travail et vos découvertes, pour en faire
l'offrande, ensuite, au Créateur, qu'y a-t-il de
plus religieux ? " C'eSt le Créateur de toutes
choses qui a mis au cœur de l'homme l'irrésiâti-
ble aspiration à trouver, même sur cette terre, le
bonheur convenable et le catholicisme approuve
tous les justes efforts de la vraie civilisation
et du progrès bien compris pour la perfeâion
et le développement de l'humanité *. " " Ce
serait mal interpréter nos paroles contre le maté-
rialisme, précise pareillement Sa Sainteté Pie XII
que d'en déduire une condamnation du progrès
1. " Le chrétien n'eSt pas un lâche qui craint d'é-
treindre la vie, ni un faible qui redoute d'affronter la
joie, ni un vaincu. Il e§t un homme lucide et décidé qui
sait que tout doit être purifié, la nature, le travail, Tamour,
la personne elle- même, et qu'avec le Christ il eât capable
de tout purifier. " (J. Mouroux, 0. c, p. 21.)
2. Matth., XXV, 31-46. — 3. Genèse, i, 8.
4. Pie XL Caritate compulsif 3 mai 1932.
Essor ou déclin de l'Église 150
technique. Non, nous ne condamnons pas ce
qui e§t un don de Dieu, qui.., a caché dans les
entrailles... du sol, aux jours de la création du
monde, des trésors... que la main de l'homme
devrait en tirer pour ses besoins... pour son
progrès ^. " N'ayez donc pas peur d'être moins
chrétiens en étant plus hommes. Chaque nou-
velle conquête sur le monde, c'eSt une province
que vous annexez au domaine universel du
Chri§t-Roi. La consigne du Pape e§t formelle :
" L'Église ne peut pas s'enfermer inerte dans
le secret de ses temples et déserter ainsi la
mission que lui a confiée la Providence divine,
de former l'homme complet... 2. "
" A l'œuvre donc, et au travail, fils bien
aimés... ne restez pas inertes au milieu des ruines.
Sortez-en pour reconstruire un nouveau monde
social au Chri^... ^. " La cause e§t entendue :
non seulement " Présence au monde ", mais
"Progrès ". " Il ne peut être question pour une
âme chrétienne, qui pèse l'Histoire avec l'Esprit
du Christ, de retour vers le passé, mais seule-
ment du droit d'avancer vers l'avenir et de se
I. Pie XII, Radio-Message, Noël 1941. — 2. Pie XII,
Discoiirs aux nouveaux Cardinaux, 20 février 1946. —
3. Pie XII, Noël 1943.
Les conditions de r essor 151
dépasseï:^. " Ces derniers mots. Nous les
reprenons à notre tour. Nos Très Chers Frères,
pour vous dire, de la façon la plus formelle :
allez de l'avant, travaillez à construire ce monde
nouveau. Il dépend de vous qu'il soit, ou qu'il
ne soit pas chrétien. Le monde appartiendra à
ceux qui l'auront " conquis " les premiers. Il
dépend donc de vous d'assurer le Printemps de
l'ÉgHse.
Dans la pratique, qu'allez- vous faire? C'eSt
la question que se posait saint Paul, après le
chemin de Damas : " Domine ^ quidme visfacere ?"
Et la réponse lui parvient aussitôt : " SUrge,
ingredere civitatem ^ \ " Entrer dans la cité, en
devenir le citoyen a6tif, cela désigne un double
programme.
I. I.A. tAche des intellectuels.
Nous avons dit le rôle général des intelleéhiels
dans l'élaboration de cette" Synthèse catholique"
qui doit concilier Tradition et Progrès, transcen-
I. Pie XII, 13 mai 1942. — 2. Aûes, ix, 6.
Essor ou déclin de F Église 152
dance et incarnation. Il nous reSte ici à préciser
les tâches particulières que leur trace cette
grande mission.
AUTONOMIE LÉGITIME.
Rappelons d'abord que ce labeur reSte indé-
pendant : " L'Église n'entend pas prendre parti
contre l'une ou l'autre des formes concrètes et
particulières par lesquelles les divers peuples ou
États tendent à résoudre les problèmes gigan-
tesques de l'organisation intérieure comme de
la collaboration internationale, tant que ces
solutions respeâient la loi divine 1. " Elle n'a pas
mission de résoudre direétement des problèmes
qui relèvent de la technique. Elle laisse aux
compétences leur légitime autonomie : elle ne
s'inféode à aucun système, scientifique, social
ou politique; et elle donne aux chrétiens la
liberté de leurs options et de leurs recherches.
Celles-ci ont leurs méthodes propres, et leur
objet déUmité. Cette diêtinétion e§t indispensa-
ble, pour éviter toute confusion de " royaumes".
Il ne faut donc pas attendre de l'Église ce qu'elle
I. Pie XII, Message de Noël 1942.
Lues conditions de l'essor 153
ne peut ni ne doit réaliser : elle anime tout,
mais elle ne façonne pas, elle-même, la civilisa-
tion^. Ce n'est pas elle qui va préfigurer les
Struéhires de demain : elle respeéte trop les
droits et la libre initiative de l'homme.
INITIATIVES DES PENSEURS.
Mais ce qu'elle ne peut pas faire elle-même,
les chrétiens peuvent et doivent l'accomplir.
Parce qu'ils sont aussi de ce monde, ils ont le
droit, autant que les autres, de prendre part à
toute poursuite du vrai, et à tous les débats, à
toutes les transformations d'une cité dont ils
sont les citoyens. Les " enfants de lumière
?>
I. " Dans toutes les limites de la loi divine qui vaut pour
tous et dont Tautorité oblige non seulement les individus
mais les peuples, il y a un large champ et une liberté de
mouvements pour les formes les plus variées... Gardienne
et maîtresse des principes de la foi et de la morale... le
seul intérêt et le seul désir de l'Église e§t de transmettre à
tous les peuples sans exception, avec ses moyens éduca-
tifs et religieux, la source claire du patrimoine et des
valeurs de la vie chrétienne afin que chaque peuple,
dans la mesure qui correspond à ses particularités, use
des do(ftrines et des motifs éthico-religieux du Chris-
tianisme pour établir une société humainement digne...
source de véritable bien-être. " (Pie XII, Noël 1940.)
Essor ou déclin de l'Église 150
technique. Non, nous ne condamnons pas ce
qui c§t un don de Dieu, qui... a caché dans les
entrailles... du sol, aux jours de la création du
monde, des trésors... que la main de l'homme
devrait en tirer pour ses besoins... pour son
progrès ^. " N'ayez donc pas peur d'être moins
chrétiens en étant plus hommes. Chaque nou-
velle conquête sur le monde, c'eSt une province
que vous annexez au domaine universel du
Chri§t-Roi. La consigne du Pape eêl formelle :
" L'Église ne peut pas s'enfermer inerte dans
le secret de ses temples et déserter ainsi la
mission que lui a confiée la Providence divine,
de former l'homme complet... ^. "
" A l'œuvre donc, et au travail, fils bien
aimés... ne restez pas inertes au milieu des rxiines.
Sortez-en pour reconstruire un nouveau monde
social au Chriét... ^. " La cause eél entendue :
non seulement " Présence au monde ", mais
"Progrès ". " Il ne peut être queélion pour une
âme chrétienne, qui pèse l'HiSloire avec l'Esprit
du Christ, de retour vers le passé, mais seule-
ment du droit d'avancer vers l'avenir et de se
I. Pie XII, Radio-Message, Noël 1941. — 2. Pie XII,
Discours aux nouveaux Cardinaux, 20 février 1946. —
3. Pie XII, Noël 1943.
I^es conditions de l'essor 151
dépasser^. " Ces derniers mots. Nous les
reprenons à notre tour. Nos Très Chers Frères,
pour vous dire, de la façon la plus formelle :
allez de l*avant, travaillez à construire ce monde
nouveau. Il dépend de vous qu'il soit, ou qu'il
ne soit pas chrétien. Le monde appartiendra à
ceux qui l'auront " conquis " les premiers. Il
dépend donc de vous d'assurer le Printemps de
l'ÉgHse.
Dans la pratique, qu'allez-vous faire ? C'e^
la question que se posait saint Paul, après le
chemin de Damas : " Domine, quidme visfacere ? "
Et la réponse lui parvient aussitôt : " Surge,
ingredere civitatem 2 ! " Entrer dans la cité, en
devenir le citoyen aétif, cela désigne un double
programme.
I. 1.A TÂCHE DES INTEL.LECTUELS.
Nous avons dit le rôle général des intelleétuels
dans l'élaboration de cette " Synthèse catholique "
qui doit concilier Tradition et Progrès, transcen-
I. Pie XII, 13 mai 1942. — 2. Aétes, ix, 6.
'Ejsor ou déclin de l* Église 15 ^
dance et incarnation. Il nous reSte ici à préciser
les tâches particulières que leur trace cette
grande mission.
AUTONOMIE LÉGITIME.
Rappelons d'abord que ce labeur reSte indé-
pendant : " L'Église n'entend pas prendre parti
contre l'une ou l'autre des formes concrètes et
particulières par lesquelles les divers peuples ou
États tendent à résoudre les problèmes gigan-
tesques de l'organisation intérieure comme de
la collaboration internationale, tant que ces
solutions respeâient la loi divine 1. " Elle n'a pas
mission de résoudre directement des problèmes
qui relèvent de la technique. Elle laisse aux
compétences leur légitime autonomie : elle ne
s'inféode à aucun système, scientifique, social
ou politique; et elle donne aux chrétiens la
liberté de leurs options et de leurs recherches.
Celles-ci ont leurs méthodes propres, et leur
objet déUmité. Cette diStinâion e§t indispensa-
ble, pour éviter toute confusion de " royaumes".
Il ne faut donc pas attendre de l'Église ce qu'elle
I. Pie XII, Message de Noël 1942.
Les conditions de P essor 153
ne peut ni ne doit réaliser : elle anime tout,
mais elle ne façonne pas, elle-même, la civilisa-
tion^. Ce n'est pas elle qui va préfigurer les
§tru6hires de demain : elle respeâie trop les
droits et la libre initiative de l'homme.
INITIATIVES DES PENSEURS.
Mais ce qu'elle ne peut pas faire elle-même,
les chrétiens peuvent et doivent l'accomplir.
Parce qu'ils sont aussi de ce monde, ils ont le
droit, autant que les autres, de prendre part à
toute poursuite du vrai, et à tous les débats, à
toutes les transformations d'une cité dont ils
sont les citoyens. Les ** enfants de lumière "
I. " Dans toutes les limites de la loi divine qui vaut pour
tous et dont l'autorité oblige non seulement les individus
mais les peuples, il y a un large champ et une liberté de
mouvements pour les formes les plus variées... Gardienne
et maîtresse des principes de la foi et de la morale... le
seul intérêt et le seul désir de l'Église eSt de transmettre à
tous les peuples sans exception, avec ses moyens éduca-
tifs et religieux, la source claire du patrimoine et des
valeurs de la vie chrétienne afin que chaque peuple,
dans la mesure qui correspond à ses particularités, use
des doârrines et des motifs éthico-religieux du Chris-
tianisme pour établir \ine société humainement digne...
source de véritable bien-être. " (Pie XII, Noël 1940.)
Essor ou déclin de l* Église 1 5 4
sont, trop souvent, moins habiles que les " fils
des ténèbtes " : cette constatation n'cSt pas, de
la part du Maître : un précepte. Être en retard
d'une idée, cela a pu être un fait : ce n'eët pas
une vertu.
Aussi votre tâche. Penseurs chrétiens, n'eSt-
elle pas de suivre, mais de précéder; il ne vous
suffit pas d'être des disciples : il vous faut deve-
nir des maîtres. Il ne suffit plus d'imiter : il faut
inventer.
DANS LA RECHERCHE PURE.
Votre exploration portera d'abord sur la
Vérité pure et la science désintéressée. Vous
poursuivrez la vérité pour elle-même, sans
escompter ses applications. Vous pénétrerez de
plus en plus profondément dans les secrets de
la nature, dont l'énigme eSt un contant appel
à chercher plus haut, jusqu'à Dieu. Vous
rassemblerez les conclusions de vos diverses
spécialités, pour vous essayer à une vision
cosmique de l'univers. A cet effort, vous ne
mêlerez aucune considération d'intérêt, fût-eUe
apologétique : vous ne chercherez que ce qui
eât. Votre loyauté n'aura d'égale que votre
JLes conditions de V essor 155
ouverture d'esprit et votre coopération effeâdve
avec tous ceux, croyants ou incroyants, qui
poursuivent le vrai : " de toute leur âme ".
Vous n'hésiterez pas à vous donner, tout
entiers et dans la " joie de connaître ", à votre
" vocation de savants ^ ".
DANS l'élaboration DE LA CITÉ.
Mais vous n'hésiterez pas davantage à
appliquer également vos recherches au do-
maine de la civilisation. De quoi s'agit-il,
en effet ? De construire le monde nouveau, de
définir et préparer les §lruâ;ures qui permet-
tront à l'homme d'être pleinement homme,
dans une cité digne de lui; de transfigurer
toutes choses pour en faire vm monde chré-
tien 2. Va§te programme qui déborde lar-
1. P. Termier. Sur ce thème, cf. le discours de S. S.
Pie XII à un groupe de professeurs et d'étudiants fran-
çais, le 24 avril 1946, sur la " Joie de connaître ". " Cette
joie, elle vous e§t offerte : ne la dédaignez pas... Même
dans vos spécialités respedHves vous excellerez si vous
savez élargir vos horizons... "
2. " Je voudrais, écrit Origène, te voir utiliser toutes
les forces de ton intelligence pour le Christianisme, qui
doit être le but suprême. Pour y atteindre sûrement, je
souhaite que tu empruntes à la philosophie grecque le
Essor ou déclin de l^ Église 156
gement les efforts d'une génération, et qui
exige un double effort.
Un effort d'analyse : vous avez à vous pro-
noncer sur la civilisation adhielle, pour la
juger, la flétrir ou la corriger. Comme nous
le disions naguère ^, vous dresserez un bilan
objeftif de notre " civilisation urbaine " d'au-
jourd'hui, avec ses concentrations géantes et
ses accroissements continus; avec les tares
de sa produffcion inhumaine, de sa réparti-
tion injuste, de ses loisirs épuisants. Puis, par
un effort de synthèse, à partir des fautes du
présent, mais surtout de ses aspirations et de
ses promesses, vous tracerez un vaête plan
d' " urbanisme " et d'humanisme, envisagé
en fon6tion de l'homme, de ses capacités, de
ses besoins. Toute la somme de vos travaux
accumulés devra être employée à cette synthèse
géante du monde à venir. Ne vous y montrez
pas timides. Mais défendez, exigez, imposez,
au nom d'une science où personne ne devrait
cycle des connaissances capables de servir d'introduétion
au christianisme. " (Origène, Épftre à Grégoire le Thau-
maturge, 3.)
I. Aux médecins et étudiants de la Conférence Laen-
nec, 15 novembre 1946.
I^es conditions de F essor 157
vous égaler, votre conception magistrale et
libératrice du monde et de l'homme.
A PARTIR DE l'hOMME.
Dans cette exploration, dans ces réformes,
en effet, vous seuls serez totalement '* huma-
nistes ", car vous seuls pourrez fournir à la
civilisation qui se fait une norme valable : une
juêle conception de l'homme. C'eêt l'idée
chrétienne de la nature humaine, et elle seule,
qui permettra de ne pas déshumaniser l'homme.
Au lieu de laisser la technique l'écraser sous
prétexte de le libérer ^, au lieu de partir du
progrès technique comme d'un bien en soi,
qui justifie tous les sacrifices présents et indi-
viduels, vous partirez toujours de l'homme
lui-même qui eSt une " personne " indépen-
dante. C'est pour lui qu'on construit la cité.
C'est elle qui eSt faite pour lui, car elle passera,
tandis que lui survivra dans son âme immor-
I. Le C. C. I. F. — Centre cathoKque des Intelleétuels
français — a mis cette année à son programme l'étude
de l'homme aux prises avec le progrès des techniques.
Des groupements se sont déjà penchés sur ce problème
de l'heure.
Essor ou déclin de P Église 158
telle et même, à la résurre6bion de la chair,
dans son cotps, prolongement d'iei-bas. Il
faut être chrétien — non pas, sans doute,
pour entreprendre — mais pour " réussir "
totalement cette élaboration de l'homme :
seul le point de vue de Dieu peut pousser le
sujet humain à son ultime développement,
en lui rappelant qu'il eSt " infini dans ses
vœux ", sans cesse en quête de dépassements,
et que l'arrêter à un Stade, dont on ferait " l'âge
d'or ", c'est l'étouffer, c'eSt le faire mourir.
Sous cet angle, il entre dans la mission de
l'Église de rappeler — et elle n'a cessé de le
faire, autrefois comme aujourd'hui — les
exigences auxquelles doivent répondre les
organisations temporelles, sous peine de défi-
gurer en l'homme l'image de Dieu.
C'est ainsi que nous la voyons, en matière
sociale, rejeter de nos jours à la fois l'anarchie
de l'économie libérale, qui fait de la lutte la
loi du progrès, et la conception étatique, dans
laquelle la liberté individuelle eSt absorbée au
profit d'une puissance anonyme, pour orienter
vers les solutions où l'organisation eSt obtenue
par la conspiration des volontés libres, dans
Les conditions de l* essor 150
le tespeâ: des sociétés naturelles : famiUes,
entreprises, professions, çx.c.
RÉFORMES DE STRUCTURES.
Ainsi, votre mission présente comporte
une étude et une réforme profonde des stru^u-
res et ceci, en tous les domaines. La plus
urgente concerne la vie sociale et économique.
Nous savons que des chefs d'entreprise cou-
rageux, en contaâ: étroit avec les milieux
ouvriers, ont écouté la voix pressante de
l'Église en France leur rappelant naguère
" simplement, mais fortement, le principe
d'une orientation de plus en plus nette " des
relations du capital et du travail " vers le con-
trat de société ^ ". Ils travaillent hardiment,
par leurs idées et leurs réalisations, à rénover
dans ce sens l'esprit et la èlru6ture de leur
entreprise, en associant les travailleurs à sa
gestion, à sa propriété et à ses fruits. Nous
savons par ailleurs qu'un grand nombre de
laïcs cherchent à promouvoir une organisa-
1. Déclaration de l'Assemblée des Cardinaux et
Archevêques de France en février 1945.
Essor ou déclin de l'É^glùe " i6o
tion professionnelle véritable, qui dose sage-
ment une authentique représentation profes-
sionnelle avec un contrôle suffisant de la puis-
sance publique. De telles réformes mettent
en application des formules techniques sur
lesquelles nous n'avons pas à nous prononcer,
et qui peuvent être diverses. Mais elles se
situent dans la ligne des suggestions déjà don-
nées par l'Encyclique Quadragesîmo ^nno.
Elles sont nécessaires pour résoudre les pro-
blèmes économiques et sociaux. Elles posent
les conditions sans lesquelles le relèvement
du prolétariat ne pourra s'accomplir. Nous
encourageons donc vivement ceux des laïcs
à qui leurs responsabilités permettent une
aâdon sur ce plan, à entrer dans cette voie ou
à y persévérer, malgré les difficultés de toute
nature qu'ils y rencontrent.
Ce que nous venons de dire de l'entreprise,
nous retendons à tous les autres secteurs de
la vie publique : urbanisme, vie économique,
" politique ", au sens large, échanges inter-
nationaux, culture, éducation, loisirs, vie
artistique, etc. La présence des chrétiens par-
tout : c'eét toujours Notre mot d'ordre le plus
clair. Qu'ils soient le " ferment ", la pâte lèvera.
i6i
LE TRIPLE PLAN DE l'aCTION.
Encore faut-il, comme on l'a dit très juste-
ment, qu'elle soit vraiment de la " pâte "et
non une " matière faâice ^ ". Or, c'e§t ici que
le problème du Temporel rejoint celui de
l'Apostolat. Les conditions présentes de ce
qu'on appelle la " civilisation moderne " ne
sont plus humaines : le message surnaturel,
même porté par les élites les plus prestigieuses
et les plus ferventes, ne rencontre plus le " natu-
rel ", mais un mélange d'éléments disparates
et anarchiques, qui ne peuvent plus — dans
la généralité des cas — servir de support, et
encore moins de pierre d'attente, à la grâce.
Voilà pourquoi la tâche des chrétiens e§t si
nettement tracée : s'ils ne guérissent pas, s'ils
n' " aménagent " pas les institutions, s'ils ne
substituent pas un climat respirable à l'am-
biance délétère de ce " monde sans âme ",
leur e£Fort d'évangéUsation risque fort d'être
compromis. Pour convertir le monde, il ne
suffit pas d'être des saints, et de prêcher l'Évan-
I. P. Desqueyrat, U Apostasie des temps nouveaux.
Travaux, octobre 1946, p. 22.
6
Essor ou déclin de P Église 162
gile : ou plutôt l'on ne peut ètto. un saint et
vivre l'Évangile qu'on invoque, sans s'efiFotcet
d'assuter à tous les hommes des conditions
— de logement, de travail, de nourriture, de
repos, de culture humaine, etc. — sans les-
quelles il n'egt plus de vie humaine. Aussi,
la mission du chrétien n'eSt-eUe pas seulement
un JipoHolat : c'eât la convergence de trois
a<5tions simultanées : religieuse, civique et
sociale. Devant l'ampleur de la tâche, le chré-
tien isolé e§t impuissant. C'eât l'honneur de
notre AéHon Catholique de l'avoir compris.
Elle apprend à ses membres à juger selon leur
foi des problèmes civiques, économiques et
sociaux; elle les prépare à assumer dans la cité
leurs responsabilités chrétiennes. Enfin, par
sa vie même elle revendique pour l'homme des
conditions de vie plus conformes à sa sublime
vocation de fils de Dieu. Précieuse conclusion
que la nécessité de cette aéHon simultanée :
elle confirme par les faits la conception catho-
lique de '* l'Incarnation " et présage à l'ÉgHse
la direâion de son essor.
Cette avance sur tous les fronts prendra,
ici encore, son origine dans un effort de pensée.
Elle ne sera possible que si des centres de
Les conditions de l^ essor 165
recherche, des bureaux d'études, des instituts
de culture, etc, se constituent dans toutes les
branches. Des efforts ont déjà été réalisés en
ce sens ^. Nous les encourageons de tout
notre pouvoir. Mais nous exprimons le vœu
qu'ils se multiplient, et, surtout, qu'une étroite
coordination fasse aboutir à l'unité des efforts
qui risqueraient, autrement, de se perdre ou
de se disperser. L'heure semble venue où le
besoin se fait sentir, intensément, d'une cen-
tralisation, peut-être même organique, qui
respeéterait, toutefois, l'indispensable pluralité
et la nécessaire autonomie des divers '* centres "
spécialisés. De ces immenses enquêtes des
savants, des sociologues et des techniciens,
les philosophes et les théologiens devraient
alors, pas à pas, tenter une synthèse conStructive
dont les signes de garantie seraient d'être toujours
en devenir — et de proposer constamment
ses conclusions au jugement de l'ÉgHse.
I. Notons, en particulier, le C. C. I. F., Centre catho-
lique des Intelleâuels français.
164
2. UEFFORT DE TOUS.
Ne pensez pas cependant. Nos Ttès Chets
Frètes, que la conélruéHon de la Cité future
revienne aux seuls Penseurs. Il n'eSt pas néces-
saire d'être savant pour travailler à cette grande
œuvre : tout chrétien y e§t appelé. Chacun,
dans sa sphère d'a6tion, peut exercer une influ-
ence. '* Le devoir de l'heure présente n'eét pas
de gémir, mais d'agir : pas de gémissement sur
ce qui e§t ou ce qui fut; mais reconétruâdon de
ce qui se dressera et doit se dresser pour le
bien de la société ^. "
Or qtii donc pourrait, à moins de fermer
les yeux, ne pas voir les détresses qui l'en-
tourent, et les maux à soulager ? " Quel prêtre,
quel chrétien pourrait demeurer sourd au cri
parti du plus profond de la masse, et qui, dans
le monde d'un Dieu ju§te, réclame justice et
fraternité ?... L'Église se renierait elle-même,
elle cesserait d'être mère si elle demeurait
sourde au cri d'angoisse que ses enfants de
I. Pie XII, Message de Noël 1942.
Iss conditions de l^ essor 165
toutes les classes de rhutnanité font montei:
à ses oteilles... Le misereor super turham e§t pour
nous un mot d'ordre sacré ^. " " Avant d'en-
seigner les foules, Jésus-ChriSt avait l'habitude
de soigner les malades... et même H donna à
ses Apôtres un pouvoir semblable, en leur
ordonnant d'en faire usage ^. "
Ainsi, que chacun se mette à l'œuvre, en
plongeant dans son milieu de vie des racines
toujours plus profondes. Pour les uns, ce sera
un service d'entraide, une amélioration du
travail et du logement; pour d'autres, une
action syndicale ou professionnelle, ou des
responsabilités dans une Association familiale.
Celui-ci s'occupera d'urbanisme, celui-là d'un
mouvement de jeunesse ou de relèvement.
Et nous sommes sûrs, de par les expériences
précédemment vécues, que nos chrétiens agis-
sant dans l'Aâion Catholique ou formés par
elle sont particulièrement aptes à ces mul-
tiples tâches. Heure par heure chacun peut
apporter sa pierre à l'édifice commun. Il suffit
de le faire sans se soucier des critiques ni des
obstacles, avec " cette foi qui transporte les
I. Ihid.
z. Pie XI, citant Matth., vra, 16; Luc, x, 8-9; ix, 6,
Essor ou déclin de l'Bfglise i66
montagnes ". " On dit, s'écrie TertuUien, que
nous sommes des gens inutiles aux affaires.
Comment pourrions-nous l'être, nous qui
vivons avec vous, qui avons même nourriture,
même vêtement, même genre de vie que vous ?
Car nous ne sommes pas des " gymnosophi^es"
de rinde, habitant des forêts et exilés de la
vie ^. " Ne doutez pas. Nos Très Chers Frères,
des résultats d'une action ainsi engagée dans
la vie. Sur le moment vous ne verrez pas les
résultats de vos tâtonnements et de votre
persévérance, mais un jour se lèvera enfin où
vos enfants et petits-enfants vous rendront
grâce de la demeure terre^re que vous leur
aurez préparée.
I. TertuUien, Apologétique, XLII, i.
Conclusion
Voyez-vous, maintenant. Nos Très Chets
Frères, quelles perspeétives s'ouvrent à vous ?
Allez-vous rester timides ou désespérés en
face d'un si beau chantier ?
AU-DELA DES APPARENCES.
Nous savons que certains sont tentés de
trouver cette tâche impossible. Jamais peut-
être le monde n'a pesé si lourd sur notre âme.
Il e§t vrai qu'à certaines heures, tout semble
noir. Cette terre sans Dieu, cette marée uni-
verselle de Péché, ces menaces renouvelées
de suicide coUeétif, les cris de détresse qui
montent de partout, ont quelque chose d'hal-
lucinant. L'inquiétude que chacun ressent
dans son cœur, comment ne l'étendrait-il pas
à l'Église? Que peut-elle faire, que va-t-elle
devenir, dans un monde qui s'eSt éloigné d'elle
ou qui s'eflForce de la rayer du nombre des
vivants ? Oui, il e§t vrai que la tâche peut
Essor ou déclin de l'Mglise 170
paraître surhumaine, même pour l'Église.
Celle-ci peut sembler débordée, submergée
par le déluge de ce temps.
Et pourtant, dépassons les apparences :
nous savons maintenant que, dans la lutte qui
s'est engagée, l'Église e§t déjà viftorieuse. Sans
illusion, et en mesurant le prix qui lui sera
demandé, elle nous redit les paroles que le
Christ lui inspire : ** Ayez confiance. J'ai
vaincu le monde * ! "
AU-DELA DES FAUSSES MYSTIQXJES.
Notre foi en l'Église se fonde d'abord sur
les insuffisances de tout ce qui n'eSt pas elle.
Car les nouveaux messianismes qui se pro-
posent — ou qui voudraient s'imposer — à
nos aspirations comme à nos désarrois, sont
" toujours courts par quelque endroit ". Dans
le moment même oti leur attraéHon se fait la
plus forte, ils trahissent déjà, pour qui sait
voir, des signes visibles d'essoufflement. On
a parlé de revanche de la chair; il faut aujour-
d'hui parler de revanche de l'esprit. Ce n'e§t
I. Jean, xvi, 33.
Hssor et printemps de l'Ëglise ijt
pas impunément qu'on peut chasser Dieu du
monde. L'heure sonne enfin où II revient.
On peut écraser, on peut broyer le corps de
riiomme. Il n'eét au pouvoir de personne
d'étouffer et de tuer son âme. CeUe-ci parle
aujourd'hui. On la perçoit dans les masses
désabusées; on la sent frémissante, dans la
Pensée qui se cherche. Jamais peut-être, les
mystiques de la terre n'ont éprouvé à ce point
la nostalgie de Dieu. Alors, quand on lève les
yeux vers l'ÉgHse, ce n'e§t pas le doute, encore
moins la honte ou la peur qui nous saisissent :
c'eât la fierté, c'eSt la joie. Car ces systèmes et
ces promesses qui passent, l'Église les dépasse.
Elle étoufferait dans ces messianismes, tout
ensemble clos et tronqués. Sa jeunesse se
refuse à leur vieillissement.
IMMORTELLE JEUNESSE...
Toujours jeune et toujours vivante : c'e§t
la leçon du passé, comme du présent. Quelle
époque, jusqu'à la nôtre, a connu de semblables
espoirs ? S'il n'y a pas d'effets sans causes, il
n'y a pas non plus de causes sans effets. Com-
Essor ou décim de. P Église 172
ment ce qm se sème aujourd'hui ne lèverait-
il pas demain ? A ces signes nous faisons con-
fiance. Quoi qu'il arrive, nous savons qu'il y
a maintenant, dans toutes les parties du monde
et dans tous les milieux, des chrétiens qui,
malgré l'erreur, la persuasion, et peut-être
le fer et le feu, sauront témoigner du Christ et
de son Église immortelle. Nous savons qu'à
toute idée qui s'exprimera contre Dieu répon-
dra une pensée qui s'inspirera de son amour.
Tout peut arriver : la persécution, l'hérésie,
la guerre : nous croyons, plus que jamais, à
l'immortelle jeunesse de l'ÉgUse. Et ici,
comment ne ferions-nous pas Nôtres ces paroles
de Newman, relatives au " Second Printemps
de l'Église " ?... "Oui, mes Frères, si telle
e§t la volonté de Dieu, il n'y aura pas seulement
parmi nous des Confesseurs et des Doâieurs,
mais aussi des Martyrs, pour consacrer de
nouveau cette terre à Dieu. Nous ne savons
pas ce qui nous attend, jusqu'à ce que nous
allions à la Viétoire... ^ " Mais après cette
invitation au courage, c'eSt aussi l'appel à la
joie : " Nous sommes engagés dans une œuvre
I. Newman, Sermon sur le Second printemps de l* Église,
Édit. Longmans, p. 163 sq.
Essor et printemps de l^ Église 173
magnifique et joyeuse... Si nous devons
échapper aux maux présents, il faut que ce
soit en allant de l'avant... Le monde vieillit :
l'Église e§t toujours jeune... "^ "
De cette jeunesse qui fonde notre espérance,
nous savons maintenant le secret : c'e§t le
Mystère de l'Église. " Une des qualités de
l'Église qui e§t le plus célébrée dans les Écri-
tures, écrit Bossuet, c'e§t sa perpétuelle jeunesse
et sa nouveauté qui dure toujours. Et si peut-
être vous vous étonnez qu'au lieu de la nou-
veauté qui passe en ce moment, je vous parle
d'une nouveauté qui ne finit point, il m'eSl
aisé. Fidèles, de vous satisfaire. UÊglise chré-
tienne eB toujours nouvelle, parée que l'Ecrit qui
ranime efi toujours nouveau 2. "
1. Ibîd,
2. Bossuet, Sermon pour h temps de Jubilé, Metz, 1656.
Il e§l à noter que les Pères se réfèrent toujours au
mjHère de l'Église pour prédire et justifier sa perma-
nente jeunesse :
" Où sont, s'écrie saint Augustin, tous ceux qui
disent : " L'Église a disparu du monde " ? L'Église
chancellera si son fondement chancelle; mais comment
pourrait chanceler le Christ ? Tant que le Christ ne chan-
cellera point, l'Église ne fléchira jamais jusqu'à la fin
des temps. " ÇBftarr, in Psal., CIII, Serm. II, n® 5.)
" Les infidèles, dit-il encore, croient que la religion
chrétienne doit durer un cettain temps dans le monde.
174
...ET PRINTEMPS DE l'ÉGLISE.
Sur cette vision, sur ces espoits, nous sommes
en droit de conclure.
Que penser de cette Église qu'on disait
morte ? Les tempêtes des hommes et des âges
se sont déchaînées sur elle pour l'engloutir.
Comme l'Arche, elle a traversé le Déluge, et,
chaque fois, trouvé de nouveaux rivages pour
de plus amples accroissements. Aujourd'hui
comme autrefois, le monde ne se sauvera pas
du déluge sans l'Arche ^. Aujourd'hui,
comme alors, " l'Esprit de Dieu qui plane sur
ptiis disparaître. Or elle durera autant que le soleil :
tant que le soleil continuera à se lever et à se coucher,
c'egt-à-dire tant que durera le cours même des temps,
l'Église de Dieu, c'eSl-à-dire le corps du Christ, ne dis-
paraîtra point du monde. " (In Psalm., LXXI.)
" Ne te sépare point de l'Église; rien n'eSt plus fort
que ri^lise. Ton espérance, c'e§t l'Église; ton salut,
c'eât l'EgUse; ton refuge, c'est l'Église. EUe e§t plus
haute que le ciel et plus large que la terre. Elle ne vieillit
jamais mais reSte toujours en pleine force. " (Saint Jean
ChrysoStome, Hom. de capfo Eufropio, n° 6.)
I. " Haec est arca quae nos a mundi erepfos diluvio, in
portum salutîs inducit,.. " (Préface de la Dédicace, Propre
de Paris.)
Bssor et printemps de l'Église 175
les eaux " lui envoie la colombe, son vivant
symbole, avec son rameau d'olivier. Et ce
frêle témoin d'un continent inexploré ne res-
semble en rien aux feuilles mortes; il a la grâce
et la fraîcheur humide du Printemps.
Prière
*' Prions, Ftères bien-ainiés, pour la Sainte
Église de Dieu, afin qu'H daigne lui donner
la paix et l'union, et la garder par toute la
terre... afin que... répandue dans le monde
entier, eUe persévère avec une foi ferme dans
la confession de votre Nom, Par Notre-Sei-
gneur Jésus-ChriSt i. "
" O Dieu, force immuable et lumière éter-
nelle, regardez avec bonté, dans son dévelop-
pement total, l'admirable mystère de votre
ÉgUse, et que votre puissance paisible mène
à son accomplissement, selon vos plans éter-
nels, le salut de l'humanité; afin que le monde
entier expérimente et voie le relèvement de
toutes ruines, le renouvellement de toute
vétusté, et l'accès de toutes choses à la per-
feâion, par Celui de qui elles tirent leur ori-
I. Ofaison du Vendredi Saint, office du Matin.
Essor ou déclin de l'Eglise ï8o
ginCy Notte-Seigneur, Jésus-Chrigt votre
Fils... ^ "
Ainsi soit-il I
Donné à Paris, sous notre Seing, le Sceau
de Nos Armes, et le contre-seing du Chance-
lier de Notre Archevêché^ le ii Février 1947,
en la Fête des Apparitions de Notre-Dame
à Lourdes.
f Emmanuel, Cardinal Suhard,
Archevêque de Paris.
%. Oraisoîi 4u S^me4i Saint, après la z^ Prophétie,
Table des chapitres
Introduâion : Crise du monde, crise d'unité. 7
I. Qui fera P unité du monde ?
1. La réponse des incroyants. Déclin et
malfaisance de l'Église 1 5
2. La position des catholiques. Rup-
ture ou adaptation ? 19
II. L^ tnySière de l^Églûe,
1. La théologie de l'Église 33
1. Son aspeâ transcendant : l'Église
corps mystique du Christ 39
2. Son aspeâ temporel : l'Église,
corps du Christ 41
2. La leçon de l'histoire 57
1. L'enseignement du passé 60
2. Le bilan du présent 67
in. 'L.es conditions de P essor,
1. Les options à exclure 89
1. Le Modernisme 91
2. L'Intégrisme 95
2. La synthèse catholique 109
3. L'engagement des chrétiens 121
1. Primauté du Spirituel : l'apoStolat 123
2. Urgence des tâches temporelles 146
Conclusion : Essor et printemps de l'Église 1 67
ACHEVÉ T>*aSBKaSESl. 3SN I96Z
PAB. u'aSPKXUSSXB BDSSIÈRE A SAINT-AMAMD
D. t. 4^ T 62, N« 1387
LIVRE DE VIE
rassemble les meilleurs livres ^ la vie chrétienne
dans leur texte inférai,
aborde tous les problèmes de la vie chrétienne^
s'adresse à tous ceux qui souhaitent nourrir leur
vie chrétienne et à tous ceux qui s'interrogent on
peuvent s^ interroger sur la vie chrétienne.
I FRANÇOIS MAURIAC
Vie de Jésus.
2-5 THOMAS MERTON
La nuit privée d'étoiles.
4 FÉLIX TIMMERMANS
La harpe de saint François.
5 JACQUES LOEW
En mission prolétarienne.
6 GEORGES BERNA2SIOS
Dialogues des Carmélites.
7-8 SAINTE THÉRÈSE DE l'ENFANT JÉSUS
Manuscrits autobiographiques.
9 A.-M. ROGUET
La messe
10 MARCELLE AUCLAIR
Bernadette.
11 ROGER AUBERT
Problèmes de l'unité chrétienne.
12 L'Imitation de Jésus -Christ
TRADUCTION DE LAMENNAIS
13 JEAN GUITTON
La Vierge Marie.
14 ROMANO GUARDINI
Initiation à la prière.
LIVRE DE V8E
15 SAINTE THÉRÈSE d'AVTLA
Le chemin de la perfeâion.
16 E. B. ALLO
Paul, apôtre de Jésus-CHitiSt.
17 Contes de Noël.
18-19 RAÏSSA MARITADST
Les grandes amitiés.
20 MARIE DE SAINT-DAMIEN
Sainte Claire d'Assise.
21-22 SAINT FRANÇOIS DE SALES
Introduâion à la vie dévote.
23 YVES DE MONTCHEUIL
Aspeâs de l'Église.
24-25 BLAISE PASCAL
Pensées (édition lafuma).
26 FRANCIS DVORNIK
Histoire des conciles.
27 SAINT IGNACE DE LOYOLA
Autobiographie.
28 A.-M. ROGUET
Les sacrements.
29-30 LOUIS BOUYER
La Bible et l'Évangile
31 Fioretti de saint François
TRADUCTION d'a. MASSERON
32 CARDINAL SUHARD
Essor ou déclin de l'Église
33-34 JEAN-FRANÇOIS SIX
Vie de Charles de Foucauld
27, RUE JACOB, PARIS V|e
Ll VR E D E VI E
LES MEILLEURS LIVflES DE VIE CHRÉTIENNE
Cardinal Suhard
Essor ou déclin
de rÉglise
« L'engagement que doit prendre l'Eglise
aujourd'hui est trop capital pour qu'elle se
contente d'un compromis, passager et local.
Ce qu'il faut, c'est une vaste synthèse,
capable de fournir aux chrétiens la double
réponse qu'ils attendent : une action humai-
nement efficace et une doctrine pleinement
catholique. Ici encore, c'est la théologie et
l'histoire de l'Eglise qui permettront de
réaliser cette doctrine valable. Nous ne pré-
tendons pas à autre chose, en ces lignes,
qu'à indiquer la route, et soutenir l'action
de nos fidèles. »
Cardinal Suhard.
Couverture : photo Lartigue-Rapho.
TEXTE INTÉGRAL
27 RUEJACOB - PARIS VI'
LIVRE DE VIE
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44 470 766
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