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Full text of "Essor ou déclin de l'Eglise [microform] : lettre pastorale, Carême de l'an de grâce 1947"

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ÉsÊQfOmÈêcim 
«pë l'Eglise?*' 






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Essor ou déclin 
de V Église 



du même auteur 



AUX EDITIONS I^AHURB 
Le Sens de Dieu 

Lettre pastorale du Carême 1948 

Le Prêtre dans la Qté 
Lettre pastorale du Carême 1949 



Cardinal Suhard 

Essor ou 
déclin 

de r Eglise 

Lettre pastorale 

Carême 
de l'an de grâce 

1947 



/ 



Éditions A. Lahure 







© 1947 bv Éditions A. Lahure 



Nos Très Chers Frères, 

Deux ans après la fin de la guerre, nous 
savons que la Paix ne ressemblera pas à celle 
qu'imaginait notre attente. Moins prochaine, 
elle ne sera pas un " retour " tranquille aux 
formes du Passé. La crise qui ébranle le monde 
dépasse largement les causes qui l'ont provo- 
quée. Le conflit en a sa part, avec sa suite de 
détresses. Mais le bouleversement qu'il a dé- 
chaîné n'a pas pris fin avec lui : il vient déplus 
haut et il va plus loin. Les ruines sont un mal- 
heur. Elles sont aussi un symbole. Quelque 
chose eêt mort, sur la terre, qui ne se relèvera 
pas. La guerre prend alors son vrai sens : elle 
n'eSt pas un entraâre, mais un épilogue. Elle 
marque la fin d'un monde. 

Mais, du même coup, l'ère qui s'inaugure 
après elle prend figure de prologue : préface 
au drame d'un monde qui se fait. 

V 






8 



CRISE DE CROISSANCE. 

Cette conclusion n'eSt pas imaginaire. Elle 
se fonde sur des signes convergents et sur des 
témoignages unanimes. Tous s'accordent pour 
caractériser notre époque comme un âge tran- 
sitoire. Les souffrances qui affectent toute la 
terre; les dangers qui menacent son lendemain; 
les grands courants qui la traversent, sont 
moins les suites d'une catastrophe que les 
signes avant-coureurs d'un proche enfante- 
ment. Ou, plus exa6î:ement, le malaise présent 
n'e§t ni une " maladie ", ni une décadence du 
monde. C'eét une crise de croissance. Moment 
capital, que cette fragile et impétueuse adoles- 
cence ; substitution délicate de valeurs nouvelles 
aux Struâures jusqu'alors valables. Qu'eât-ce 
qui meurt? Qu'eêt-ce qui va vivre? Il s'agit 
moins ici de dénombrer que de pressentir. 
On peut déjà, sans arbitraire, esquisser, à 
grands traits, les lignes maîtresses de ce devenir. 

Le premier signe, le plus évident, car c'eSt 
un fait conStatable, c'e§t que cette crise e§t une 
crue d^ unité. On en connaît la marche : les grandes 
découvertes scientifiques ont engendré le 



Crise du monde : cme d'unité 9 

mouvement et la vitesse. L'espace a changé 
de mesure. L'avion annule les antipodes et 
soude les continents. Les échanges se mul- 
tiplient. Production, consommation, réparti- 
tion. Économie et Finances : tout se fait au 
plan international. Le plus humble objet fami- 
lier e§t le terme d'un long voyage. Chacun 
dépend de tous pour le simple fait de survivre. 
Mais aussi pour sentir et penser. Car la Presse 
Q§t partout. Et le film, avec elle : l'image, qui 
n'a pas de patrie, se pose d'écran en écran. 
Et les ondes, qui traversent tout, portent à 
tous, sans diSlinétion, la musique, les nouvelles, 
la pensée de tous. Radio et télévision sont le 
cerveau et l'influx nerveux, qui fait vivre pour 
la première fois la planète, au même rythme, 
dans le même présent. 



ÉBAUCHE d'une CIVILISATION COMMUNE. 

L'effet ne «e fait pas attendre : les barrières 
tombent sur cette terre qui se dilate; les cloi- 
sons éclatent sous la pression formidable de 
cette marée nouvelle qui renverse et nivelle 
tout. Il en résulte, pour toute la terre, ce qui 



Essor ou déclin de l*Ëglise lo 

s'était vu, en petit, à l'apogée de Rome, pour 
le monde méditerranéen : l'ébauche d'une 
civilisation commune. Mais tandis que celle- 
ci se limitait à la langue, au droit et au com- 
merce, la nôtre tend à instaurer un genre de vie 
identique, un type d'homme uniforme : un 
" humanisme " mondial. 

On se tromperait grandement à ne voir dans 
ce type nouveau qu'une image composite, 
amalgame hétérogène, résultant par fusion 
hâtive de " types " humains particuliers 
rassemblés pour les besoins de la vie pratique. 
L'homme moderne qui s'édifie paraît bien 
procéder d'une unité organique et d'un prin- 
cipe interne de vie. Et de même, la Cité qu'il 
se prépare. Le trait le plus apparent de cet 
humanisme nouveau, c'eSt son caractère tech- 
nique. Né de la découverte et de la machine, 
c'e§t à elles qu'il doit sa faâ:ure universelle, 
c'eêt vers elles qu'il se tourne et sur elles qa'il 
compte pour promouvoir l'ordre à venir. 
Jour après jour, le savoir scientifique se substi- 
tue à la culture classique. La curiosité change 
d'objets. Elle délaisse l'idée pure pour l'aétion 
efficace. 

Cet effort humain n'e§t pas individuel. Désor- 



Crise du monde : crise d'unité ii 

mais, chaciin a besoin de tous. L'unité de tra- 
vail, ce ri'egt plus l'artisan, c'eSt l'équipe. Des 
connexions se nouent, qui dépassent les hori- 
zons de la Province et de la Nation, pour 
atteindre l'échelle humaine : humanisme com- 
munautaire, civilisation universaliSte. 

Ces seuls traits — parmi beaucoup d'autres 

— montrent assez que le monde qui prend 
corps — surtout depuis vingt ans — ne se 
ramène pas à un quelconque " tournant de 
l'histoire ". Ce n'eSt pas un séisme — brutal, 
mais superficiel. — C'eSt une " crise " interne : 
depuis qu'il existe, c'eSt la première fois que 
le monde eSt " un ", et qu'il le sait. Cette prise 
de conscience colleétive avec ses tâtonnements, 
ses gaucheries, ses adhérences aux formes 
passées, qu'est-ce d'autre que l'adolescence ? 
La société — surtout occidentale — opère 
une réforme de Structure, qui rompt la conti- 
nuité des traditions, trouble le jeu des règles 
établies, et remet en question les valeurs con- 
sacrées. Le désarroi, le sentiment d'inadapta- 
tion qui en résxiltent, en tous les domaines, 
justifient le sentiment qui s'exprime si souvent 

— d'un mot ambigu : " le monde eSt en révo- 
lution ". 



Première partie 

Qui fera V unité 
du monde ? 



Et c'eêt alors que se pose la que^on capi- 
tale. 

A cette civilisation commune qui s'établit 
partout, d'elle-même, dans ce monde jusqu'ici 
compartimenté, à cette unité subite qui s'eSt 
faite, plus vite que notre pensée; à cet huma- 
nisme planétaire auquel nous n'étions pas 
préparés, qui va fournir une âme ? Qui va 
faire la synthèse du nouvel univers ? Qui en 
sera le Principe et l'Inspiration ? 



I. LA RÉPONSE DES 
INCROYANTS 



Ce n'e§t pas l'Église, affirment les incroyants. 
Et pour une raison très simple : c'e§t que 
l'Église va mourir. 



i6 



DÉCLIN DE l'Église. 



Ils sont assez visibles, disent-ils, les signes 
de son agonie ! Prend-on le plan des effeétifs ? 

Le genre humain s'accroît; l'ÉgUse décroît. 
Toujours minoritaire, elle comptait, du moins 
jusqu'ici, des sociétés massives de fidèles. 
Aujourd'hui, ce qu'elle nomme elle-même 
" l'apostasie des masses " accuse sa faillite. 
Par mille fissures, elle s'effrite et voit l'un après 
l'autre des peuples entiers se détacher d'elle. 
Sa décadence, insi§te-t-on, e§t encore plus sen- 
sible dans le domaine de son influence, de son 
prestige et de ses amitiés. Jadis maîtresse de 
la culture, dont sa théologie lui conférait le 
monopole, ou du Pouvoir qu'elle s'assurait 
en entretenant l'ignorance des foules, elle 
n'est plus, maintenant, que l'ombre d'elle- 
même. Divisée en fraétions rivales, décriée par 
ses propres fils, elle paye à leurs yeux le prix 
de son infidélité à ses origines, et, aux yeux 
du monde, la rançon d'un archaïsme congé- 
nital. Elle n'a plus l'audience des hommes. 
Finalement, demande-t-on, que lui reSte-t-il ? 
Ce qu'elle a toujours soutenu : une " classe " 
naguère " dirigeante ", une Économie Ubérale 



Qui fera V unité du monde? 17 

avec qui elle s'identifiait. Liée au régime capi- 
taUéte, elle sombte avec lui. L'Église dispataît 
avec le monde qui meurt. 



SA MALFAISANCE. 

Absente, il ne faut donc pas compter sur elle. 
Mais, c'est surtout si elle était vivante, qu'il 
faudrait l'écarter. Car elle e§t le premier ennemi. 
La raison de sa malfaisance ? C'e^ que ses fins 
sont contraires à l'homme; plus encore, au 
moderne humanisme. Entre elle et lui, c'eSt 
le divorce. Les deux syélèmes ne sont pas seu- 
lement différents : ils s'opposent. 

Et d'abord, sur la conception de l'imivers. 
Que nous en apprend la Science, en effet ? 
EUe nous montre son unité, dans l'espace et 
dans la durée. Une continuité dynamique, 
partant de la matière, explique l'homme et la 
société. Ce devenir n'e§t pas quelconque : c'eSt 
un enchaînement " dialeétique ", une évolu- 
tion fatale et montante qui, par le progrès 
constant de la Technique, aboutira à l'éman- 
cipation de l'homme à l'égard des mythes et 
des servitudes et lui permettra au sein d'une 



B^ssor ou déclin de l'Église i8 

humanité communautaire de " posséder la 
terre " à laquelle il a droit. Morale optimiste 
qui croit au bonheur et, non contente de le 
chercher, en écrit, ligne par ligne, la " Somme " : 
en étudiant méthodiquement ses conditions 
biologiques, psychologiques et sociologiques. 
Face à ces perspectives créatrices, que pro- 
poserait l'Église ? Un univers Statique et 
" théiste ", une philosophie dépendante et 
figée en d'impossibles dogmes, une morale 
négative et a priori où l'esprit de caSte voisi- 
nerait avec la défiance jalouse à l'égard d'une 
science si prompte à détrôner Dieu. Quant à 
la personne humaine, affirme-t-on, l'ère chré- 
tienne en a façonné un modèle sans force ni 
beauté. Le Christianisme a déviriHsé l'homme^. 
En l'invitant à l'évasion dans l'au-delà, il le 
détacherait des tâches terrestres, et le détour- 
nerait d'un engagement fraternel dans la Cité 
qu'il habite. Faible dans la lutte, inefficace 
dans l'aâion, timide vis-à-vis de l'aventure, 
du fait de son éducation bourgeoise ou refoulée, 
le chrétien ne serait pas un '* compagnon "; 

I. Il faudrait citer ici tout le courant néo-païen issu de 
Nietzsche, Hegel, Marx, etc. Cette doétrine fait le fonds 
de toute la littérature antichrétienne d'aujourd'hui. 



Qui fera V unité du monde d 19 

on ne peut compter siir lui pour conquétir la 
terre. 

Avec un tel programme, comment l'Église 
ne serait-elle pas une étrangère dans une huma- 
nité qui croit en soi-même et qui se livre dans 
l'enthousiasme à l'élaboration d'un avenir: à 
la fois plus réel et plus beau ? Rien d'étonnant 
si cette conquête s'opère sans eUe, et même 
contre elle, dans la mesure où elle s'oppose 
à son succès. Non, pour construite le nouveau 
monde, l'homme moderne n'attend rien de 
l'Église : il refuse, il récuse ce témoin d'un 
temps révolu. 



II. LA POSITION DES 
CATHOLIQUES 

C'est alors qu'interviennent les croyants. 

Eux aussi se sont posé la question. Et leur 
réponse e§t claice : non, l'Église n'eSt pas morte. 
Non, le monde ne se fera pas sans elle. Mais 
à certaines conditions. 

Et ici, les hypothèses sont divergentes, pour 
ne pas dire contradiâoires. On peut en effet. 



Essor ou déclin de l'Église 20 

semble-t-il, ramener les positions aéhielles des 
catholiques — et les critiques nombreuses 
auxquelles ils se livrent depuis quelques 
années^ — à deux attitudes essentielles. 



RUPTURE... 

La première e§t celle du " maintien ". Leur 
argumentation prend le contre-pied de leurs 
objeâreurs. A l'athéisme d'agression ils répon- 
dent par im dogmatisme de défense. Ce n'eél 
pas l'ÉgHse qui est agonisante, ou en défaut : 
c'e§t le monde moderne. — Ou plutôt, le monde 
tout court, — car il n'e^ " moderne " qu'à 
nos yeux. Les problèmes auxquels il se réfère 
pour justifier son divorce avec l'Église n'ont 
rien d'original. Ils sont réduâiibles à toutes 
les crises passées. " Rien de nouveau sous le 
soleil. " Les problèmes restent : il n'y a que 
les noms qui changent. Ce n'eSt pas l'ÉgUse 
qui retarde. C'e^fc l'homme qui pèche ou dérai- 
sonne. Comme tous les systèmes, celui-ci 
vieilUra. Laissons donc passer l'orage. La vérité 
finit toujours par triompher. L'Église a connu 

I. En France, du moins. 



Qui fera V unité du mondée 21 

d'autres crises : elle n'a pas peur de celle-là. 

Le grand danger que court aujourd'hui 
rÉgUse, c'e§t de vouloir s'adapter; qu'elle 
résiste à cette perpétuelle tentation ! Ce n'eSt 
pas à eUe d'accommoder son message, mais 
aux civilisations de se l'assimiler. Qu'elle ren- 
force donc son intransigeance I Qu'elle n'écoute 
pas les appels trompeurs que l'Esprit mauvais 
murmurait déjà à l'oreille du Sauveur ! Au- 
jourd'hui, tout l'invite à oubHer sa mission 
essentielle, qui e§t de donner aux hommes, 
sans concessions, les " paroles qui ne passent 
pas ". Si elle renonce à ce monopole, pour 
de problématiques accroissements, c'en eSt 
fait d'elle. Car l'ÉgHse n'eSt pas de ce monde. 
Elle eSt le royaume de Dieu; bien loin de 
s'essayer à l'impossible tâche de combler le 
fossé qui la sépare de la terre, elle doit, sans 
se lasser, rester en dehors et au-dessus des 
fluâuations successives. La seule attitude de 
rÉgUse, c'est la Rupture. 

Sur le plan de la doctrine, cela se traduira 
par \in retour intégral aux formes tradition- 
nelles, référence aux textes officiels qui garan- 
tissent la reétitude et renforcent l'apologie. 
Surtout pas d'accommodations : elles con- 



Essor ou déclin de l* Église zz 

duisent à tous les abandons. La " vérité '% 
dans sa dureté, sans gauchissements I 

Dans l'aâion, les catholiques se souvien- 
dront que les compromis n'engendrent ni 
estime, ni avantages. Qu'ils se gardent donc 
des coopérations prématurées. Leur force, 
ce sera leur union. La seule affirmation de leur 
Credo et de leur appartenance au Peuple de 
Dieu vaudra mieux que de téméraires avances. 
L'Église ne sortira de la crise qu'en refusant 
de s'inâtaUer dans les institutions. EUe a moins 
peur de Néron que de Constantin. 



...ou ADAPTATION? 

Ceux qui reprochent à l'Église son manque 
d'efficacité temporelle, la convient à une 
réforme diamétralement opposée. L'Église 
— - en Occident — n'a pas évolué avec la société 
civile. Elle eSt restée figée dans les formes féo- 
dales qui lui avaient jadis réussi. De nos jours, 
au lieu d'être mêlée à la société, comme elle 
l'était au moyen âge, où paroisse et commune 
avaient même mesure et même vie, l'Église 
eSt '' absente '* de la cité. Elle plane au-dessus 



Qui fera V unité du monde ? 23 

de rhumanité au lieu de s'incarner dans sa 
chair et son sang. Dans son message elle a tout 
ce qu'il faut — et au-delà — pour animer les 
Structures présentes, et dresser les plans du 
futur : mais elle ne s'en sert pas. Elle laisse 
des étrangers, ou des adversaires, prendre les 
initiatives décisives, en matière de doéfcrine, 
de culture, ou d'aâdon. Quand elle agit, ou 
quand elle parle, il e§t souvent trop tard. Qu'il 
s'agisse de la recherche scientifique, des lois 
sociales, ou de l'humanisme, les novateurs 
sont rarement de chez elle. Ce n'eSt pas de cette 
manière qu'elle gagnera le monde au Christ. 
Il e§t encore temps pour l'Église de tenir sa 
place — et même la première — dans l'élabo- 
ration de l'avenir ; mais à une condition : c'eSl 
de s'incarner : " Dieu s'eél fait homme pour 
que l'homme se fasse Dieu. " Alors — mais 
alors seulement — l'Église reprendra vie. 

Pour l'immense majorité des partisans de 
l'adaptation, cette insertion dans la civilisation 
contemporaine entend formellement respecter 
le contenu intégral de la Foi. Ils ne ménagent 
pas leurs critiques à l'ÉgHse et à la hiérarchie, 
et les suggérons qu'ils lui adressent portent sur 
de nombreux cantons. De leur expérience 



Essor ou déclin de r Église 24 

quotidienne au contaét de niasses déchristia- 
nisées, beaucoup d'apôtres, prêtres ou laïcs, 
ont conclu à la nécessité de modifications 

— ordinairement secondaires, mais pressantes 

— pour une évangélisation efficace. Ils sou- 
haitent qu'un enseignement religieux concret 
et adapté remplace une prédication et une 
catéchèse trop coupées de l'Évangile. A la 
théologie, qui n'eêt pas close comme la Révé- 
lation, ils demandent — sans rien sacrifier — 
un effort de synthèse et de réalisme, mettant 
au centre et à la portée de la spiritualité de ce 
siècle les dogmes majeurs du Christianisme. 
Ils font remarquer que le culte et la liturgie 
sont souvent incompréhensibles. Pour cette 
raison, la foule et souvent l'élite des chrétiens 
n'ont pas accès à la grande prière communau- 
taire. Ils pratiquent — quand ils le font — 
une religion formaliste sans rapports avec le 
reste de leur vie. L'Église ne viendra-t-elle pas 
à leur aide, en leur facilitant la réception des 
sacrements et l'intelligence des rites sacrés ? 
Ils font observer que l'indépendance des laïcs 
eSi- souvent plus verbale que réelle. Conscients 
que le lai'cat a atteint sa majorité, ils reven- 
diquent pour lui des responsabilités plus éten- 



Qui fera l'unité du monde? 25 

dues. Il n'eêl pas jusqu'aux questions finaneières, 
en particuliejt pour les adfces du culte, qui ne 
soient pour eux l'occasion d'un vœu de réforme. 

De ces appels — et de beaucoup d'autres 
— qui ne sauraient ici trouver place — il eSt 
évident qu'ils traduisent toujours la même 
requête : que l'ÉgHse s'adapte au monde 
moderne, si eUe veut le reconquérir. 

Se raidir pour tout sauvegarder ? ou s'in- 
corporer pour tout conquérir ? Tels sont les 
deux pôles de l'opinion catholique — du moins 
dans notre pays. 



l'incertitude des catholiques. 

A qui faut-il donner raison? 

La réponse eét de grande importance. Elle 
commande l'attitude pratique de la majorité 
des catholiques. Car ceux-ci n'ont pas pris 
parti. A la fois attirés par ces valeurs nouvelles, 
et troublés, en défiance, devant tant de dévia- 
tions, ils regardent et ils attendent. Certains, 
par timidité -ou quiétude. D'autres, — tota- 
lement sincères — parce qu'ils ne savent com- 
ment sortir du dilemme qui, au plan colleétif. 



Essor ou déclin de l'Église 26 

a constitué ces deux groupes, et qui, au plan 
personnel, écattèle crueUement leur âme. Car 
ils appartiennent à deux mondes, et ils le savent. 
Loyaux à l'un et à l'autre, ils se gardent d'au- 
cune exclusive : citoyens de la terre, ils se 
sentent solidaires et responsables de son destin; 
fils de Dieu, ils connaissent leur mystérieuse 
incorporation à son Église et leur transcen- 
dante vocation. Pour ne pas trahir, ils renoncent 
à choisir et à s'engager. 

Mais, en attendant, ils perçoivent le malaise 
et ils en souffrent. La crise du monde, ils voient 
bien qu'elle retentit fatalement sur l'Église, 
qui y plonge ses racines. Ils n'ont pas peur 
pour elle, et son triomphe final. Mais ils se 
demandent comment elle pourra sortir du 
présent et par quelle voie ils pourront l'y aider. 
Sur eux — et à leur insu — s'exerce l'influence, 
et peut-être l'attrait, de cette mystique pro- 
gressiste qui séduit leurs contemporains. Alors, 
quand ils voient leur Église divisée, tiraillée 
par ses fils, entre le refus et la participation, 
agitée de remous, partagée entre l'immuable 
et l'actuel, son malaise devient personnellement 
le leur et, pour fuir le vertige, ils s'enferment 
dans la prière ou le " divertissement ". 



Qui fera rmitê du monde ? 27 

Se raidir, s'adapter, attendre. A qui faut-il 
donner raison, et quel e§t le sens de cette crise ? 
Que signifient ces initiatives et ces inquiétudes ? 
Une agonie ou une croissance ? Automne ou 
printemps de l'Église ? 

A cette question qui tourmente tant de 
consciences catholiques, à cette accusation 
de nos adversaires. Nous avons considéré que 
c'était Notre premier devoir de répondre. 
Père et Pa§teur de vos âmes. Nous entendons 
tous les jours l'appel qui monte, de tous les 
horizons, vers ce carrefour qu'est Paris. De 
Province ou de l'Étranger, des cénacles ou 
des ateliers, lettres, revues, congrès, entretiens 
familiers posent la même question, réclament 
un même arbitrage. C'eét la raison pour laquelle 
Nous avons choisi, cette année, pour Notre 
Lettre Pastorale, ce sujet d'une telle a£hialité. 

Notre réponse ne prétend pas tout résoudre. 
De cette crise. Nous dirons seulement qu'en 
tant qu'elle témoigne d'une division des catho- 
liques, elle e§l un mal, et doit cesser. En se 
prolongeant, les excommunications réciproques 
entre frères de Jésus-ChriSt constitueraient un 
scandale, et un obstacle à la marche en avant. 
Dans la mesure, au contraire, où ces engage- 



Essor ou déclin de l'Eglise 28 

ments symétriques témoignent d'un amour 
passionné de l'Église, ils sont une preuve de 
sa vitalité, le signe d'une crise de croissance. 
Ce pullulement d'idées et d'entreprises e§t 
autrement rassurant qu'une satisfaéHon sta- 
gnante. Nous voudrions à la fois calmer l'an- 
goisse que Nous discernons, chez trop de 
catholiques, en face des temps qui viennent; 
et troubler la sécurité trompeuse où s'enlisent 
un trop grand nombre de nos fidèles. Aux uns 
et aux autres. Nous voudrions montrer que 
l'unique explication de la crise présente et 
l'unique critère de certitude et d'aétion pour 
le chrétien d'aujourd'hui, résident dans la 
nature profonde de l'ÉgUse, telle que son 
dogme et son histoire nous la révèlent. 

Bien loin de faire conclure à son déclin, 
tout fait présager son essor l Nous dirons 
seulement — et ce seront nos consignes d'aélion 
— quelles sont, pour le présent, les condi- 
tions de ce Printemps. 



Seconde partie 
L.e mystère de VEglise 



Il eêt impossible de porter un jugement sur 
l'Église dans le monde moderne sans se référer 
à sa nature profonde, telle qu'elle ressort de 
sa Théologie et de son Histoire.. 



I. h.a théologie de 
PEglise 



L'Église fait partie d'un ensemble. Elle 
prend place " dans l'économie du salut ". 
Quel eSl le dessein de Dieu ? C'e§t de commu- 
niquer sa vie divine au monde. En fait, le 
moyen choisi fut l'incarnation de son Fils : 
" Le Verbe s'eSt fait chair et II a habité parmi 
nous ^. " " Les grâces de salut, le Chriél 
aurait pu les communiquer lui-même direéte- 
ment à tout le genre humain. Toutefois, il ne 
voulut le faire que par l'intermédiaire d'une 
Église visible qui grouperait les hommes. Et 
cela, pour leur permettre d'être, par elle, ses 
coopérateurs dans la diêlribution des fruits 
de la Rédemption 2. " 

ÉPOUSE ET CORPS DU CHRIST. 

Ainsi, sa médiation ne prend pas fin à l'As- 
cension : " Le Christ ressuscité ne meurt plus ^. " 

I. Jean, I, 14. — 2. JH)//?/» Corj&om, Éd. Comprendre 
p. 9. — j. Rom., VI, 9. 



Essor ou déclin de V église 36 

Il va se continuer sur la terre par son Église. 
Celle-ci n'eél donc pas une société comme les 
autres. C'eêt une réalité mystérieuse. C'e§t du 
cœur de Jésus percé par la lance qu'elle a pris 
naissance, comme " une nouvelle JEve issue 
des flancs du nouvel Adam ^ ". L'Église e§t 
l'épouse du Christ. Cette " nouvelle Jérusalem, 
vêtue comme une mariée parée pour son 
époux 2 '\ lui e§t unie au point de ne faire 
qu'un avec lui, de devenir son propre corps ^. 
" Le Christ tout entier, c'eSt la tête et le corps ; 
le corps, c'est son Église; c'eSt l'époux et 
l'épouse : deux en une seule chair *. " C'eSt 
le Christ qui anime son corps en lui commu- 
niquant mystérieusement son Esprit qui en 
eSt l'âme ^. 

Ainsi, la société fondée sur les routes de 
Palestine, sur la Croix et à la Pentecôte, par 
le Christ historique, et centrée sur Pierre ®, 
n'eSt pas une somme d'individus artificielle- 
ment rassemblés : c'eSt une réalité organique ; 
c'est le Corps mystique du Christ, 



I. Gen., II, 21-23. — ^' Apocaljrpse, xxi, 2. — 3. Co- 
loss., I, 18. Ephes., I, 22. — 4. St Augustin, Contr. 
Donat., ÉpiSt., CPA 4, n® 7. — 5. MyStici Corporis, 
p. 31. — 6. Matth., XVI, i8. 



37 



" l'église, c'est le christ. " 

Épouse et corps, on peut même dire que 
l'Église, c'est le Christ. L'Encyclique MyHic^ 
Corpork le fait remarquer ^ : " Saint Paul 
appelle l'Église " le Chriét ", sans rien ajouter 
de plus 2. Bien plus, si nous en croyons Gré- 
goire de Nysse, assez souvent l'Église eSt 
appelée " Christ " par l'Apôtre ^ et vous 
n'ignorez pas le mot de saint Augustin : " Le 
Christ prêche le Christ *. " Bossuet a repris cette 
idée : " L'Église, dit-il «, c'eSt Jésus-ChriSt, 
répandu et communiqué, c'eSt Jésus-ChriSt 
tout entier, c'eSt Jésus-ChriSt homme parfait, 
Jésus-Christ dans sa plénitude. " 

Ce n'eSt pas sans raison que le Sauveur a 
voulu ce renouvellement visible de lui-même 
dans le temps : " Si le Fils du Très-Haut, écrit 
Mœhler, était descendu dans le cœur de l'homme 
sans prendre... une forme corporelle, on con- 
cevrait qu'il eût fondé une Église invisible, 
purement intérieure. Mais, " le Verbe s 'étant 
fait chair ® "... pour regagner l'homme au 

I. P. 29. — 2. I Cor., XII, 12. — 3. Grégoire de 

Nysse, de Vita Mqysis, Mign., P. G. xliv, 385. — 

4« Serm. cccliv i, Mign., P. L. xxxxix, 1563. — 
5. Lettre 28. — 6. Jean, i, 14. 



Essor ou déclin de l* Église 38 

Royaume des cieux, voulut souffrir et agir 
comme l'homme ". Et le grand théologien 
ose ajouter : " Considérée de ce point de vue, 
l'Église e§t donc Jësus-Chri§t se renouvelant 
sans cesse, reparaissant continuellement sous 
une forme humaine : c'eB F incarnation perma- 
nente du Fils de Dieu ^. " 



LES DEUX ASPECTS. 

S'il en eét ainsi, il eSt naturel que l'on retrouve 
étroitement mêlés deux aspeéts dans l'Église : 
" De même qu'en Jésus-Chri§t la divinité et 
l'humanité, bien que di§tinâ:es entre elles, n'en 
sont pas moins unies, de même, dans son Église 
le Sauveur e§i continué selon tout ce qu'il eii. L'É- 
glise, sa manifestation permanente, e§t divine 



I . Moehler, ILa Symbolique, tf aduc. Lâchât, II. 
" L'Église, dit luippert, apparaît ainsi non seulement 
comme une institution fondée par Jésus-Christ dans 
le passé, mais encore comme une réalité qui, à chaque 
instant de la durée, ne cesse de jaiUir du Chri§l comme 
un immense fleuve qm, sorti des profondeurs invisibles 
de Tâme, se répand dans le monde visible de Torgani- 
sation, telle la pulsation — rythmant le mouvement de 
l'histoire universeUe — d*\in cœur éternellement 
vivant. " {UÊglise du Christ, p. 298, sq.) 



Le myftère de l'Église 39 

et humaine tout à la fois; elle e§t l'unité de ces 
deux attributs. C'e§t le médiateur qui, caché 
sous des formes humaines, continue d'agir 
en elle : elle a donc nécessairement un côté 
divin et un côté humain ^. " 



I. L'ÉGLISE " CORPS MYSTIQUE " 
DU CHRIST : ASPECT 

TRANSCENDANT 



Par le premier aspeét, l'Église e§t absolument 
transcendante à toutes les sociétés humaines ^. 
" Dieu a fait de l'Église la plus excellente, à 
beaucoup près, de toutes les sociétés; car les 
fins qu'elle produit l'emportent en noblesse 
sur les fins que produisent les autres sociétés, 
autant que la grâce divine l'emporte sur la 
nature et que les biens immortels sont supé- 

1. Moehler, 0. c, p. 313-315. 

2. La Tradition insiste sur cette réalité de l'ÉgUse 
irréductible aux autres groupements humains : " Le 
pouvoir de l'Église, dit saint Jean ChrysoStome, dépasse 
autant en valeur le pouvoir civil que le ciel dépasse la 
terre; ou plutôt, il le dépasse encore beaucoup plus " 
{in II Cor. Hom. XV, 4-5, P. G. lxi, 507). 



Essor ou déclin de l' Eglise 40 

rieuts aux choses périssables. Par son origine, 
l'Église e§t donc une société divine; par sa 
fin et par les moyens immédiats qui y con- 
duisent, elle e§l surnaturelle... ^. " 

On le voit, il ne s'agit pas seulement d'une 
préséance, mais d'une transcendance de nature. 
" Mystique " ne signifie pas " moins réel ". 
L'Église n'est pas une " entité " comparable 
à une simple " Personne morale " ou juridique. 
L'unité qui relie les fidèles à Dieu et entre eux 
dans le ChriSt et l'Esprit-Saint, eSt une unité 
" ontologique ^ ". 

Ainsi, envisagée dans sa réalité substantielle, 
l'Église est définitive et parfaite. EUe eSt tota- 
lement sainte, totalement " achevée ". Prolon- 

1. Léon Xin, Satk Cognitutn, Actes, t. V, p. 3, Éd. 
Bonne Presse. 

2. I Cor., XII, 27. La Tradition insiste sur cet aspe£l. 
Par son principe, l*unité du ** Corps Mystique " l'emporte 
sans mesure sur tous les liens d'unité qui font la cohé- 
sion d'un corps physique ou social. {MySiici Corporhy 
p. 35.) Ce principe, incréé, c'eSt l'Esprit de Dieu qui, 
selon saint Thomas, ** un et unique, remplit toute 
l'Église et en fait l'unité ". (De Veritate, Q. 29, a 4 c.) 
" Le sommet de la perfection de l'Église, comme le 
fondement de sa conStruâion, constate Qément 
d'Alexandrie, consiste dans l'unité : c'eSt par là qu'elle 
surpasse tout au monde, et qu'elle ne trouve rien d'égal 
nj de semblable à elle-même. " (Stromat. VII, 17). 



Le myHere de l'E.glke 41 

gement immortel du Sauveur dans le temps, 
elle conserve l'essentiel de sa resurredlion : 
" Voici que je suis avec vous jusqu'à la fin des 
siècles ^. " En elle demeure, absolument intaâ: 
et immuable, le dépôt sacré de la Révélation 
que la Tradition transmet de siècle en siècle. 
Elle e§t vraiment la Loi nouvelle dont pas un 
iota ne sera abrogé, le Message dont " les 
paroles ne passeront point ^ ". L'ÉgUse e§l 
un roc et une " norme " qxii échappe aux chan- 
gements. Aucune attaque ne l'entame, aucune 
invitation ne la corrompt. Sous cet angle elle 
n'ajoute rien au Christ : elle ne fait que le 
rendre visible dans sa " réalité " infinie. 



n. L'ÉGLISE " CORPS " DU 

CHRIST : ASPECT 

TEMPOREL 



Mais il ne faudrait pas que cette réalité 
sublime en fît oublier une autre. C'e§t que 
l'Église eét aussi dans le temps, dans la durée, 

I. Matth., xxvni, 20. — 2. Matth., xxrv, 35. 



Essor ou déclin de l'Rglùe 42 

" inter mundanas varietates ^ ". Car l'Église 
eél un cofps : " C'eSt parce qu'elle eét un corps, 
écrit Léon XIII, que l'Église e§l visible à nos 
regards ^ "; et donc, insiste Pie XII, " c'e§t 
s'éloigner de la vérité divine que d'imaginer 
une Église qu'on ne pourrait ni voir ni toucher, 
qui ne serait que spirituelle ® ". 

Gouvernée invisiblement par son fondateur 
et animée par son Esprit-Saint, l'Église e§t 
aussi une société visible et hiérarchique où le 
Pape et les Évêques exercent une autorité 
indispensable à l'orthodoxie de la foi comme 
à la discipline des fidèles. 



CONTINGENTE. 

Parce qu'elle eSt le corps du Christ, son 
incarnation dans l'histoire et dans la géogra- 
phie de la terre, l'Église eSî d'abord contin- 
gente. Elle est d'un temps et d'un lieu donnés : 
pourquoi ici plutôt que là ? Pourquoi eSt-elle 
née en Palestine plutôt qu'en Chine ? Pourquoi 
sous le règne de Tibère ? L'Église se trouve 

I. Oraison du 4® dimanche après Pâques. — 2. Satù 
Cogttitum, AS S xxviii, 710. — 3. MyStîci Corports, 10. 



Le myBere de VEglise 43 

être ainsij mais aurait pu être autre : la bataille 
de Poitiers a décidé pour longtemps de son 
extension et de son deStin : mystère des condi- 
tionnements humains et de Taftion de la Pro- 
vidence ! Si tel saint n'avait pas exiélé, si tel 
ordre religieux n'avait pas été fondé, si tel 
continent n'avait pas été exploré, l'Église 
n'aurait ni les mêmes formes, ni la même exten- 
sion : elle ne serait pas ce qu'elle eSt aujourd'hui. 
Communauté hiêlorique, héritière du peuple 
de Dieu qui en était la préfiguration, elle e§l 
soumise aux vicissitudes des siècles et aux lois 
des sociétés humaines. Elle assume les hommes 
tels qu'ils sont avec leurs hérédités, leurs lan- 
gages et leurs coutumes. 

CROISSANTE. 

Parce qu'elle e§t un corps également, l'ÉgUse 
ne reêle pas §lationnaire : elle se développe, 
elle change, elle grandit. C'e§t à elle que s'ap- 
plique, à la lettre, la parabole du grain de sénevé : 
" C'est la plus petite de toutes les semences; 
mais lorsqu'il a poussé, il devient un arbre où 
viennent s'abriter les oiseavix du ciel ^. " 

1. Matth., XIII, 31-32. 



Essor ou déclin de V Église 44 

Elle eêt aussi " l'édifice bien ordonné qui 
s'élève, en Jésus-ChtiSt, pouf former un temple 
saint dans le Seigneur ^ ". Quelques traits 
définissent cette croissance. 

Elle e§t d'abord " catholique " : c'eSt-à-dire 
qu'elle s'étend universellement. On souligne 
souvent l'a^e^ géographique et ethnologique 
de cette extension de l'Église. Et avec raison : 
cette pénétration au cœur des contrées et des 
diversités sociologiques de la planète eSt un 
fait sans précédent. " Dans le cours de son 
pèlerinage sur la terre, note saint Augustin, 
cette cité céleéle fait appel à toutes les nations 
pour y trouver des citoyens. Elle ne se met pas 
en peine de tout ce qui peut être différent dans 
les mœurs, dans les lois, et dans les diverses 
institutions ^. " Mais l'Église a fait preuve 
également de ce que l'on pourrait appeler une 
catholicité verticale : elle s'eSl incarnée dans la 
durée, aussi bien que dans l'étendue. Elle a 
traversé — et revêtu — toutes les civilisations 
successives de l'Hiêtoire. Elle s'eêt accommodée 
du temps aussi bien que de l'espace. Chaque 
âge lui a prêté sa " Stature " et son " visage ". 

I. Ephésiens, 11, 21-22. — 2. Cité de Dieu, Livre 
XIX, ch. xvn. 



45 



X) UNE CROISSANCE ORGANIQUE. 

Ces incarnations successives ne brisent pas 
la continuité de l'Église; elles ne sont que les 
divers " moments " de son " devenir " humain. 
Celui-ci n'e§t pas uniquement, ni principale- 
ment quantitatif — par l'annexion de nou- 
veaux membres. C'eSt un développement 
" organique ". Il a donc un sens. Ce- sens, on 
ne peut pas le déduire a priori de son existence 
présente, en indiquant exaélement à l'avance 
dans quelle direftion " temporelle " l'Église 
s'achemine ^. La vie a toujours quelque chose 
d'imprévisible. Mais, par contre, on en connaît 
le terme, — auquel cette croissance se réfère, 
et qui la définit : l'ÉgHse tend à 1' " achè- 
vement " du Christ. A la limite, elle en sera 
le " plérôme ". 

Dans cette perspeéHve, on voit d'abord que 
les " aétualités " successives de l'Église, bien 
loin de l'appauvrir, la font croître. Les civili- 

I. " Comme le Christ eSl un être vivant, l'Église 
est un organisme vivant qui se développe sous la poussée 
de son élan vital, qui n'attend pas pour vivre que les 
théoriciens l'aient définie et aient déterminé les condi- 
tions dans lesquelles ils lui permettent de vivre. " 
(J. Leclercq, I^a Vie du ChriH dans sou ÉglUe^ p. 77.) 



Essor ou déclin de F Église 46 

sations, en se succédant, n'épuisent pas plus 
l'Église, que les individus, en se multipliant, 
n'épuisent l'espèce. Chacune des sociétés et 
des fotmes sociales où elle s'incarne concourent 
au contraire à " compléter " le Chriât. Le corps 
a besoin de la Tête ^, mais la Tête a besoin 
du corps. " Il faut maintenir, bien que cela 
paraisse étonnant, que le Christ requiert le 
secours de ses membres... Il veut recevoir leur 
aide pour accomplir l'œuvre de la Rédemp- 
tion 2. " Conclusion d'importance pour 
comprendre les relations de l'Église et du 
monde — et donc situer l'engagement des 
chrétiens : le monde a besoin de l'Église, pour 
sa vie; l'Église a besoin du monde pour sa 
croissance et son achèvement ^. 

I . Jean, xv, 5 ; Ephes., iv, 1 6. — 2. Myfiici Corporis, p. 24. 

3. ** Nabuchodonosor vit une petite piètre — c'était 
le Christ — qui, détachée de la montagne sans l'adion 
d'une mata d'homme, grandit jusqu'à devenir une 
grande montagne et à remplir toute la terre (Dan., 11, 
34-35). Détachée de la montagne, cette pierre grandit, 
jusqu'à devenir montagne, parce que ce corps, qui n'avait 
pris qu'un élément infime de la masse du genre humain, 
grâce au nombre des fidèles advenant de toute part, se 
dilate dans des proportions immenses, et ne cesse de 
croître jusqu'à la fin du siècle, jusqu'à ce qu'il remplisse 
toute la terre. " (Adelmann de Brescia, Éd. R. Heurte- 
vent, p. 300.) 



47 



jusqu'à " LA PAROUSIE ". 

Mais si TÉglise e§t le " plérôme " du Chriët, 
on comprend qu'elle se veuille, sans cesse, 
plus grande et plus parfaite. EUe se sent appelée 
à grandir au cours des âges, à la mesure de 
l'humanité, dans toute la diversité concrète 
de ses individus, de ses idées, de ses formes 
de culture. L'Église n'e§t pas catholique seu- 
lement de fait, mais d'intention. Sa " fin ", 
c'est la Parousie, c'eSt-à-dire le triomphe escha- 
tologique du Christ, " alpha et oméga ". C'eSt 
pour l\ii faire — et lui être — un corps achevé, 
" à l'état d'homme fait, à la mesure de la Stature 
parfaite du ChriSl ^ ", qu'elle veut tout péné- 
trer et tout assumer, du monde, " hormis le 
péché 2 ". " Pendant tout le temps qui va de 
l'avènement du Christ jusqu'à son retour, 
l'Église se construit, sous l'influence de la 
grâce septiforme de l'Esprit, jusqu'à ce que, 
à la fin des temps, elle soit achevée ^. " Elle 
n'a de cesse qu'elle n'ait accompli son unique 
mission qui eSt de faire *' régner Dieu sur la 
tetre " : en récapitulant dans son Fils toute 



I. Ephes., rv, 13. — 2. Hébr., iv, 15. — 3. Raoul 
de St-Germer, I» JLevit.y i, 17. 



Essor ou déclin de l'Êglm 48 

la création rachetée par son sang. La doârine 
du Corps mystique du Chriâl se complète par 
celle du Chri§t-Roi ^. 



PASSIBLE ET SOUFFRANTE. 

Terme sublime 1 mais que l'Église n'attein- 
dra pas en un jour. 

Incarnée comme le Chri§l, elle e§l passible 
comme Lui : elle connaît tour à tour la viâioire 
et la persécution. Elle " répète " ses mystères, 
joyeux, glorieux et douloureux, Thabor et 

I. ** Le fondement sur lequel reposent cette dignité 
et cette puissance de Notre-Seigneur, écrit Pie XI, saint 
Cyrille d'Alexandrie le désigne exaftement : " Il possède, 
en un mot, la puissance sur toutes les créatures, non pour 
l'avoir prise par violence ou par un autre moyen, mais 
par essence et par nature " (In luuc, x). ... Ainsi, au seul 
titre de l'union hypoStatique, le Christ a puissance sur 
toutes les créatures. " Et le Pape cite Léon XIII : ** Son 
empire ne s'étend pas seulement aux nations catholiques... 
il embrasse aussi tout ce qu'il existe d'hommes n'ayant 
pas la foi chrétienne, de sorte qu'en toute vérité l'univer- 
salité du genre humain e§t soumise à la puissance de 
Jésus-Christ. " (Léon XIII, yinnum Sacrum, 25 mai 1899.) 
Mais il y a plus : " U ne faut pas distinguer entre les 
individus et les sociétés, domestiques et civiles, puisque 
les hommes réunis en société ne sont pas moins sous la 
puissance du Christ que les particuliers. " (Pie XI, 
Encycl. Quas primas, sur la Royauté du ChriSl, p. 8.) 



L.e my Hère de l'Église 49 

Calvaire. Comment s'étonner qu'elle soit sans 
cesse combattue, souvent humiliée, toujours 
souffrante par quelque endroit, quand on 
songe que son devenir terrestre renouvelle la 
vie souffrante du Rédempteur. " Le serviteur 
n'eSt pas au-dessus du Maître ^. " On peut 
dire d'elle ce que Pascal disait du Chriét : 
" L'Église eSl en agonie jusqu'à la fin des siè- 
cles. " Composée d'hommes, elle comptera 
donc des pécheurs et des tièdes, des fidèles et 
des apostats, des schismes et des hérésies. 
Durant son pèlerinage sur la terre, l'Église 
est in via — en route vers la Jérusalem céleSte. 
Et ce chemin e§t souvent un chemin de Croix. 
C'est une marche rude, qui ne se fait pas sans 
meurtrissures, ni cicatrices. Son visage humain, 
à l'image de son Maître, e§t souvent baigné 
de sueur et de sang. Comme la Sainte Face, 
également, il e§t parfois couvert de souillures. 
A certaines époques de l'Église s'applique ce 
qu'Isaïe prophétisait de la Passion du Christ : 
" Il s'élèvera devant le Seigneur comme un 
arbrisseau... qui sort d'une terre aride; il eSt 
sans beauté et sans éclat; nous l'avons vu, et 
il n'avait pas d'extérieur agréable, et nous 

I. Matth., X, 24. 



Essor ou déclin de l'Eglise 50 

l'avons méconnu. Il nous a paru un objet de 
mépris. Son visage était comme caché. Il 
paraissait méprisable, et nous l'avons compté 
pour rien ^. " 



l'église, mystère de foi. 

S'il en e§t ainsi de l'Église, comment s'éton- 
ner qu'elle soit un " scandale " aux yeux des 
hommes ? S'il c§t vrai que l'Église e§t, par 
elle-même, une raison de croire valable pour 
un esprit non prévenu, comment s'étonner 
qu'on puisse ne pas reconnaître sa divinité 
sous sa forme humaine, quand on se souvient 
que les foules de Palestine n'ont pas reconnu 
le Messie ^ dans le " Fils du Charpentier ^ " 
ou sous les traits défigurés de la Viâime du 
Calvaire ? Il faut avoir la foi du bon larron 
pour percevoir pleinement la divinité de l'Église 
à travers son visage du temps. Il faut l'esprit 
de foi pour y reconnaître " l'Épouse sans 
tache, sans ride, sainte et immaculée * ", 
" parée pour son époux ^ "; pour comprendre 

I. Isaïe, LUI, 2-3. — 2. Jean, i, 5, 10,. 11. — 
5. Matth., xm, 55. — 4. Ephes., v, 27. — 5. Apoc, 

XXI, 2. 



Le mystère de l*É^ke 51 

que, source intarissable de sainteté, elle e§t 
aussi composée de tièdes et de pécheurs. Comme 
le Christ, son Corps mystique e§t la " pierre 
d'achoppement ^ " contre laquelle butent 
les préventions et les impatiences humaines. 
Comment pourraient-ils, ceux qui la jugent 
du dehors, d'après les seules normes des socié- 
tés de la terre, comprendre le mystère de cette 
société " qui surpasse toutes les sociétés 
humaines autant que la grâce surpasse la 
nature a " ? Ils ont des yeux, et ils ne dis- 
cernent pas. Comme les disciples d'Emmaûs 
avec le Chriét ressuscité, les hommes cheminent 
avec l'Église en marche, " et ils ne la recon- 
naissent pas * ". Ils voient le corps : l'Église 
visible, juridique, inSdtutioimelle; mais sa 
réalité surnaturelle foncière, sa sainteté, son 
être immuable et impérissable leur échappe. 
Encore une fois, comment s'en étonner? 
L'hommage de foi et d'amour que les contem- 
porains du Messie lui ont refusé il y a deux 
mille ans, pourquoi les contemporains de 
l'Église, — qui Le perpétue et L'incarne, — 



X. Matth., xxij 44. — 2. MyUm Corporis, p. 34. — 
3. Luc, XXIV, t6. 



Essor ou déclin de VBglhe 52 

le Lui accordetaient-ils davantage ? L'Église, 
ne l'oublions pas, eâl une vérité de foi : " Credo.,, 
in unam^ sanBam, catbolicam et apoHolicam Eccle- 
siam. " Il faut les lumiètes de la grâce pour 
comprendre que,'* sous des apparences si iné- 
gales, se cachent des réaHtés si transcendan- 
tes ^ ". Quand il s'agit d'elle, il e§t requis de la 
traiter avec le même respect pénétré d'amour 
que l'Écriture Sainte, où s'exprime le Verbe, 
et que les Saintes Espèces du Chri§t-Eucha- 
riSlique. Ce n'eSt qu'à la clarté de la Foi que 
jaillit, en présence de l'Église, le cri de l'apôtre, 
hier incrédule : " Mon Seigneur et mon 
Dieu 2 !" Ce qui avait d'abord rebuté la 
raison devient signal d'adhésion *. 



I. Hymne de la Fête-Dieu, Lauda Sion ; " Suh diversh 
SpeciebuSi latent res exîmiae. " — 2. Jean, xx, 28. 

3. " Pour ceux qui savent l'Église divine, cette infir- 
mité même et cet effort sont le signe le plus incontestable, 
le plus définitif de sa vérité. Quand le Fils de l*homme 
parut sur la terre, eSt-ce que vraiment sa se\ale démarche, 
la majesté de son aspeâ:... ont subjugué les fovdes ? 
Nullement... L'Absolu se manifestant sous une forme 
particulière et contingente; l'éternel enfermé dans le 
temps; l'immuable cheminant sur les routes... et Dieu 
bousculé par les hommes, c'eSt toute l'Incarnation, et le 
" Verbum caro " n'a pas d'autres sens. *' (P. Charles, l^a 
K.obe sans couture, p. 146-147.) 



53 



SES AUTOMNES ET SES PRINTEMPS. 



La conclusion qui se dégage de cette nature 
" théandrique " de l'Église eSt double. 

La ptemiète, c'e§t que l'Église ne se réduit 
pas à ce que l'on peut en voir du dehors, et 
que même son visage du temps témoigne de 
l'éternelle jeunesse de Celui qui a vaincu la 
mort. Là où les observateurs du dehors dia- 
gnostiquent une agonie, les croyants, sans 
aucun risque d'erreur, discernent une renais- 
sance. Si l'Église est l'arbre issu du grain de 
sénevé, il e§t normal qu'elle traverse, comme 
lui, la succession des saisons : des automnes 
et des printemps i. 

I. ** Il e§t ïrrai qu'il y a eu des époques où, sous Faction 
de causes extérieures ou intérieures, l'Église a été jetée 
dans ce qui ressemblait à un état de déliquescence; mais 
ses étonnantes résurreftions, dans le temps même que 
le monde triomphait d'elle, sont une preuve de plus de 
l'absence de corruption dans le corps de doctrine et dans 
le culte qui représentent son développement posté- 
rieur. Si la corruption e§t un commencement de désorga- 
nisation, un brusque et complet retour de vigueur, 
succédant à une période d'aflFaiblissement, e§t même plus 
invraisemblable qu'une corruption permanente. Or, 
tel e§t le cas des résurreétions dont je parle. Après un 
effort violent on e§t épuisé et on s'endort; on se réveille 
le même qu'auparavant, reposé par la cessation tempo- 
raire de toute aétivité; et tels sont les sommeils apparents 



Essor ou déclin de l* Église 54 

La seconde conclusion n'eSt pas moins claire: 
refuser à TÉglise l'un de ces deux éléments, 
c'e§t la détruire. On voit, dès lors, l'erreur 
commune aux deux attitudes — pourtant con- 
tradictoires — que constitueraient un conser- 
vatisme et un progressisme outranciers : c'eSt 
de nier cette incarnation de l'Église. Le premier 
défend la transcendance et la pérennité de 
l'Église, mais n'accepte pas sa contingence et 
sa croissance temporelle; le second, pour 
assurer le développement de ses formes 
terrestres, oublie son essence éternelle. 



l'église " THÉANDRIQUE ". 

La vérité eét plus riche : il ne s'agit pas de 
choisir : il faut unir et concilier, en laissant à 
chaque élément sa valeur respeftive. Précieux 

de FÉglise. Elle s'arrête dans sa course, et suspend presque 
ses fondions; elle se redresse, et elle e§t la même, une 
fois de plus; toutes choses sont en leur place et prêtes 
pour raâion. La doâ;rine e§t là où elle était, et l'usage 
et les précédents et les principes et la politique; il peut y 
avoir des changements, mais ce sont des consolidations 
et des adaptations; tout ea net et déterminé et à ce 
point identiqvfô qu'il n'y a aucune discussion possible... " 
ÇNewman, Hssai sur le développement^ p. 9.) 



L.e myHère de VlEglùe 5 5 

enseignement pouf les engagements présents 
du chrétien. " Incarnation permanente du 
Sauveur ", l'Église perpétue son mystère. En 
lui s'unissaient deux natures : il était homme 
et il était -Dieu. De même, deux mondes 
s'unissent étroitement dans l'Église : la réalité 
invisible, et la Société visible, communauté 
des fidèles. Si Ton oublie l'un de ces deux 
aspe<5l;s, on supprime TÉglise. Sans organisa- 
tion visible : institutions, hiérarchie, sacre- 
ments, etc., le Christ n'eSt plus " incarné " sur 
la terre : l'Église n'eât plus un corps. Mais, 
à l'inverse, s'arrêter à l'organisation juridique, 
ne pas aller plus loin que les apparences exté- 
rieures, c'eSl remplacer le Corps du Christ 
par un cadavre d'ÉgUse. 

Mystère sublime, que celui de l'Église ! 
A chaque instant, elle doit à la fois être et devenir. 
" Être ", sans changement, dans sa réalité 
invisible; " devenir ", siècle par siècle, dans 
sa réalité visible. " Parce que l'Église eSt un 
corps, explique Léon XIII, elle eSt visible aux 
yeux; parce qu'elle eSt le Corps du Christ, elle 
est Tin corps vivant, a6Hf, plein de sève, sou- 
tenu qu'il est et animé par Jésus-ChriSt qui le 
pénètre de sa vertu à peu près comme le tronc 



Essor ou déclin de F Eglise 56 

de la vigne nourrit et rend fertiles les rameaux 
qui lui sont unis. Dans les êtres animés, le 
principe vital e§t invisible et caché au plus 
profond de l'être, mais il se trahit et se mani- 
feste par le mouvement et Taâion des membres : 
ainsi, le principe de vie surnaturelle qui anime 
l'Église apparaît à tous les yeux par les aâ;es 
qu'elle produit ^. " 

I. Léon XIII, Satis cognitum, A«ftes, t. V. p. 7, Éd. 
Bonne Presse. 



^. ï^a leçon de 
Vhistoire 



Ces aâ:es, c'e§l dans rHiêtoire, présente et 
passée, qu'ils " apparaissent à tous les yeux ". 
— C'e^ l'Histoire qui va fournir à ces vues 
doétrinales la confirmation si précieuse de ses 
faits. En y faisant appel, nous n'avons nullement 
l'intention de retracer, même sommairement, 
l'histoire de l'Église, mais seulement de mon^ 
trer qu'à toutes les époques l'Église apparaît 
simultanément avec son double élément : 
incarnée, elle revêt toutes les formes sociales 
et culturelles du genre humain qu'elle atteint; 
intemporelle et transcendante, elle " e§t ", et 
ne cesse d'être elle-même, à travers les civili- 
sations qu'elle traverse; éternellement jeune, 
en cette démarche, parce que, sans cesser de 
s'assimiler et de croître, elle ne s'eét jamais 
liée aux §tru6butes qu'elle n'assume que pour 
les sanétifier. 



6o 



I. L'ENSEIGNEMENT 
DU PASSÉ 

L'Église eâl à peine née qu'elle se trouve 
devant une option : Judaïsme ou Gentilité ? 
L'hésitation n'eSt pas de longue durée. Saint 
Paul a choisi : Pierre a compris et accepté... 
Duc in altum '^, L'Église s'émancipe de la 
tutelle de la Loi. Avec " l'Apôtre des Nations ", 
elle se fait " Grecque avec les Grecs "» C'eSt 
la chrétienté hellénique et romaine. Néron et 
Dioclétien s'acharnenr à persécuter cette 
intruse. Constantin compose, et se soumet. 
L'Église vit au grand jour, prospère dans 
l'Empire prospère. Mais voici les Barbares. 
Ils menacent. Le monde romain vacille. Ils 
déferlent. L'Empire a vécu. L'Église va-t-elle 
dispar^tre avec lui ? Certains se le demandent. 
Saint Auguâtin lui-même, en attendant les 
déva^ateurs, s 'émeut et s'interroge avec une 
anxiété qui assombrit sa vieillesse. Que va 
devenir la Cité de Dieu, sous cette invasion 
générale ? Comment concevoir le Christianisme 
en dehors de la " culture romaine " ? Car, 

I. Luc, V, 4. 



Le mySîère de l* Église 61 

" de même que, pour les chtétiens juifs, l'avenir 
du Christianisme ne faisait qu'un avec celui de 
leur peuple, de même, pour les chrétiens 
romains, il ne faisait qu'un avec celui de l'Em- 
pire... Identifiée avec lui, l'Église chrétienne 
semblait l'être, par le fait même, avec toute 
l'humanité. Elle avait atteint son idéal, eUe 
n'avait plus rien à demander à l'avenir, et toute 
son ambition devait être de conserver l'éternel 
présent... Mais l'Église eut le regard plus ferme 
et l'esprit plus calme; elle ne désespéra pas de 
l'Humanité. Elle ne crut pas que tout était 
perdu parce que Rome était condamnée. Elle 
envisagea dans son ensemble le gigantesque 
mouvement dont elle était témoin, et elle y 
découvrit l'enfantement d'un monde encore in- 
connu. Elle pressentit la nouveauté subUme qui 
n'eût pu être alors exprimée que par un accouple- 
ment monstrueux de mots : la " civilisation- 
barbare ", c'eSt-à-dire xine civilisation qui 
pourrait se passer de Rome et qui devait aller 
plus loin que Rome. Et sans crainte, avec la 
conscience de sa mission éternelle... elle prit la 
la dire<5tion de l'avenir ^ ". 

I. G. Kurth, U Église aux tournants de /'Hifioire, p. 42- 
47- 



62 



l'église " AUX TOURNANTS DE l'hISTOIRE 



3> 



Que va devenir le peuple de Dieu ? 

Le peuple de Dieu va grandir. Les Barbares 
ont conquis la Rome des empereurs; mais la 
Rome des Papes va conquérir les Barbares. 
Lente assimilation; mélange de cultures, qui, 
sept siècles plus tard, aboutira à la Chrétienté 
médiévale. Non sans pertes, ni sans périls : 
l'hérésie albigeoise, " affreuse comme le péché, 
tri^e comme la mort ", met en cause le prin- 
cipe même de la Rédemption. Mais saint Domi- 
nique et saint François sont là. Et bientôt, 
saint Thomas. Voici la Chrétienté du moyen 
âge, et son " grand siècle " : le xiii®. L'Église 
pénètre la Cité. Elle " préside à la naissance des 
communes et des universités, voit des saints 
monter sur les trônes de France et de Caâtille, 
et pendant deux siècles... elle devient l'autorité 
suprême de l'Occident, l'oracle du monde 
chrétien ^ ". Heureux triomphe, qui la délivre 
des liens de la Féodalité. Mais pour se trouver 
devant une nouvelle alternative : voici que 
s'effrite et se morcelle la Chrétienté occidentale 
sous les vagues de fond de la Réforme et de la 

I. G. Kurth, 0. c, p. 82. 



Le myftère de l'Ëglise 63 

Renaissance. L'Église va-t-elle périr ? De bons 
esprits se le demandent : le Christianisme n'a- 
t-il pas trouvé sa réalisation parfaite en cette 
société qu'anime jusque dans ses moindres 
institutions l'esprit de l'Église, et que le Pape 
et l'Empereur gouvernent en commun ? Que 
peut donner à ce présent comblé un avenir 
incertain ? Où donc eSl l'ordre chrétien, s'il 
n'eél pas dans la Chrétienté ^ ? Depuis Cons- 

I. Cette confusion entre " Église " et " chrétienté ", 
ou entre " Christianisme " et " chrétienté **, eSt à 
J'origine de tous les malaises historiques. C'eSt aussi 
la source d'une grave illusion. Celle-ci, de nos jours, 
on Ta fait remarquer, prend une double forme. L'une 
consiste à croire que le Christianisme a autrefois réussi, 
parce qu'il est parvenu à pénétrer des peuples, totale- 
ment et officiellement. D'où la nostalgie de beaucoup de 
chrétiens pour un passé auquel ils voudraient faire 
" retour ". Historiquement discutable (on sait les 
intrusions réciproques des deux pouvoirs, dont la que- 
relle des Investitures n'eSt qu'un épisode plus aigu 
et les périls, nullement imaginaires, qu'entraînent, 
pour la foi et la loyauté des fidèles, des prote6tions trop 
officielles), cette illusion repose, en outre, sur une con- 
ception fixiSte de la culture et de l'Église, dont l'origine 
e§t toujours la méconnaissance de l'Église, ** dans le 
temps ", c'eSt-à-dire de son développement constant 
et nécessaire, 

La seconde illusion ne contredit la première qu'en appa- 
rence : eUe consiste à croire que l*È.glise a échoué, parce 
que son œuvre humaine eSt sans cesse à recommencer, 
n'aboutit jamais à un ordre Stable et définitif. Alors, 



Hssor ou déclin de l'Église 64 

tantin, c'eêt, sans doute, la tentation la plus 
grave, pour l'Église. Mais celle-ci le comprend 
et s'en dégage à temps : l'Occident s'émancipe; 
mais le corps du Christ va s'accroître. Le 
Nouveau Monde e§t baptisé. Voici l'ÉgHse 
missionnaire, voici les chrétientés indigènes. 
L'Église e§t partout, et pourtant n'a rien perdu 
de son dogme, ni de son unité : le grain de 
sénevé eât devenu un arbrisseau. Et c'e§t enfin 
le monde moderne. Le scientisme, le laïcisme, 
le racisme, conjuguent leurs attaques pour 
détruire du dehors et saper du dedans le 
Corps mystique du ChriSt. Les années passent, 
les doctrines pâlissent, se remplacent; les adver- 
saires s'usent ou désarment. L'un d'eux s'é- 
croule avec fracas. L'Église demeure. 



c'est le découragement. Au fond. Terreur eSt toujours 
la même : elle confond TÉglise avec ses formes passa- 
gères. Or ** la tâche de l'Église, dit excellemment M. Gil- 
son, n'eât pas de conserver le monde tel qu'il e§t, même 
s'il e§t devenu chrétien, mais de le conserver chrétien 
tel qu'il ne cesse jamais de devenir autre ". Bref, ** l'Église 
n'a pas pour tâche d'empêcher ce monde de passer, mais 
de sanctifier un monde qui passe " (id.). 



6j 

L'éGLISE ET LES CIVILISATIONS. 

A quoi l'Église doit-elle ses triomphes 
successifs ? 

Aux éliminations qu'elle a su consentir : 
croître, c'e^ mourir partiellement. EUe a su 
quitter en temps voulu et sans regrets tout ce qui 
ne lui était qu'un " vêtement ". Comme le 
" levain dans la pâte ^ ", l'Église s'eSt intime- 
ment mêlée aux peuples et aux époques de 
rHi§toire *; mais, " sel qui ne s'aflFadit pas • ", 
elle ne s'e§l jamais liée à leur de§lin. Les Strudhi- 
res se succèdent, les temps se renouvellent 
" comme ime tente de berger ". A aucun 
moment, elles ne coïncident avec ** l'Église 
totale " : celle-ci les dépasse et les déborde, 
sans mesure. EUe n'e§t elle-même jamais satis- 

1. Matth., xiii, 33. 

2. Cette aâion bienfaisante de l'Église sur vingt 
siècles d*hi§toire eft difficile à ** isoler '* du contexte des 
autres influences. Elle eSt néanmoins reconnaissable, par 
comparaison avec les sociétés parallèles non chrétiennes. 
Dans les pays où la vie colleâive eSt pénétrée de Christia- 
nisme, on constate une constitution exceptionnellement 
pure et solide de la famille; plus de divinité humaine; 
une disposition habituelle à Taâion et à la recherche, née 
des " vertus ** chrétiennes, etc. (Cf. J. Leclercq, JLa Vie 
du CbrW dans son Église, p. 165, sq.) 

3. Matth., v, 13. 



Essor ou déclin de l*Êglise 66 

faite de ses téussitcs paftielles. " L'Église, 
remarque l'Encyclique Myfîm Corporû, ne se 
trouve pas tout entière dans des réalités de cet 
ordre, pas plus que l'homme ne consiste tout 
entier dans l'organisme de notre corps mortel " 
(p. 35). C'est une des conséquences du " mys- 
tère de l'Église " que les manifestations exté- 
rieures de sa vitalité ne sont jamais adéquates à 
la plénitude de sa vie intérieure et au potentiel 
de rénovations illimitées dont elle e^ déposi- 
taire. 

Ce que l'Histoire nous apprend de l'éternelle 
jeunesse de l'Église, en raison de son indépen- 
dance à l'égard de toutes les formes qui vieillis- 
sent, elle nous le prouverait aussi clairement de 
sa sainteté ^. 

I. Sans y insister, qu'il suffise ici de constater que 
la source de sainteté qui jaillit en elle de sa " Tête " 
mystique e§t à tous moments intarrissable. Les chrétiens 
y ont toujours puisé la sève divine qui peut et doit 
infléchir la marche du monde : par eux, et surtout par les 
saints, on a vu disparaître des institutions inacceptables 
pour la dignité humaine. Il a suffi — et il suffira toujours 
— • pour sanâifier la terre d* " a6tuer ** au-dehors la 
puissance infinie de perfeéHon que cette " épouse sans 
tache, et immaculée ", tient en réserve pour ses fils — et 
pour son Époux. — On mesure alors la " marge " qui 
sépare la sainteté essentielle de l'Église de sa sainteté 
réalisée à un temps donné. Il n'y a pas dans THiStoire 



67 



IL LE BILAN DU PRÉSENT 



ÉgHse et civilisation; Église et sainteté : dans 
les deux cas, renseignement du passé conclut à 
la fois à l'itréduftible transcendance et à l'éter- 
nelle adtualité de l'Église, — l'une condition- 
nant l'autre. Toujours immuable et toujours 
jeune, fidèle à Dieu et fidèle à l'homme : ces 
signes de vie d'xme Église qui ne vieillit pas, ils 
nous sont aussi donnés, et en abondance, dans 
le présent. Ici encore, il ne s'agit pas de dresser 
un bilan complet : il suffit d'esquisser à grands 
traits. 



DANS LE MONDE. 



Du réquisitoire dressé par l'athéisme contem- 
porain contre l'Église, retenons loyalement un 
fait : la déchristianisation du monde. Mais à 

»ne civiKsation chrétienne type, ni un modèle unirbrme 
de sainteté qui seraient à canoniser pour en faire une 
norme. Il n*y a eu que des institutions — ou des per- 
sonnes — plus ou moins pénétrées du Christianisme et 
de ses vertus. 



Bssor ou déclin de VÉglhe 68 

condition d'en expliquer aussitôt le sens. Car 
cette évolution eSt autrement complexe qu'on 
ne veut bien le dire. 



LA DÉCHRISTIANISATION... 

Il e§t vrai que l'Église a perdu des peuples, 
et que le nombre des croyants diminue en 
Europe. Mais les Statistiques, à l'inverse, 
montrent que les effeâifs augmentent ailleurs : 
en Afrique, dans les deux Amériques, et en 
Asie, l'Église voit s'adjoindre à elle de nouvelles 
provinces, soit par le progrès de la natalité dans 
tel ou tel pays catholique, soit par l'aéHon 
des missionnaires. En Asie, et en Afrique, en 
particulier, où le clergé indigène eSt de date 
récente, il faut bien plutôt parler d'origine que 
de vieillissement ^. Concédons néanmoins que 

I. L*appel de Mgr Yu-Pin, évêquc de Pékin, en four- 
nirait un récent témoignage : " ... Sans la reconStruâion 
spirituelle... la Chine aurait un corps sans âme. ... EUe a 
entre les mains une occasion qui ne se répétera pas : U 
n'y aura qu'une reconstruction de la Chine. C'eSt pour- 
quoi je lance un cri d'appel... Je désire trouver des 
ingénieurs, des doâeurs, des professeurs, des journa- 
listes... qui, tout en s'engageant dans leur carrière profes- 
sionnelle, apportent quelque chose de plus à la Chine : 
le témoignage chrétien de leur vie ." 



Ije mystère de VÊglùe 69 

le dépérissement de la croyance et de la pratique 
religieuse garde un caractère universel. 

En ce sens, d'abord, qu'on le rencontre sous 
tous les méridiens, et qu'il affeéfce tous les 
groupes sociaux : races, classes, etc.; mais 
aussi — et surtout — en ce sens qu'il e§t com- 
mun à toutes les religions. Un rapport de con- 
comitance a été en effet dégagé entre la crise 
religieuse et la présence de la civilisation mo- 
derne. Partout où elle apparaît, la croyance reli- 
gieuse diminue^ dans les masses. Indice deux 
fois révélateur : si la civilisation technique 
expulse ainsi, partout, le sentiment religieux, 
c'est qu'elle contient des éléments qu'il e§t 

I. Cette loi se vérifierait surtout chez les populations 
qui ne possèdent pas de religion déterminante, comme la 
Chine ou le Japon, qui se sont mis à l'école des dieux de 
l'Inde et où l'État a pu affirmer, à notre époque, son 
ralliement au laîcîsme occidental. On a fait observer 
qu'en revanche, dans l'Inde, dans les pays arabes, et 
en général dans les pays où la dénomination religieuse 
constitue le faâeur prédominant de la nationalité, le 
bouddhisme et l'Islam se réveillaient pour fanatiser les 
masses. Mais on voit ce que cette attitude politique a 
d'occasionnel et d'étranger aux valeurs religieuses elles- 
mêmes, ici seules en cause. Même de ce point de vue, du 
re§le, ** la vie religieuse musulmane diminue rapidement 
en Syrie, en Egypte, en Afrique du Nord. Aux Indes, 
die commence à baisser. ** (P. Desqueyrat, UApoSiasie 
des temps nouveaux^ Travaux, oâobre 1946, p. 17.) 



Essor ou déclin de l* 'Église 70 

grand temps de neutraliser ou de remplacer : 
précieuse consigne d'aéHon pour les chrétiens. 
Mais si, par ailleurs, la régression eSl commune à 
toutes les confessions, il eât manifestement 
injuste d'en faire peser toute la responsabilité 
sur la seule Église catholique. D'autres causes, 
objeâives ou subjeâives ^, interviennent pour 
expliquer un phénomène — douloureux, certes, 
et même au dire de Pie XI " scandaleux " — 
mais dont les fautes ou la carence des catholiques 
ne suffisent pas à rendre compte. Ceux-ci en ont 
leur part — et leurs examens de conscience, 
privés ou publics, en cette matière ne font point 
défaut de nos jours. Mais le dénigrement systé- 
matique e§t-il toujours bien informé ? Certaine- 
ment non. Si le Chri^ a perdu l'audience des 
masses, si les mœurs et la pensée se sont 
construites insensiblement et presque totalement 
en dehors de l'Église, cela provient souvent de 
causes externes et lointaines. On sait que l'in- 
fluence des idées ne se fait sentir que longtemps 
après leur diffusion dans les élites. Dès la 
Renaissance, mais surtout au xviii® siècle, ces 
dernières prônaient un culte tout naturaliste de 
l'individu, une philosophie de l'homme où 

I. Cf. Desqueyrat, 0, c, p. 14, sq. 



jL^ mystère de l'Église 71 

Dieu n'avait pas place. Deux siècles ont passé : 
ces doftrines, grossies de tout le courant matéria- 
liste du XIX® siècle, ont gagné les foules. 



... ET l'Église enseignante. 



En revanche jamais, peut-être, l'action des 
Papes ne s'eSt fait sentir d'une manière aussi 
utiiverselle que depuis cinquante ans. L'Église 
n'a pas oublié sa mission essentielle d'enseigner : 
" Allez, enseignez toutes les nations... ^. " " De 
par la volonté de Dieu et en vertu d'une mission 
reçue du Christ... gardienne de l'ordre naturel 
et surnaturel ", l'Église n'a pas manqué " de 
rappeler bien haut devant ses fils et en présence 
de l'univers entier, les principes inébranlables 
dont doit s'inspirer la vie humaine... ^ ". Ce 
désir de se faire entendre d'un monde moderne, 
avant tout préoccupé de son organisation 
tem.porelle, ne lui fait cependant pas perdre de 
vue que le Royaume de Dieu doit être annoncé 
par-dessus tout. L'histoire récente montre que 
parmi les fidèles, ceux qui ont le mieux su 

I. Matth., XXVIII, 19. — 2. Pie XII, Message de 
Noël, 1942, no 3. 



Essor ou déclin de l'Église yz 

répondre à l'appel de leur époque sont ceux-là 
mêmes qui se sont montrés les plus empressés 
à recueillir la parole du Vicaire de Jésus-Christ. 
La voix des Papes a dépassé largement le cercle 
des baptisés : Léon XIII donne à l'Église une 
voie nouvelle pour un enseignement social 
conforme à l'Evangile; Pie XI impose son refus 
implacable aux nationalismes fermés ou aux 
menées des États totalitaires; Pie XII invite 
l'humanité tout entière à s'associer aux efforts 
de l'Église pour délivrer la personne humaine 
menacée dans son être et dans la famille, qui 
e§t son extension normale. 



LA voix DES PAPES ET DE l'ÉPISCOPAT. 

L'enseignement de l'ÉgUse, à l'heure aéhielle, 
peut se référer à la triple mission qu'ont rappe- 
lée sans cesse les Adtes du Saint-Siège ou les 
déclarations de l'Épiscopat. 

Gomme représentants de la Charité du Christ, 
la Papauté et l'Épiscopat n'ont cessé d'élever 
la voix pour s'appliquer à sauver la paix* en 

I. On se souvient des paroles du Souverain Pontife 
au dernier Consistoire où l'universalité de i*Église 
apparaissait si bien en la personne des nouveaux cardi- 



Le mjBère de l'Église 75 

prévenant la guerre civile ou étrangère; et, 
en cas de conflit, à empêcher, dans la mesure 
du possible, toute aggravation des adirés d'hosti- 
lité ; à rendre plus humain le sort des humbles, 
etc. 

Comme représentants de la JuHice^ ils se sont 
efforcés, au milieu du désarroi, d'éclairer les 
consciences sur les moyens colleétifs et indi- 
viduels qui s'imposent pour fonder la société 
jEiiture sur les principes moraux sans lesquels 
elle n'est pas viable. 

Enfin, comme représentants de la Grâce 
surnaturelle du Chriât, ils rappellent inlassable- 
ment, par-delà les exigences humaines, morales. 



nairs issus de nationalités si différentes : '* UÊglùe catho- 
lique dont Rome e§t le centre eSi supra-nattonaîe par son 
essence même. Ceci s'entend en deux sens, l'un négatif 
et l'autre positif. L'Église e§t une Mère, San^a Mater 
Ecclesîa^ une vraie mère, la mère de toutes les nations et 
de tous les peuples, non moins que de tous les individus; 
et précisément parce qu'elle e§t mère, elle n'appartient pas 
et elle ne peut pas appartenir... exclusivement à tel ou 
tel peuple, ni même à un peuple plus qu'à un autre, 
mais à tous également. Et pour la même raison également 
** elle n*e§t ni ne peut être une étrangère en aucun endroit. 
Elle vit, ou du moins par sa nature elle doit vivre dans 
tous les peuples. " Allocution au Sacré Collège, 24 dé- 
cembre 1945, commentant la nomination de trente- 
deux nouveaux cardinaux.) 



Essor ou déclin de l* Église 74 

sociales et politiques, le myélère chrétien et sa 
surnaturelle transcendance. 

On ne peut considérer dans leur ensemble 
les aétes du Magistère — Pape et Évêques du 
monde entier — sans admirer une unité et une 
fidélité de doârine qui n'ont d'égale que son 
aéhialité. Si l'on ajoute à cette aâion doârrinale 
les services sans nombre — secours matériels, 
contribution culturelle, etc. — rendus par la 
hiérarchie catholique au bien commun comme 
aux individus, à la famille comme à la profession 
ou à l'État, on e^ autorisé à y voir un signe de 
la vitalité d'une Église si manifestement ensei- 
gnée et gouvernée par le Christ. 



BNFRANCE. 



DETACHEMENT DES MASSES. 



Si on le considère surtout en France, le fait 
religieux apparaît comme toujours présent et 
vivant. Mais, de plus en plus diSlindement, il 
rencontre une masse de réalités en quelque sorte 
extérieures à la réalité religieuse et qui la mettent 



Le myBère de l'Église 75 

en question de toutes manières. De proche en 
proche, Faâion des élites antichrétiennes s'eSt 
étendue ; elle a donné naissance à un monde 
construit en dehors de l'Église, au sein duquel, 
par un processus quasi automatique, des masses 
humaines de plus en plus importantes se sont 
détachées de la religion. Partiellement même 
elles ont cru bien faire en le faisant, trouvant 
dans le monde moderne et son esprit les élé- 
ments d'une sorte de justification apparente. 
Ces masses, profondément déchristianisées, gar- 
dent sans doute dans leur conscience bien des 
exigences chrétiennes, de justice, de charité 
fraternelle; mais elles ne cherchent plus dans 
l'Église de quoi alimenter leur vie. Elles s'en 
détournent au contraire pour essayer de satis- 
faire, dans des mystiques athées, à la fois leur 
appétit de jouissance et leur besoin de générosité. 
Parmi cette masse sans Dieu qu'on a appelée 
" prenne " et qui a pu faire nommer la France 
un " Pays de mission ", on discerne une com- 
munauté chrétienne, qui comporte bien des 
degrés. A côté de farmlles ferventes, peuplées, 
animées de l'esprit de sacrifice et du sens du 
devoir, et riches en vocations religieuses, vit 
une frange, importante en nombre, de chrétiens 



Essor ou déclin de l* Église 76 

baptisés et non pratiquants, mais qui se ratta- 
chent encore à l'Église par quelques faits mar- 
quants de leur existence : baptême, première 
communion, etc. On y voit aussi les " chrétiens 
saisonniers ", irréguliers dans leur pratique, et 
les chrétiens de " milieu paroissial " qui forment, 
avec les sympathisants, cette " réserve " de 
** forces morales " à laquelle on sait faire appel 
aux heures difficiles. 



ESSOR DES ÉLITES. 

Mais surtout, un fait domine, et explique, 
le renouveau : c*e§t l'essor des élites. Au siècle 
dernier, elles étaient rares, et s'en tenaient sur- 
tout à une attitude négative. Au cours des der- 
nières décades, au contraire, et dans tous les 
milieux, des élites ont surgi, préoccupées de 
comprendre la situation nouvelle et d'être 
auprès de leurs frères les plus éloignés les té- 
moins du Christ. Des chrétiens, sans cesse plus 
nombreux, sont alertés et saisissent qu'il y a 
dans le fait de la déchristianisation un phéno- 
mène non plus individuel mais global, et qu'il 
faut attaquer comme tel. Un immense effort a 



Le myfière de l'Église 77 

été fait en ce sens. Et l'on retrouve maintenant 
les témoignages de la " qualité " de TÊglisè, et 
de sa vitalité, dans tous les domaines. 



DANS LA PENSÉE. 

S'agit-il du domaine de la pensée ? La place 
tenue par les catholiques dans la vie scientifique, 
littéraire et philosophique, montre assez com- 
bien les incompatibilités que l'on s'était plu à 
proclamer entre la science et la foi étaient mal 
fondées. Il y a cinquante ans, cette réussite 
catholique n'apparaissait que chez certaines 
personnalités brillantes, dont les noms étaient 
d'autant plus mis en lumière qu'ils étaient plus 
rares ^. Aujourd'hui, c'e§tun va§le mouvement 

I. L'ascension des classes ouvrières aux responsa- 
bilités sociales et politiques, qui constitue un des faits 
majeurs de notre société moderne, s'eSt doublée, depuis 
un siècle, d'un goût de la recherche et de la création 
intelleâueUes auquel la philosophie et la science contem- 
poraine donnèrent une allure révolutionnaire et souvent 
antireligieuse. L'une des habiletés et des forces du mar- 
xisme a été de prétendre associer le culte de la recherche à 
la poussée révolutionnaire de revendications sociales, 
" le matérialisme historique " se présentant non seule- 
ment comme le libérateur des classes opprimées mais 
comme le système philosophique dont la vision du 



Essor ou déclin de l'Églùe 78 

d'ensemble qui s'afcme et qui se ptépate : les 
intelleâ^iels chtéticns sont pattout ^. On les 
trouve dans les Facultés, les Académies, les 
Sociétés scientifiques, les Centres de recherche. 
Non seulement ils ne craignent pas d'y affirmer 
leur foi, mais tous, — chercheurs modestes ou 
savants de réputation mondiale — témoignent, 

monde permet à rhonune moderne de trouver réponse à 
ses exigences intellectuelles. Cette confusion fut grande- 
ment facilitée par la place, restreinte il faut le reconnaître, 
qu'occupaient les penseurs catholiques depuis plus d'un 
demi-siècle, et que ne purent compenser le génie d'un 
Lapparent, d'un Branly, d'un Termier, etc. 

I. " C'e§t un fait que cette renaissance catholique 
dans les Lettres existe, qu'elle e§t chez nous sans précé- 
dent et qu'elle se prolonge sans que rien en laisse entre- 
voir une interruption ou un arrêt prochains. Le divorce 
entre l'art et la foi e§t, chez les catholiques, de moins en 
mioins admis. L'attitude d'un Montaigne, catholique dans 
sa vie, païen dans son œuvre, bien peu oseraient la 
prendre aujourd'hui. Être chrétien, pour nous, c'eSl 
tendre à ** informer " toute notre vie de Christianisme. 
En outre, l'écrivain catholique n'eSt plus, comme au 
temps de Barbey d'Aurevilly ou de Bloy, un isolé fa- 
rouche. Nous n'aurons jamais assez de gratitude à 
l'égard de ces devanciers illustres qui luttèrent seuls, 
qui furent presque seuls les témoins de Dieu à une époque 
matériasliSte et païenne. Mais de nos jours, la littérature 
catholique a conqms sa place dans la Cité. Nos écrivains 
sont partout. Et le ton des livres chétiens, sans avoir 
rien perdu de sa fierté légitime, a quelque peu changé. " 
(L. Chaigne, Anthologie dt la Kettaissance catholique, t. II, 
P-5.) 



I^e mjitère de PÉglùe 79 

par leur valeur technique et leur loyauté dans 
la recherche, de la parfaite harmonie de leur 
vocation de penseurs et de leur vocation de 
chrétiens. Ils s'appliquent surtout — et cet 
effort " positif " eSt une vraie nouveauté — à 
montrer que les problèmes posés à la conscience 
contemporaine trouvent dans le Catholicisme 
leur réponse plénière. Leurs investigations 
méthodiques portent sur tous les domaines : 
aussi bien Sociologie, Histoire et Psychologie 
que Sciences exaâes. Par son ampleur numé- 
rique comme par sa qualité, cette renaissance 
intellectuelle constitue à la fois le plus indiscu- 
table témoignage de la vitalité présente de 
l'Église et l'une de ses plus belles promesses 
pour demain. 



SUR LE PLAN SPIRITUEL. 

Cet essor se manifeste, parallèlement, dans 
la vie religieuse elle-même. La spiritualité s'eSt 
en même temps répandue et approfondie. Ce 
progrès se manifeste par des conversions — 
souvent éclatantes — qui intriguent et impres- 
sionnent les incroyants. Mais aussi, par des 



Essor ou déclin de l'Église 80 

exigences de plus en plus affirmées à Tégard 
de la vie chrétienne : retour aux grands 
"dogmes générateurs de la piété '*; pratique 
religieuse accrue et axée sur la liturgie. Celle-ci 
a suscité — et provoque encore tous les jours 
— des curiosités, des enquêtes, et des contro- 
verses passionnées. La vie mystique elle-même, 
et la plus authentique, attire et retient des âmes 
de plus en plus nombreuses. Le succès étonnant 
du Livre catholique — Écrits spirituels. Hagio- 
graphie — en serait à lui seul un indice. 

Mais la vie en fournit un autre — combien 
plus valable : dans Tordre de la sainteté. Car s'il 
est vrai que jamais, sans doute, les foules n'ont 
été aussi éloignées de Dieu, jamais, non plus 
peut-être, nous n'avons connu tant de saints. 
La simple liste de ceux que l'Église a béatifiés 
ou canonisés depuis le début de ce siècle suffirait 
à lui mériter son vocable : le siècle des Saints. 
Mais combien d'autres ont donné leur vie, tous 
les jours ou en une fois, pour le Christ et son 
Église ! La guerre et la déportation ont eu 
leurs héros et leurs martyrs. La vie quotidienne 
nous fait admirer des vertus d'autant plus 
sublimes qu'elles sont plus humbles et plus 
cachées. Vocations d'apôtres et de millitants 



JLe mystère de l'Église 8i 

laïcs, vocations sacerdotales et religieuses, 
naissance spontanée d'ordres religieux de Style 
nouveau, où la spiritualité la plus dépouillée 
s'unit au souci d'adhérer au présent — autant 
de signes, encore, d'une efflorescence de vie 
dans l'Église de ce temps. 



DANS l'action. 



Cette montée de sève n'eSt pas une " géné- 
ration spontanée ". On la doit, pour une très 
large part, à une réalité nouvelle, manifestement 
suscitée par l'Esprit-Saint pour en faire un 
instrument apostolique adapté à la pénétration 
du monde moderne, à savoir l'yidtion Catholique. 
Pour ne citer que la France, il eSt désormais 
impossible de faire l'histoire de ces vingt 
dernières années sans tenir compte du fait 
nouveau qu'a constitué son origine et son déve- 
loppement. Qu'il suffise ici d'y voir une preuve 
manifeste du rajeunissement incessant de 
l'Église. Partie de principes dont les consé- 
quences devaient se révéler incalculables : 
en particulier, la participation des laïcs à l'évan- 
gélisation du monde, et la restitution aux va- 



Essor ou déclin de P Église 82 

leuts humaines de leur orientation éternelle, 
rAéHon Catholique atteint aujourd'hui toutes 
les classes de la Société. On se sert ordinaire- 
ment, pour l'apprécier, de mesures surtout 
quantitatives. Elles sont déjà révélatrices : 
dans les milieux ouvriers et ruraux, où ses 
efFeâdfs sont les plus nombreux, le nombre des 
militants, adhérents ou influencés, dépasse, pour 
la J. O. C. et pour la J. A. C, 200 000 pour 
chaque Mouvement — et plus encore pour les 
branches féminines. Si Ton considère, derrière 
ces chiffres, le travail effectué : prise en charge du 
milieu, réponses réalistes aux problèmes qu'il 
pose, affirmation fière et accueillante de la foi 
catholique, on conçoit que l'aâion réeUe dé- 
borde largement les zones visibles d'efficacité. 
Car ce serait une erreur grossière que d'identifier 
les §lruâ:ures de l'AéHon Catholique avec sa 
Mystique; son " corps " avec sa " vie ", et de 
confondre " organisation " avec" mouvement ". 
Ce dernier mot — malheureusement affadi par 
l'usage — dit pourtant assez que l'Aétion Catho- 
lique n'eSt pas " quelque chose de fait " mais 
" quelque chose qui se fait ". Elle eSt in via. 
Sans cesse elle révise ses méthodes, confronte 
ses résultats, interroge l'avenir. Qu'elle con- 



Le my itère de l'Église 85 

naisse des moments d'artêt et des fermentations 
imprévues, cela e§t normal, et c'eSt même ras- 
surant : on reconnaît là les signes de la vie. 
L'Aâion Catholique a vingt ans : il eSt légitime 
qu'elle traverse sa " crise de croissance " pour 
accéder au Stade de la vie adulte. 

A chaque moment, les germes que tant de 
prières, de réflexions et d'efforts convergents 
ont déposés en elle, prennent racine et se déve- 
loppent. Le devenir ultérieur de cette croissance 
n'eét pas toujours prévisible. La garantie de sa 
sécurité réside dans le souci qu'a TAétion Catho- 
lique de se dépasser elle-même — en rêvant 
fidèle à ses principes essentiels — et dans son 
esprit de loyale et filiale confiance à l'égard de 
la hiérarchie. 



SIGNES DE VIE. 

Ce sera l'honneur de notre génération d'avoir 
compris que la situation nouvelle de l'humanité 
exigeait des conditions apostoliques nouvelles. 
En plus des Mouvements généralisés, masculins 
et féminins, qui sont de haute tenue et de grand 
rendement, l'immense effort qui a produit les 



Essor ou déclin de r 'Eglise 84 

Mouvements spécialisés les pousse à découvrir 
sans cesse les moyens de travailler la masse indif- 
férente, à la manière du levain. On constate 
maintenant l'influence réelle exercée par les 
générations montantes sur la famille, la profes- 
sion, les commiinautés naturelles de vie, et 
même les Institutions. Tous concourent à cet 
immense labeur : la Paroisse qui cherche sa voie 
communautaire et missionnaire; le clergé qui 
repense TapoSlolat et anime les militants; les 
apôtres laïcs qui pénètrent le tnilieu; enfin, 
certaines formules — Mission de France, 
Mission de Paris, — qui, le plus souvent en 
marge de la Paroisse, mais toujours en liaison 
avec elle, constitue sa pointe avancée. 

Il faut conclure. A qui ferait-on croire, après 
cette seule énumération, que l'Église se meurt ? 
Est-on fondé, en face d'un tel bouillonnement, 
à parler d'agonie ? Ces grandes forces qui traver- 
sent l'Église, ces vagues de fond qui la sou- 
lèvent, ne sont pas des signes de mort. Elles 
trahissent la montée de la sève, la poussée du 
printemps. 



Troisième partie 

Lies conditions 
de l'essor 



Loin de nous, cependant. Nos Très Chefs 
Frères, la tentation de l'illusion. Il s'agit de 
bourgeons, et non pas de moisson. La croissance 
de l'Église, c'e§t à Dieu qu'elle reviendra : 
mais non pas sans nous 1 Car sa Toute-Puis- 
sance a voulu nous «confier le soin d'en être, 
avec sa grâce, les artisans. A quelles conditions ? 

Ce que la Théologie et l'Histoire viennent de 
nous apprendre de l'ÉgUse, va guider notre 
aétion. 



j. Les options 
à exclure 



Celle-ci va se fonder sur la nature ** théan- 
drique " de l'Église et donc éviter, dès l'abord, 
deux fausses routes : celles-là mêmes qui, si on 
les poussait à là limite et d'une façon imilatérale, 
constitueraient des erreurs nettement caraélé- 
risées. Ces deux solutions contradiéfcoires ont 
ceci de commun, nous sommes maintenant à 
même de le voir, de mutiler la conception totale 
de l'ÉgHse en excluant l'un de ses deux éléments. 



I. LE " MODERNISME 



» 



Un premier groupe d'errevirs constitue le 
Modernisme. Il a une hi^oire. Voici un demi- 
siècle, pris de vertige devant les conquêtes de 
la pensée moderne, certains catholiques, insuf- 
fisamment conscients de la valeur transcendante 
de leur foi, tentèrent une adaptation qui était 
un abandon doâ;rinal : ce qui importe, pen- 



Essor ou déclin de rEglise 92 

saient-ils, c'e§t de se r éconcilief avec le monde. 
Si donc quelque accommodement eét néces- 
saire, pour faire cadrer le dogme avec la raison, 
ou la morale avec la science, il faut y consentir. 
Tout évolue dans le monde : l'Église n'échappe 
pas à cette loi. Qu'elle s'y prête hardiment. Elle 
y trouvera son profit : ce qui importe, ce n'e§t 
pas la Lettre, c'e§t l'Esprit ; ce n'e§t pas l'héri- 
tage, c'est la " Vie " et le " Progrès ". Car être, 
c'e^ essentiellement " devenir ". Si l'Église veut 
vivre, qu'elle adapte son Dogme, son culte et sa 
discipline aux formes du présent. 

Mais l'Église ne l'entendit pas ainsi. Et en 
condamnant si nettement cette déviation, elle 
se sauvait elle-même d'un naturalisme qui, en 
la privant de sa transcendance, lui ôtait du 
même coup toute raison d'être historique. Le 
Modernisme avait bien vu la face " humaine " 
de l'Église, mais il avait méconnu sa nature 
divine. Il n'avait vu que le *■ phénomène ". 
Aveuglement inévitable qui guette encore, de 
nos jours, tous ceux qui, même sans s'en rendre 
compte, resteront influencés par le Naturalisme. 

Est-ce par cette voie que l'Église reprendra 
sa place dans le monde ? Assurément non. 
Dans la pensée, les catholiques ne devront donc 



JLes conditions de l'essor 93 

jamais accepter un rejet systématique de tout ce 
qui eêt ancien, ni un engouement de principe 
pour " tout ce qui e§t nouveau ". D'abord parce 
que le Progressisme outrancier eêt à la fois naïf 
— au simple regard de la raison ou de l'expé- 
rience — et contradiâioire dans les termes : 
qu'e§t-ce qu'un " modernisme " qui, au nom 
d'un progrès indéfini, canonise l'un de ses 
moments transitoires ? C'e§t un " fixisme " l En 
faisant de 1' " aduel " — comme tel — un ab- 
solu valable et une norme d'aétion, le Progres- 
siste " fige " le devenir en l'une de ses Struâiures 
caduques. Ce qu'il appelle " aujourd'hui ", un 
autre, demain, l'appellera " hier ", et le condam- 
nera pour cette seule raison. On reconnaît là 
l'impasse du Pragmatisme, et les courtes vues 
de l'Américanisme. Mais surtout, on voit 
combien l'Église a raison de maintenir, face à 
toutes les concessions et compromissions qui 
lui sont si souvent demandées par ce ** monde 
qui passe ", une intransigeance qui n'eSt pas 
chez elle une " attitude ", ou un réflexe prudent 
de survie, mais le simple corollaire d'un dogme, 
et le rayonnement tranquille de son être^. 

I. "Le Chrigtianisme a eu en vue, du comtnencetnent 
à la fin, des principes fixes dans le cours de ses dévelop- 



Essor ou déclin de l'Ëglùe 94 

Rappelons à ce sujet la belle afïkmation de saint 
Vincent de Lérins : " Garde le dépôt de la foi ^ " 
Mais qu'est-ce que ce dépôt ? C'est ce qui t'a 
été confié, et non ce qui a été trouvé par toi ; 
c'est ce que tu as reçu, non ce que tu as inventé. 
Ge n'eSt pas affaire d'invention personnelle, 
mais de doâ:rine; non d'usage privé, mais de 
tradition publique... Tu ne dois pas en être 
l'auteur, mais le gardien... Conserve donc 
intaâ; et sans souillure le talent de la foi catho- 
lique. Ce qui t'a été confié, c'eét cela que tu dois 
garder, puis livrer à ton tour. Tu as reçu de 
l'or, rends de l'ot, ne remplace pas impudem- 
ment l'or par le plomb... La vérité que tu as 
apprise, enseigne-la toi aussi; dis les choses 
d'une manière nouvelle sans dire pourtant des 
nouveautés ^, " 

Dans la pratique, l'attitude du chrétien, face 

pements, et c*e§t pour cela que, sans tien perdre de ce 
qui lui était propre, il a été capable de s'incorporer les 
doctrines qui lui étaient étrangères. Une pareille conti- 
nuité de principes et un semblable pouvoir d'assimila- 
tion sont Tun et l'autre incompatibles avec l'idée de 
corruption... " (Newman, HiHoire du développement de la 
doctrine chrétienne^ ch. vr, seâ:. 11.) 

1. I Timothée, vi, 20. 

2. Saint Vincent de Lérins, Commonitorîum, Rouet de 
Journel, n^ 2175. 



Les conàitions de P essor 95 

au inonde, ce ne sera donc jamais et à aucun 
prix, l'abandon. " On n'e^ pas chrétien pour 
être complaisant, flexible et malléable, prêt à 
tout compromis et à tout eflfacement... " pour 
être ballotté à tout vent de doârine^". Le 
chrétien a sa ligne de vérité et de droiture, et, 
devant l'erreur, devant le mal, il dit : non ... 
Souvenons-nous que, si puissant que soit le 
monde, il e§t tenu en échec devant la fermeté 
d'une conscience *. '* 



II. " L'INTÉGRISME " 

Mais à l'inverse, l'Église ne se ramène pas, 
sans mutilation, à son asped imjnuable et 
intemporel. Si l'ÉgUse eSt indépendante à 
l'égard du monde, de tout l'abîme de sa trans- 
cendance, et si, en ce sens, elle n'eSt pas " du 
monde ", par contre, elle eét ** dans le monde ", 
et, à ce titre, elle en fait partie par ce qu'il y a 
en elle de visible et d'humain. Ce simple rappel 
différencie son aétion de celle à laquelle vou- 

I. Ephes., IV, 14. 2. Mgr Blanchet, Lettre pastorale. 
Carême 1946. 



Essor ou déclin de l* Église 96 

droit la rédxiire l'Intégristne. Celui-ci revêt di- 
verses formes : toutes, ici encore, relèvent d'une 
acception unilatérale de la Réalité totale de 
l'Église. Voilà pourquoi il e§t si important de 
signaler à la conscience des vrais chrétiens les 
trois " modes " principaux d'une erreur de 
perspeéHve, qui constituent autant de méprises 
à éviter. 



INTÉGRISME DOCTRINAL. 

V 

Et d'abord, il ne faut pas confondre l'inté- 
grité de la doétrine avec le maintien de son 
revêtement passager. Sans doute — et il faut 
l'affirmer plus que jamais — le dépôt révélé e§t 
le trésor essentiel de l'ÉgUse auquel on ne peut 
porter atteinte sans suicide et sans sacrilège. 
Sans doute faut-il garder scrupuleusement les 
formules dogmatiques définies. Mais faut-il 
identifier la Révélation aux systèmes et aux 
Écoles théologiques ? Comment, s'il en était 
ainsi, expliquer l'attitude de saint Thomas 
d'Aquin rompant catégoriquement avec l'Au- 
guStinisme platonicien pour adopter l'AriStoté- 
lisme ? La " diStinéHon réelle " sur laquelle il 



Les conditions de P essor 97 

fondait son attitude, il pouvait la justifier pat 
un précédent traditionnel : les deux interpréta- 
tions parallèles de vérités docStrinales identiques 
qui constituent le double courant des Pères 
Grecs et des Pères Latins. 

E§t-ce à dire que l'Église ne puisse préférer 
une synthèse à une autre ? Assurément si. 
Pour des raisons de sécurité morale et doctrinale 
elle peut proposer à ses fils tel ou tel système, 
par la voix des Papes, comme une sûre garantie. 
C'eét ainsi qu'elle a maintes fois recommandé le 
Thomisme, pour la valeur de ses méthodes et 
la solidité éprouvée de ses thèses. En faisant 
de " la doétrine et des principes du Doâieur 
Angélique ^ " son enseignement officiel \ l'É- 
gUse affirme nettement le prix qu'elle attache 
au " magnifique édifice que saint Thomas 
d'Aquin a construit avec des éléments réunis et 
rassemblés par-delà et par-dessus tous les temps 
et que lui fournirent les maîtres de toutes les 



1. Pie Xn, Discours aux Pères Dominicains du Cha- 
pitre Général, 22 septembre 1946. 

2. Code de Droit canonique, Can. 1366, § 2, confirmé 
par la Constitution Apostolique Deus scientiarum Domi- 
ttusy 24 mai 193 1. 

4 



Essor ou déclin de r Église 98 

époques ^ ". Faut-il en conclure que saint Tho- 
mas a tout dit et que sa pensée a épuisé et égalé 
le dépôt révélé ? Faut-il, après lui, renoncer à 
penser ? Évidemment non. On connaît le mot 
de Lacordaire : " Saint Thomas e§t un phare, et 
non pas une borne. " Sa lumière doit éclairer 
une investigation toujours plus poussée des 
deux sources de la foi : l'Écriture et la Tradition. 
Parlant d'elles, saint Irénée faisait observer 
que " l'enseignement que nous avons reçu de 
l'Église est comme un dépôt précieux ren- 
fermé dans un vase excellent. UE^rit le rajeunit 
toujours et communique sa jeunesse au vase qui 
le contient ^ ". Les hommes de doétrine, écrit 
Pie XII, " doivent s'exprimer, tant dans leurs 
paroles que dans leurs écrits, de telle sorte que 
les hommes de notre époque les comprennent 
et les écoutent... ^ ". 

La Tradition, en effet, eSt tout autre que la 
transmission mécanique d'une " chose " inerte. 



I. Pie XII, îbid, — 2. Saint Irénée, A.dv. Hères., III, 
24, I. 

3. Pie XII, Discours aux Pères Jésuites de la XXIX 
Congrégation générale, 17 septembre 1946, D. C. col. 
1317. 



Les conditions de r essor 99 

C'est la Gommunication vivante et la manifesta- 
tion progressive — sous le contrôle infaillible 
du Magistère — d'une vérité globale dont 
chaque âge découvre un nouvel aspe6t. Ici 
également, saint Vincent de Lérins introduit une 
précision opportune. Il prévient l'objeârion : 
" Mais, dira-t-on peut-être, la religion n'eSt- 
elle susceptible d'aucun progrès dans l'Église 
du Christ ? Si assurément, et un très grand. 
Qui serait assez ennemi de l'humanité, assez 
hostile à Dieu, pour essayer de s'y opposer ? 
Mais à une condition néanmoins : c'eSt qu'il 
s'agisse vraiment d'un progrès de la foi et non 
de son altération. Car le propre du progrès 
consiste en ce qu'un être se développe en jreStant 
lui-même, tandis que l'altération consiste en ce 
qu'une chose se transforme en une autre. Il faut 
donc que l'intelligence, la science, la sagesse... 
de chacun comme de toute l'Église, croissent 
et se développent, et même largement, avec les 
âges et les siècles, mais toutefois selon leur 
nature particulière, c'eSt-à-dire, dans le même 
contenu doctrinal, le même sens et la même 
pensée ^. " 

I. Saint Vincent de Lérins, Commonitorium^ Rouet de 
Journal, n*> 2174. 



Essor ou déclin de r Église loo 

La même remarque s'impose à l'égard de la 
discipline et de l'aéHon de l'Église, dans l'ordre 
moral et les institutions. Faut-il en effet, identi- 
fier la Tradition — qui e§t vie — - avec la routine 
— qui eél mort ? La " Loi ", qui eSt " achevée ", 
et ses applications qui ne le sont pas ? Pour 
sauvegarder la vie, le Modernisme sacrifiait les 
formes; pour sauvegarder les formes, l'Inté- 
grisme sacrifie la vie ." Il eSt aujourd'hui impos- 
sible, écrit Pie X, de rétablir sous la même 
forme toutes les institutions qui ont pu être 
utiles et même les seules efficaces dans les 
siècles passés, si nombreuses sont les modifica- 
tions radicales que le cours des temps introduit 
dans la société et dans la vie publique, et si 
multiples les besoins nouveaux que les circons- 
tances changeantes ne cessent de susciter. Mais 
l'Église, en sa longue histoire, a toujours et 
en toute occasion lumineusement démontré 
qu'elle possède une vertu merveilleuse d'adapta- 
tion aux conditions variables de la société 
civile : sans jamais porter atteinte à l'intégrité 
ou à l'immuabilité de la foi, de la morale, et en 
sauvegardant toujours ses droits sacrés, elle 
se plie et s'accommode facilement, en tout ce 
qui eSt contingent et accidentel, aux vicissitu- 



Les conditions de l'essor loi 

des des temps et aux nouvelles exigences de la 
société 1. " 



ï. Pie X, // Fermo Proposito, Aftes, t. II p. 94, Éd. 
Bonne Presse. 

On pourrait ainsi distinguer une double sorte " d'adap- 
tations ". La première qu'on pourrait appeler " adapta- 
tion de tolérance ", consiste dans le désir qu'a l'Église 
de conformer ses prescriptions aux degrés divers de 
réceptivité de ses fidèles : " Non poteH esse aliquis 
perfeSiior Hatm praesentù vitae quam Status novae legU ; quia 
tanto eSi unum quodque perfeâim quanto eB ultimo fini propin- 
quius. A.lio modo Batus hominum variari poteH, secundum quod 
homines diversimodo se habent ad eamdem hgem, vel perfeBius, 
vel minm perfeâe ; et sic Siatm veteris kgis fréquenter fuit muta- 
tus, cum quandoque leges optime custodirentUTy quandoque 
autem omnino praetermiiïerentur, Sicut etiam et Siatm novae 
kgis diversificatur secundum diversa loca, et tempora, et per- 
sonaSy in quantum gratia Spiritus sanBi perfeBius ; vel minus 
perfedie ah aliquihm habetur. " Saint Thomas, Summa The- 
logica, t. II, Prima Secundae, Q. CVT, art. iv. 

L'Église, jusqu'en ses documents ojfficiels, nous four- 
nit des exemples de ces modifications légitimes : Concile 
de Latran 121 5, Canon 50 : Non débet reprehensibile 
/udicariy si secundum varietatem temporum Sîatuta quandoque 
varientur humana, praesertim cum urgens nécessitas vel evidens 
utilitas id exposcit : quoniam ipse Dem ex iis, quae in Veteri 
TeBamento Statuerai , non nuUa mutavit in Novo. Suit la 
suppression de i'interdi«9îon de contrad:er mariage in 
secundo et tertio affinitatis génère^ et d'autres adoucissements 
du même genre, en ce qm concerne les empêchements 
de consanguinité. Canon inséré aux Décrêtales de Gré- 
goire IX, libre IV, tit. xiv, C. 8. 

La seconde qu'on pourrait appeler ** adaptation de 
développem^ent " a été bien mise en lumière par Ne-wman. 



"Essor ou déclin de l'Église 102 

Ici encofe le ttaditionalistne excessif oublie 
Tune des données du problème et, par là, abou- 
tit à la même contradiéHon que le modernisme : 
ce dernier faisait une norme de toute valeur 
d'aujourd'hui; celui-là fait des formes d'hier 
l'idéal du présent. Grave méprise dont les catho- 
liques devront se garder doublement : d'abord, 
parce que cette attitude négative de méfiance à 
l'égard des changements légitimes freine la 
marche en avant de l'ÉgHse, retarde sa péné- 
tration dans le monde et risque de fournir pré- 
texte à l'inacSHôn de la moyenne des fidèles; 
mais surtout parce que cette habitude de suspi- 
cion, si elle revêtait une forme systématique, ne 
serait pas chrétienne : à un manque de charité 
intelle6tuelle, elle ajouterait un péril subtil de 
libre-examen. Car n'y a-t-il pas, à devancer la 
hiérarchie dans ses appréciations, ou même à la 
critiquer pour les initiatives qu'elle autorise, et 

On se souvient que c'eSl l'étude de l'hiétoire du dogme 
catholique qui convertit au catholicisme le célèbre minis- 
tre anglican. " L'Église de Rome peut, plus librement 
que les autres Églises, prendre en considération les 
convenances de l'heure présente : elle a confiance en la 
vie de sa tradition, et quand on l'accuse parfois de 
manquer dé principes et de scrupules, c'eSt le seul forma- 
lisme de cette tradition qu'elle néglige ", etc. (fîiitoire du 
développement de la do&rine chrétienne, ch. ii, seâ:. m, par. 5.) 



Lues conditions de Pessor 103 

à " en appeler du Pape au Concile ", un trans- 
fert de compétences dont le moins qu'on puisse 
dire e§t qu'il n'eSt pas dans Tordre ? 

Assurément, ce n'eSt pas à ce retranchement 
défensif que l'Église convie ses fidèles. Suprê- 
mement exigeante sur tout ce qui touche à 
l'orthodoxie; prête à tous les sacrifices lorsqu'il 
s'agit de ce qui vient de Dieu et de la Tradition 
apostolique, elle n'oublie pas, non plus, le 
souffle qui l'anime intérieurement : " N'étei- 
gnez pas l'Esprit, dit saint Paul; mais éprouvez 
tout et retenez ce qui eSt bon ^. " 



INTÉGRISME " TACTIQUE ". 



Mais le monde n'e^ pas bon, insi§te-t-on. 
C'e§l le royaume du péché et de l'erreur; c'eSt 
le domaine de Satan. Il n'y a donc que deux atti- 
tudes possibles — et prêchées par le Christ : 
le fuir, ou le combattre. 

Combatte le monde, en lançant une croisade 
contre les adversaires du Christ, répondre à leurs 
attaques et même lancer des offensives; telle 

I. I Thess., V, 19-21. 



Essor ou déclin de PÊgltse 104 

e§t la seule voie efficace pour l'Église, en face du 
mal. Céder ou se résigner perpétuellement aux 
calomnies et aux injustices, c'eft oublier la 
" violence " du Chri§t à l'égard des Pharisiens. 
Il faut vaÎQcre le monde avec ses propres armes, 
au lieu de composer avec Im, pour s'y perdre, sans 
résultats. 

Ici encore, l'Église nous rappelle son mystère. 
Il e§t vrai qu'elle e§t " liée à l'Éternel ", par une 
alliance qui n'est pas de ce monde; il eât vrai 
qu'elle eét la " Jérusalem sans tache " qui ne 
paéHse pas avec Samarie. Mais ce n'eSl pas parce 
qu'elle eét divine qu'elle doit s'opposer au 
monde. Sa transcendance n'eSt pas de cet ordre. 
Ce n'eSt pas parce qu'elle constitue le peuple 
élu qu'elle doit se durcir et s'opposer à ceux qui 
errent encore, loin du bercail, " dans les ténèbres 
et l'ombre de la mort ". L'Église n'eât pas un 
parti, et les Chrétiens ne sont pas des partisans. 
Elle ne gagnera pas le monde ens'opposantàlui, 
bloc contre bloc. Sans doute, toute erreur ap- 
pelle une réfutation et toute injustice un recours. 
Il e§t certaiaes violations des droits imprescrip- 
tibles de Dieu et de la Morale contre lesquelles 
l'Église s'eSt élevée et s'élèvera toujours avec 
la dernière énergie. Elle sait opposer à la force 



JLes conditions de Pessor 105 

triomphante la protestation indignée de la cons- 
cience — s'il le faut jusqu'à l'eflusion de son 
sang. Sur les principes, l'Église ne cède pas. 
Elle ne se départit jamais de son intransigeance 
sacrée. Mais sur le plan des méthodes, va-t-elle 
pour autant prendre à son compte les façons 
de faire de ses adversaires ? Va-t-elle, pour ne 
pas pactiser avec leurs erreurs, essayer, d'auto- 
rité, de leur imposer sa Vérité et sa Foi ? 
L'higloire ne montre-t-elle pas, au contraire, 
que les procédés d'enrôlement et de " choc " 
psychologique empruntés à l'appui du '' bras 
séculier " ou aux propagandes de facture hu- 
maine, se révèlent aussi inefficaces qu'irrespec- 
tueux de la liberté évangélique? On voit où 
conduirait la méconnaissance de l'aspeéè " in- 
carné " de l'Église, de son insertion vitale dans 
le temps : à l'erreur qu'on voulait éviter. Parce 
qu'on se refuse au monde, on le combat ;mais 
pour le combattre on prend ses propres armes. 
L'excès engendre ainsi son contraire; et la ** né- 
gation " du monde aboutit finalement à toutes 
les vicissitudes d'un '* chri^anisme taéHque ". 



io6 



« -.rV^-n »-.- >' 



INTÉGRISME MORAL 

Cette erreur se rencontre, enfin, chez une 
dernière famille de chrétiens, qu'on pourrait 
— selon qu'ils mettent l'accent sur l'inutilité 
du monde, ou sur sa nocivité — appeler les 
Quiéti^les et les Janséniéles. La vie terrestre 
importe peu, disent les premiers, en regard de 
la cité éternelle. Dès lors, à quoi bon, pour 
l'Église, se préoccuper de ce monde ? L'aéHon 
eêt inutile. Dieu pourvoit à la pérennité de son 
Église. Stru6hires et adaptations doivent céder 
le pas à la confiance en Dieu et à la prière : le 
surnaturel sait bien se passer des moyens natu- 
rels. Il en va de même de l'Église. 

Non seulement elle peut s'en passer; mais 
elle y e§t bien obligée, insistent les partisans de 
" la rupture " : au nom même de sa transcen- 
dance. Ce monde eât mauvais. Imperméable à la 
grâce, il l'eSt aussi à l'Église. L'essor de celle-ci 
ne doit donc pas être cherché par voie " d'imma- 
nence ", — en s'incarnant dans les civilisations 
temporelles. — La" dialeéHque " de la technique 
et de l'histoire n'admet pas de " révolution ". 
C'ea un système clos, et fatal. Le monde et le 



L,es conditions de l'essor 107 

ChfiSlianismc sont deux plans diffétcnts — qui 
appellent un " divorce " et non une réconcilia- 
tion. Le devoir des croyants, ce n'e§t pas d'agir 
sur les événements, mais d'être simplement, 
dans leur vie privée, de vrais disciples du Chri^. 
Le chrétien qu'attend l'Église, ce n'eSt pas le 
" chrétien con^antinien ", mais le " chrétien 
de l'Apocalyspe et de la Parousie ". 

E§t-il besoin de souligner ici — sans parler 
des réserves qui s'imposent relativement à cette 
conception du monde et de la grâce — le pré- 
supposé sur lequel elle s'appuie ? De l'Église, 
elle n'a, encore une fois, retenu que sa trans- 
cendance, mais au détriment de son " adhialité " 
temporelle^. C'eSt cet oubli qui confère aux 



I. Saint Augustin, avait bien senti le problème, et 
proposé la route à suivre : ** La Cité céleste, ou plutôt la 
portion de cette Cité qui accomplit encore le voyage de 
la vie mortelle a aussi besoin d'user de cette paix (de cet 
ordre humain)... Aussi tant qu'au sein de la cité terrestre 
elle vit captive et passe le temps de son exil soutenue par 
la promesse de sa rédemption... elle n'hésite pas à obéir aux 
lois de la cité terrestre, d'après lesquelles s'administre 
tout ce qui eSC approprié au soutien de cette vie mortelle : 
et puisque la mortalité est commune à l'une et à l'autre 
société, elle veut, dans ce qui a rapport aux intérêts 
présents, conserver la bonne harmonie entre elle et la 
cité terrestre, " (Saint Augustin, Cité de Dieu, livre XIX, 
ch. 17.) 



Essor ou déclin de FÉglm io8 

ttois fottnes de l'Intégrisme leur " irréalisme " 
commun. C'e§t cette mutilation arbitraire qui 
appelle — comme son erreur symétrique : le 
modernisme — un complément et une conci- 
liation supérieurs . 



2. L,a synthèse 
catholique 



Mais ici, une précision s'impose. L'engage- 
ment que doit prendre l'Église aujourd'hui eSt 
trop capital pour qu'elle se contente d'un com- 
promis, passager et local. Ce qu'il faut, c'eêt une 
vaSte synthèse, capable de fournir aux chrétiens 
la double réponse qu'ils attendent : une a£Hon 
humainement efficace et une doctrine pleine- 
ment catholique. Ici encore, c'e5t la Théologie 
et l'histoire de l'Église qui permettront de 
réaliser cette doctrine valable. Nous ne préten- 
dons pas à autre chose, en ces lignes, qu'à indi- 
quer la route, et soutenir l'aâion de nos fidèles. 



UNE " SOMME ". 



Car l'œuvre totale sera de longue haleine, — 
et ne sera pas l'œuvre d'un seul. L'heure eSt 
venue où le plus grand service qu'on puisse 
rendre à l'Église, et à ses fils, c'e§t de faire la 
" Somme chrétienne " du monde qui s'élabore. 



Essor ou déclin de PÉglke 



112 



La plus grande faute des chrétiens du xx© siè- 
cle, celle que leurs descendants ne leur par- 
donneraient pas, ce serait de laisser le monde se 
faire et s'unifier sans eux, sans Dieu — ou contre 
Lui; ce serait de se satisfaire, pour leur apostolat, 
de recettes et de procédés. Cette faute, nous 
ne voudrons pas la commettre. Et ce sera peut- 
être le grand honneur de notre temps d'avoir 
entrepris ce que d'autres mèneront à bonne fin : 
un humanisme à la mesure du monde et des 
desseins de Dieu. C'eSt à cette condition, et à 
cette condition seulement, que l'Église peut 
prendre son essor, en devenant dans un avenir 
imminent ce qu'elle fut au moyen âge pour 
l'Occident : le centre spirituel du Monde. La 
civilisation athée et antichrétienne qui se pro- 
page de nos jours peut faire place à une " culture 
sacrée ", à une " transfiguration chrétienne de 
la vie ". 

E^-il besoin de dire que c'eSt aux intellectuels 
que revient cette tâche, comme il en fut au 
temps des grands Doéteurs de l'Église ? C'e§t à 
eux de tendre de tout leur pouvoir à cette 
** création " d'une société chrétienne où le 
Royaume de Dieu sera recherché avant tout. Le 
premiei apostolat, au carrefour où nous sommes. 



h,es conditions de l'essor 113 

c'e§t celui de la Pensée. L'Église e§t à ce " tour- 
nant " où elle peut tout perdre, ou tout gagner, 
selon la spiritualité qu'elle proposera à l'huma- 
nité. 

Cette ** vision du tnonde " peut se rassembler 
tout entière autour d'une double perspedHve qui 
n'en fait plus qu'une, à son terme, et qui résume 
tout le mystère de l'Église : le Corps Mystique, 
le Chri§t-Roi. 



SPIRITUALITÉ " CATHOLIQUE ". 



Axée sur le Corps Myfiique, la ^iritualité sera 
d'abord " catholique " : elle fera appel à tous 
pour s'élaborer — savants, philosophes, socio- 
logues de tous les pays fournissant aux théolo- 
giens les résultats de leur expériences. Mais 
surtout, elle sera universelle en tenant compte des 
conditions, des cultures, des problèmes de 
l'humanité tout entière. Elle s'adressera à tous 
les hommes sans particularismes ni nivellement. 
Elle tendra sans cesse à l'achèvement du Corps 
Mystique^ par l'annexion se nouveaux membres, 

I. " L'Église continue la mission du Christ sur la 
terre, ne cherchant pas autre chose que d'amener à la 



Essor ou déclin de l'Église 114 

communiant à la même vie divine. Spiritualité à 
la taille de la tetre. 

Par le fait même, elle sera accueillante, ouverte 
à des valeurs très diverses, — où Terreur se 
mêle souvent au vrai. Effort complexe : il 
faudra d'abord lutter contre des tendances 
humaines, maintenant colle£Hvisées, et qui 
sont mauvaises : le souci exclusif du profit et 
de la jouissance; l'adoration de la force; la 
passivité devant les progagandes de haine et de 
division, etc. Mais en même temps, il convien- 
dra d'intégrer dans une perspective religieuse 
des valeurs humaines authentiques et bonnes : 
la croissance de l'organisation sociale; le renou- 
vellement et la transformation du monde par 
tous les efforts intelleéhiels, techniques et esthé- 
tiques des siècles derniers; l'affirmation de plus 
en plus consciente d'une universelle soHdarité 
humaine, etc. Ce discernement devra s'inspirer de 
deux principes : la croissance du Corps Mysti- 
que, et sa catholicité théorique et historique — 
qui conduira à une attitude de charité intellec- 

connaissance de Jésus-ChriSt tout le genre humain et de 
le conduire, par la connaissance de la loi évangélique, à 
la gloire céleste. " ( S. Congrég. de la Propagande aux 
Supérieurs de Missions, 7 décembre 1929.) 



Ljes conditions de r essor 115 

tuellei; mais, en même temps, l'immuable 
consistance de l'Église divine, qui commandera 
une intransigeance inflexible en matière de 
vérité doétrinale. 



SPIRITUALITÉ " TOTALE ". 

^xêe sur le " ChriH-Koi ", la Spiritualité qu'at- 
tend l'homme moderne pour entrer sans con- 
trainte dans l'ÉgUse sera vraiment " cosmique". 
C'eSt-à-dire qu'elle envisagera l'univers dans son 
ensemble tel que Dieu a voulu le " récapituler 
en Jésus-Chriét ". Sous cet angle, le " système 



I. "Il e§t facile de montrer que la vérité presque tout 
entière e§t répartie parmi les philosophes et les seétes. 
Pour nous, en effet, nous ne combattons pas la philoso- 
phie, comme le font d'ordinaire les Académiciens. 
Leur but à eux e^ de trouver des objedions à toute 
proposition. C'eét là plutôt plaisanter et se jouer. Nous 
enseignons, au contraire, qu'il n'a point existé de seâe si 
dévoyée ni de philosophe si vain, qu'il n'ait vu quelque 
parcelle de la vérité... S'il s'était rencontré un homme 
capable de rassembler et de réduire en un corps de doc- 
trine la vérité disséminée chez les individus et diffusée à 
travers les seâes, à coup sûr celm-là ne différerait point de 
nous. Mais cela, nul ne peut le faire, à moins d'avoir 
l'expérience et la science du vrai. Or, connaître la Vérité, 
cela n'appartient qu'à celui qui eSt enseigné de Dieu. " 
(Laâance, InSi. div., ^ra^ 7, P. L. VI, 758.) 



E^sor ou déclin de P 'Église ii6 

chrétien " e§t nettement optimiste : il montre 
que le monde a un sens; qu'il n'eSl pas livré à la 
" dialedique " aveugle de la matière, mais à 
l'éternelle " prédestination " de toutes choses 
en Jésus-Christ. Il montre que rien n'échappe 
à sa Rédemption : que tout e§t lavé dans son sang : 
** Terra,ponfm, afîra,mundus,quo lavantur flumine i, 
et que, dès lors, le monde eSt signe d'amour. 
Bien loin de le fuir, le chrétien a pour tâche de 
" l'achever " et de " l'assumer ". " Omnia veHra 
suntj vos autem CbriftiK " Du même coup se 
trouve tracée sa route, et justifiée son " insertion 
dans le temporel ". Au lieu de fermer les yeux au 
progrès, le-chrétien y croit et y travaille, pour 
** achever la création " et hâter la " parousie ", 
où l'univers — corps mystique et création tout 
entière — feront éclater le triotnphe du ChriSt- 
Roi, en réalisant son " Plérôme ", l'achèvement 
du Christ total ®. 

Ne pensez pas. Nos Très Chers Frères, que 

I. Hymne ** LuSfra sex *\ Laudes du Dim. de la Pas- 
sion. — 2. I Cor., III, 23. 

5. On connaît les belles pages du R. P. Huby, dans 
son Commentaire de Kom., vin, 19 sq. (Colleâ. Verbum 
Salufîi), tt II Pet., m, 13. Cf. aussi la Bible de Pirot qui 
rapproche Isaïe, lxv, 67; lxvi, 22, de Rom., vin, 19; 
Cor., VII, 31 ; Apoc, xxii, etc. 



L,es conditions de P essor iif 

cette conclusion sublime soit une simple vue 
de l'esprit : c'e§t une perspeâive, familière aux 
premiers chrétiens, mais de nos jours trop ou- 
bliée. C'e§t en lui redonnant toute sa valeur que 
l'ÉgUse retrouvera l'audience de l'honime 
d'aujourd'hui. Car c'eSl à un humanisme dyna- 
mique qu'il e§l tout près de se livrer. L'ËgHse 
laissera-t-elle la copie appauvrie remplacer le 
modèle parfait? et l'homme se contenter de 
ses limites — homo homini deus — ou s'en déses- 
pérer — c'est le nouveau *' mal du siècle " -^ 
alors qu'il peut, par elle, se dépasser sans cesse : 
" vos autem Chrifîi, Chriitus autem Dei " ? 



HUMANISME DE LA PERSONNE. 

Disons cependant — avec la dernière net- 
teté — que l'humanisme que présente l'Église ne 
diffère pas seulement du " messianisme " athée, 
comme Jérusalem diffère de Babel — c'eSt-à-dire 
sur le plan de la cité — mais avant tout sur le 
plan de la personne. Car si les sociétés, les institu- 
tions et l'univers matériel lui-même sont appe- 
lés à cette " rédemption", c'eêt toujours en 
fonéHon de la personne humaine, et par elle; 



Essor ou déclin de l'I^Iise ii8 

c'est elle qui, le rè^e de Dieu étant présup- 
posé, e§l " premi^e " dans l'intention créatrice 
par rapport à la Société. L'oublier, c'eêt sacri- 
fier le drame unique de la vie de chacun à la 
réussite " eschatologique " de l'ensemble ; 
c'eël transférer indûment au Groupe des préro- 
gatives et une autonomie qui n'appartiennent 
qu'à l'homme lui-même : " Dans un corps 
physique vivant, précise l'Encyclique Myfîici 
Corporis, chacun des membres, en définitive, 
eél uniquement deéliné au bien de tout l'orga- 
nisme; toute société humaine, au contraire, 
pour peu qu'on fasse attention à la fin dernière 
de son utilité, eél ordonnée en définitive au 
profit de tous et de chacun des membres car ils 
sont des personnes ^. " 

Méconnaître cette vérité, en renversant 
l'ordre des valeurs, c'eél préparer, et légitimer, 
tous les asservissements, toutes les douleurs. 
Précieux rappel, contre le collectivisme enva- 
hissant. 



I. MySfiei Corpork, p. 33. 



119 



HUMANISME DE LA GROIX. 



D'autre patt, une place — très large, malheu- 
reusement • — sera faite, dans cette synthèse, 
au péché. Au mythe de la perfectibilité continue 
de l'homme, on opposera le dogme — et 
l'expérience — de la faute, et de la soufiFrance 
rédemptrice : l'humanisme cosmique restera 
un humanisme de la Croix. L'Église sait trop 
bien le prix du Sang pour ne pas mettre le sacri- 
fice au centre de ses perspeéHves terreélres ^. 

Salut du monde et salut de la personne; 
amour de la création et sens de la croix; progrès 
et péché; salut du présent et réussite de l'avenir; 
cité du ciel et cité de la terre : autant d'antino- 
mies qui ne pourront se résoudre — du reéle, 

I. " L'encre des savants e§t plus agréable à Dieu que 
le sang des martyrs ", dit un proverbe arabe. ** Malheu- 
reuse race, s'écrie Psichari, qui n'a pas compris ce que 
valait la goutte de sang d'un martyr... et que l'encre 
s'effacera, mais que la goutte de sang ne s'efifacera pas... 
Malheureuse race qui n'a pas reconnu le prix du sacri- 
fice, celui d'un frère pour ses frères, celui d'un Dieu pour 
les hommes. Voilà ce qu'il en coûte de ne pas avoir eu 
un Dieu qui ait connu la souffrance et qui soit mort sur 
une croix de bois. " (Psichari, L£S Voix qui crient dans le 
Désert.) 



Essor ou déclin de PÉglke 120 

au terme de patients efforts — que par une 
Théologie basée sur la double réalité del'Église. 
Éternelle et transcendante, elle refuse toute 
concession, et tout compromis; incarnée dans 
l'Histoire, elle en épouse les vicissitudes, pour 
en être le ferment. Le même my^ère se retrouve 
dans l'âme de chaque chrétien. Messager du 
surnaturel, il ne craindra pas d'être " scandale " 
et " folie *' aux yeux des hommes; citoyen de la 
terre, il ** rendra à César ce qui eât à César " et 
se donnera loyalement aux tâches d'ici-bas. 

On le voit, l'engagement de l'Église, comme 
celui des chrétiens, n'e^t plus une " option " — 
exclusive^ d'une autre alternative, et par là, 
partielle et privante. C'eft une synthèse et une 
acceptation simultanée des deux appels. 



;j. U engagement des 
chrétiens 



Cette conciliation des contraires n'e§t ni une 
recette, ni un mélange : elle consiste unique- 
ment dans une ju§te hiérarchie des valeurs. 
L'essor de l'Église appelle donc un ordre, une 
proportion, qui guideront l'aâion des chrétiens, 
et qui peuvent s'exprimer en deux principes : 
Primauté du Spirituel ; insertion dans le Tem- 
porel. 



I. PRIMAUTÉ DU SPIRITUEL : 
L'APOSTOLAT 



L'aftion du chrétien sera d'abord surnaturelle. 
Elle sera un apoHolat, c'eât-à-dire la diffusion de 
l'Évangile, et la communication de la vie 
divine. De quoi s'agit-il, en effet ? d'étendre la 
Rédemption, de sauver les âmes. Mais Dieu seul 
peut opérer la conversion. On n'insistera jamais 



Hssor ou déclin de r 'Église 124 

assez sur ce point que l'apoêtolat eét essentielle- 
ment œuvre divine. C'eêl la " charité " de Dieu 
qui se communique au monde par le Chriét et 
l'Église. Être apôtre c'e§l donc s'ouvrir au don 
de Dieu pour pouvoir, modeSte instrument de 
son œuvre, le communiquer au monde. Si donc 
les instants décisifs que nous vivons demandent 
des chrétiens une sympathie " catholique " pour 
le monde en gestation, il importe, plus que 
jamais, de partir de l'essentiel : la communi- 
cation de la vie divine e§t l'origine comme la 
fin de tout apostolat. Réalité transcendante 
située au-delà des prises de l'homme livré à lui- 
même, elle s'offre à l'apôtre dont l'attitude 
foncière doit être celle de l'humble accueil. 
La grâce eSt un don de Dieu, sans aucune pro- 
portion avec nos forces naturelles. Les âmes ne 
vont au ciel que par la Croix du Christ, 
l'unique médiateur : " Je suis la voie, la vérité 
et la vie^. " Plus que jamais se vérifie, à cet 
âge d'athéisme, officiel ou pratique, la prédiétion 
du Sauveur : " Sans moi, vous ne pouvez rien 
faire *. " Ces paroles que le Pape Benoît XV 
adressait aux Missionnaires en pays lointain, 
peuvent s'appliquer à tous les chrétiens : " Que 

I. Jean, xrv, 6. — 2. Ibîd. xv, 5. 



L,es conditions de P essor 125 

la confiance (de l'apôtre ) soit uniquement en 
Dieu... Tout eSl divin dans l'apoâlolat mission- 
naire. Car Dieu seul peut pénétrer l'intérieur de 
l'âme, éclairer l'esprit... embraser la volonté; 
Lui seul peut donner à l'homme les forces suffi- 
santes à lui faire suivre le vrai et accomplir le 
bien... Aussi le missionnaire travaiQera pour 
rien si le Seigneur n'eSt pas avec lui ^. " 



AI>0Sr01.A.r FONDÉ SUR L^ SAINTETÉ. 



Mais comment introduire les " infidèles " 
dans le " royaume qui n'e§t pas de ce monde ® " 
sans employer des moyens transcendants ? 
La mission de l'Église, ce n'eêt pas de " rétablir 
le royaume d'Israël * ". Les âmes n'iront à la 
Croix — " ^es unica " — que par la prière, la 
pénitence, et la longue patience de la foi et de 
la charité. " Toute réforme vraie et durable, 
en dernière analyse, écrit Pie XI, a eu son point 
de départ dans la sainteté, dans des hommes qui 

I. Benoit XV, Épitre K^o§to)lo^<^ Maximum iUudy Éd. 
U. M. C, p. 173. — 2. Jean, xviii, 36. — 3. Aâes, i, 6. 



Bssor ou déclin de P Église 126 

étaient enflammés... de l'amout de Dieu et du 
prochain. Généreux... prêts à... tout appel de 
Dieu... ils ont grandi jusqu'à devenir les lumiè- 
res et les rénovateurs de leur temps. Là au 
contraire où le zèle réformateur n'a pas jailU 
de la pureté personnelle, mais était... l'explosion 
de la passion, il a troublé au lieu de clarifier, 
détruit au lieu de construire et il a été plus d'une 
fois le point de départ d'aberrations plus fatales 
que les maux auxquels il prétendait remédier ^. " 
La leçon du Seigneur risque de nos jours d'être 
trop oubliée : " Ce genre de tentations ne peut 
se chasser que par le jeûne et la prière ^. " 
Notre premier devoir, c'e§t la sainteté; c'eSl en 
effet avec Dieu qu'il faut se mettre à l'œuvre et, 
en définitive, commencer en soi-même la con- 
version du monde. " Ce n'e§t pas, précise le 
Souverain Pontife, que nous dédaignions les 
ressources humaines, ni que nous blâmions 
l'usage qu'on en fait en les mettant au service 
de l'apostolat... mais l'erreur serait ... de faire 
iond d'abord sut ces industries... et de ne recourir 
aux forces surnaturelles de la grâce, par la 



I. Pie XI, Encycl. Mit brennender S orge, 
z. Marc, ix, 29. 



Les conditions de V essor i2.f 

priète et la pénitence, que comme à un renfort 
subsidiaire*. " 

Nous ne saurions trop insiâler sur ce primat 
absolu qu'il convient d'accorder aux valeurs 
surnaturelles, raison même de toute notre 
œuvre. C'eSt à cette lumière que tous les autres 
problèmes s'éclairent; c'eSt dans cette réalité — 
sous la motion même de l'Esprit Saint dans 
son Église et dans l'âme de l'apôtre — que tout 
le reâle prend consistance. 



l'ame de tout apostolat. 



La vie intérieure, voilà donc " l'âme de tout 
apostolat 2 ", l'antidote au naturalisme, la 
garantie de la fidélité à 1' " Unique Nécessaire ^ ", 
et au fond, la condition de la converrsion : car 
l'homme moderne ne quittera jamais sa Mysti- 
que pour une Foi au rabais. Ce dont il a soif, 
c'est de l'Évangile, sans gauchissements. " Ils 
se trompent, au grand dam des âmes, ceux qui 
pensent les ramener plus facilement au devoir, 
à la pratique de la religion, en desserrant le 

I. Pie XII, Discours au Gtand Retour, 1946. — 
2. Dom Chautard. — 3. Luc, x., 42. 



Essor ou déclin de P Église 128 

joug du Maître... ^ . " Ce qui ne signifie nullement 
que l'apôtre ne doive pas, à l'exemple de saint 
François de Sales, faire aimer la " vraie dévo- 
tion ". Mais ** ils ne se trompent pas moins 
ceux qui ne montrent de la route que les ronces et 
les épines, qui ne songent pas à la faire aimer ^ ". 
Il faudrait reprendre ici toute la Tradition 
spirituelle de l'Église — magistère, auteurs 
mystiques — pour montrer que sans un con- 
ta6t étroit et assidu avec le Christ, il n'eSt ni 
sainteté, ni apostolat. L'apôtre, prêtre ou laïc, 
devra donc mettre au premier plan des valeurs 
de son existence la prière, le recueillement 
silencieux,^ l'oraison et tout ce qui la nourrit : 
retraites, récolledtions, vie sacramentelle. L'Office 
divin devra être la nourriture quotidienne du 
ministre de Dieu qui puisera par ailleurs dans 
une grande dévotion, et surtout dans l'amour 
de la Très Sainte Vierge, la sève dont il a besoin. 
Mais, oraison mentale, leéture spirituelle. Saint 
Sacrifice de la Messe, vie sacramentelle, ne 
sont pas seulement des " pratiques" auxquelles 
il faut sacrifier une part plus ou moins notable 
d'a£tion : c'eSt la source indispensable, l'ali- 
ment substantiel d'une vie chrétienne; il ne 

I. Pie XII, Ibid. — 2. Ibid. 



L.es conditions de V essor 129 

s'agit donc pas d'iin vernis superficiel ou d'un 
régime artificiel qu'on peut doser à volonté : 
il n'y aura d'authentique apostolat qu'à la seule 
condition de puiser en Dieu, dans le Chri§t et 
son Église, la vie divine que nous avons mission 
de communiquer. 



APOSTOLAT " RÉALISTE ". 

Pleinement surnaturel, rJlpoHolat devra en 
effet être aussi adapté. A condition de ne pas se 
méprendre sur ce mot. adaptation ne signifie 
pas : accommodements ; remplacement systémati- 
que du " vieux " par du " neuf ", encore moins 
mutilation du message^ mais seulement " Incarna- 
tion ", intégrale et intelligente, de ce dernier 
dans le " donné " à convertir ^. Or celui-ci n'e§t 
pas toujours ni partout identique. C'eSt ce qui 
explique — et légitime — que les " méthodes 
d'apostolat " varient avec les époques. Ce fait 
eêt si important qu'il commande toute la marche 

I. " L'adaptation n'eSt qu'une conséquence pratique 
de la conception catholique de la Nature. Elle eSt un cas 
spécifique de l'Incarnation. " (L. de Coninkc, S. J., 
JLej" ^Problèmes de r adaptation en apoHoIaty Nouvelle Revue 
Théologique, oâ:obre 1946, p. 186 sq.) 

5 



Essor ou déclin de l'Église 130 

à suivre de nos jours. La première tâche, celle 
qui s'impose avant toute démarche, c'est de 
" s'arrêter et de s'asseoir ^ " pour étudier les 
conditions présentes de rechriStianisation du 
monde. 



APOSTOî^AT MISSIONNAIRE. 



Or, dès l'abord, une évidence s'impose : 
celles-ci diffèrent du tout au tout des méthodes 
traditionnellement employées, aux temps de 
" chrétienté ". Au moyen âge, en effet, et même 
jusqu'au xix© siècle, le christianisme était loca- 
lisé, sur la planète, et l'apoStolat missionnaire 
était " géographique ". Les missionnaires 
"sortaient " de la chrétienté pour aller prêcher 
aux " nations infidèles ". Le paganisme était 
" extérieur " à la société chrétienne. Aujour- 
d'hui, au contraire, les deux cités " ne sont 
plus extérieures, mais intérieures, l'une à 
l'autre, et étroitement " imbriquées ". La société 
païenne pénètre, de partout, dans la vie journa- 



I. Lue, xrv, 28. 



L,es conditions de l^ essor 131 

lière des chrétiens. Une " société chrétienne " 
close, à Pabri des influences païennes, e§t deve- 
nue, semble-t-il, aduellement impensable. La 
France n'eSt pas seule à être devenue *' pays 
de mission ". Plus sensible chez nous, le phéno- 
mène eêl latent partout, et se vérifiera, vraisem- 
blablement, de plus en plus. Cet état de choses, 
absolument nouveau à cette échelle mondiale, 
entraîne deux conséquences. 



A LA MANIÈRE DU FERMENT. 

La première, c'eél que l'apostolat moderne ne 
saurait être aucunement une attitude négative de 
recul ou de protection à l'égard des influences 
pernicieuses, pas plus qu'une " propagande ", 
ni même une " conquête ", si on entend par là 
une annexion " extérieure " de sujets ou de cou- 
rants humains. La " victoire " de l'Église n'est 
pas une question d'isolement : on ne peut pas 
plus " isoler " le fait chrétien qu'on ne peut 
soustraire un organisme aux baâ:éries perni- 
cieuses : il les respire tous les jours, mais sa 
réaétion en triomphe. Ainsi en va-t-il du chré- 
tien. Son action s'en trouve toute tracée ; 



Essor ou déclin de l^ Église 132 

c'eSl un " conflit de virulences ", étant bien 
entendu que l'une eêl sans mesure par rapport 
à l'autre. Il ne choisit pas sa méthode; son mode 
d'agir lui e§t imposé par le milieu où il e§t plongé : 
c'est l'aétion du levain. Sans se déplacer, il se 
trouve investi d'un devoir et d'une tâche de 
missionnaire ^. Son effort ne consistera donc 
pas seulement à recruter, à " faire venir à lui " 
les incroyants, mais encore et surtout à se mêler 
à eux pour les sauver tels qu'ils sont : a^ion 
centrifuge, qui doit faire de l'Église le " ferment " 
de la masse immense et le sang jeune qui lui 
rendra la vie 2. Cette aéfcion missionnaire " sur 
place ", notre communauté catholique, qui n'a 
pas cessé d'envoyer ses fils et ses filles dans les 
terres lointaines, l'a trop longtemps oubliée 
ou même suspeftée en raison des dangers du 

1. " Devenir des maîtres de la foi e§t une œuvre qui 
assimile bien un chrétien de nos régions aux mission- 
naires qui, aux confins les plus éloignés de l'univers 
chrétien, portent la première lumière de la vérité évangé- 
lique dans les ténèbres du paganisme. *' (Pie XI, Discours 
aux Évêques et Pèlerins de Yougoslavie, 18 mai 1929.) 

2. ** Les besoins et les conditions de notre époque ont 
élargi de jour en jour le champ de l'apoStolat; de nou- 
veaux et grands combats se livrent le long des voies ou 
sur des terrains que le développement de la civilisation 
nous a ouverts. " (Pie XI, Lettre à Mgr Skwireckas et 
aux Évêques de Lithuanie, 27 décembre 1930.) 



JLes conditions de l'essor 133 

laïcisme ambiant : de là, une attitude de défense, 
qui se traduit, de nos jours encore, par une 
redoutable force d'inertie. Et pourtant, chaque 
chrétien peut faire sienne, à la mesure de son 
rôle, cette consigne du Pape Benoît XV au 
" chef de mission " : " Aussi loin que s'étende 
la région qui con^tue son territoire, il eêt tenu 
de travailler au salut de tous ses habitants, si 
nombreux soient-ils. Avoir amené à la foi quel- 
ques milliers de païens, sur une foule innom- 
brable, ne l'autorise pas à se reposer... ^, " 



LE TEMOIGNAGE. 

Mais par quels moyens le chrétien pourra-t-il 
être ce " ferment " ? Grâce à Dieu, les expé- 
riences de ce genre ne manquent plus, aujour- 
d'hui, et nous apportent la réponse. Les apôtres 
des milieux déchristianisés découvrent chaque 
jour que, pour parler de la " Bonne Nouvelle ", 
il faut d'abord vivre de la même vie, comme le 
Chriél " qui a habité parmi nous ^ " et comme 
lui, partager les joies et les peines, les décep- 

1. ^en.oit'KN y Maximum illud.,^à..1J. M., Q,,^. 163. 

2. Jean, i, 14. 



Essor ou déclin de l^ Église 134 

tions et les espoirs, être solidaire des ju§lcs 
aspirations du milieu. Car la vérité chrétienne 
n'eSt pas un système qixi s'impose de l'extérieur 
par le prestige de ceux qui l'enseignent, ni même 
par sa seule rigueur objective : elle se propose 
comme un témoignage. Or, la présence, non 
seulement physique, mais spirituelle, qui sup- 
pose la Communauté de vie, e§t essentielle au 
témoin. C'e§t le sens de cette formule que Ton 
comprend parfois de façon superficielle, mais 
qui recouvre un sens profond : " l'apoêtolat du 
semblable par le semblable". Formule qui ne 
signifie pas que soient exclus de l'apostolat 
chrétien, _dans un milieu déterminé, ceux que 
sépareraient une différence de race ou de classe, 
mais qui exige de ces apôtres de renoncer à 
leurs particularismes pour " se faire tout à 
tous ". La loi essentielle de l'ApoStolat, c'eSt 
" l'Incarnation ". 



INCARNATION ASCENDANTE. 

Mais celle-ci ne doit pas prêter à confusion. 
Elle ne consiste pas uniquement en un ajuste- 
ment faétice et superficiel : lorsque le Verbe 



L.es conditions de l'essor 135 

" s'e^t fait chair ^ " il s'e§t fait " pleinement 
homme " comme nous. Surtout, il ne s^eét pas 
borné à ce mouvement " descendant " : il a 
^m notre nature et l'a " assumée", telle quelle — 
" ahsque peccato " — pour l'introduire dans la 
gloire du Père, à l'Ascension. Mouvement 
ascendant qui couronne et motive à la fois sa 
venue parmi nous. " Dieu s'eSt fait homme 
pour que l'homme se fasse Dieu. " Tel est, se- 
lon les Pères, le " circuit " total de l'Incarnation 
rédemptrice. L' " incarnation " du chrétien sui- 
vra son modèle. Être apôtre, c'eSt tout pren- 
dre, tout pénétrer, — en cequi peut être légi- 
timement assumé, — de l'homme et du monde 
qu'il s'eél façonné. Tout, c'eSt-à-dire — sauf le 
péché — toutes les valeurs, même étrangères 
jusque-là au christianisme — quand elles ne sont 
pas, simplement, ses propres " idées dévenues 
folles 2 ". La discrimination de ces vérités frag- 
mentaires e§t une œuvre délicate. Mais c'eSt la 
condition " sine qua non " de la pénétration tout 
ensemble efficace et durable, qui s'impose à l'É- 
glise comme l'une des tâches les plus urgentes 
d'aujourd'hui. C'e^t ainsi qu'il faut entendre 
son aâion de " levain dans la pâte ". Cette 
\i Jean, i, 14. — 2. Chesterton. 



Essor ou déclin de l'Église 136 

dernière n'e§t pas dénaturée, mais soulevée 
par sa fermentation. De même, l'adhésion au 
Christianisme ne suppose aucun renoncement à 
aucune valeur humaine authentique — pas 
plus que le missionnaire apportant la bonne 
nouvelle à un peuple de vieille civilisation, 
comme l'Inde ou la Chine, ne demande au 
néophyte de renoncer à sa culture ou à son 
héritage ance§tral. Ainsi, rien de ce qui fait 
l'apanage légitime de l'ouvrier ou de l'intellec- 
tuel moderne ne doit être abdiqué — encore 
une fois, sauf le péché. Car l'Évangile eSt deétiaé 
à toute créature : " Praedicate omni creaturae ^. " 
Bien entendu, H n'eât pas d'aétion humaine sans 
péril et sans déficits : le partage de la vie peut 
s'infléchir parfois en partialité ou en compUcité, 
en timidité ou en faiblesse. Mais ces défaillances 
individuelles ne doivent pas faire méconnaître 
la valeur des méthodes et des fruits déjà récoltés. 
En aucun cas, les tâtonnements, ou les erreurs 
des pionniers ne peuvent servir de prétexte à 
l'inaétion de l'ensemble des fidèles. 

De la "Loi d'iacarnation ", intégralement 
comprise, nous voudrions. Nos Très Chers 
Frères, tirer deux conclusions pour le présent. 

I. Marc, XVI, 15. 



137 



ACTION CATHOLIQUE. 

La première, c'e§t que l'ApoSlolat doit être 
à base d'yLBion Catholique. De celle-ci, nous 
avons, pour la France, esquissé le bilan — résul- 
tats et espérances. Nous rappelons mainte- 
nant toute la valeur que nous y attachons et 
ce que nous attendons d'elle. Les raisons qui lui 
ont donné naissance n'ont fait que se renforcer et 
la consigne du Pape reéte toujours actuelle : 
" Les circonstances nous tracent clairement la 
voie dans laquelle nous devons nous engager. 
Comme à d'autres époques de l'Histoire de l'É- 
glise, nous aflfrontons un monde retombé en 
grande partie dans le paganisme. Pour ramener 
au Christ ces diverses classes d'hommes qui 
L'ont renié, il faut avant tout recruter et former 
dans leur sein même des auxiliaires de l'Église 
qui comprennent leur mentalité et leurs aspira- 
tions, et qui sachent parler à leurs cœurs dans 
un esprit de fraternelle charité. Les premiers 
apôtres, les apôtres immédiats des] ouvriers 
seront des ouvriers; les apôtres du monde 
industriel et commerçant seront des industriels 



Essor ou déclin de l* Église 138 

et des commerçants ^. " Cette aéHon ne scta, 
souvent, pas plus visible que celle du levain qui, 
lorsqu'il a pénétré dans la pâte, disparaît et 
semble englouti. A l'heure présente, nos Mouve- 
ments d' Action Catholique, tout en conservant 
le souci de " faire choc ", de témoigner de leur 
Foi, comprennent de mieux en mieux la liaison 
indispensable de leur apostolat avec les gestes 
concrets de la charité du Christ pour la construc- 
tion d'un monde meilleur : quand la vitalité 
religieuse eSt en recul dans une société, la vie 
Religieuse se réfugie dans les seuls aâes cultuels ; 
à l'inverse, quand elle eSt en progrès, elle se 
difluse, à partir des ades du culte, dans toutes 
les aâivités du chrétien, même les plus profanes 
en apparence : " Sive manducatis, sive bibitis,.. ^. " 



AXÉ SUR LA CLASSE OUVRIERE. 

Le seconde conséquence de cette " Incarna- 
tion réaliste ", c'est que l'apoStolat moderne, 
sans oublier personne, sera surtout axé sur la 
classe ouvrière. D'abord sans doute parce que 

1. Pie IKly Quadragesimo A.nno, 15 mai 193 1. 

2. I. Cor., X, 31. 



L^s conditions de T essor 159 

ce sont surtout les masses laborieuses qui sont 
aârueUement coupées de l'ÉgUse, et que leut 
évangéUsation pose des problèmes qu'il nous 
faut coûte que coûte résoudre si nous voulons 
que le xx® siècle rende au Chri^ les foules que 
le XIX® siècle lui avait enlevées. Mais aussi parce 
que l'Église a trop le sens de la dignité humaine 
pour ne pas encourager de sa clairvoyante 
sympathie l'ascension de la classe ouvrière vers 
sa place légitime dans la Nation. Cet effort sera 
principalement un effort d'éducation : par tous 
les moyens — travail, loisirs, famille, vie spiri- 
tuelle, etc. -— préparer la " déprolétarisation 
intérieure " conçue non pas pour une petite 
élite, mais pour la masse des travailleurs à qui 
il ne s'agit pas de donner une reHgîon de 
seconde 2one ou une morale de *' sous-prolé- 
tariat " : mais à qui il faut révéler leur dignité 
sublime de fils de Dieu ^. " Car l'Église, qui 
a pour chef le divin ouvrier de Nazareth... par 
la force de sa doctrine et de son aâion persé- 
vérante, a arraché les ouvriers... à l'esclavage 



I. Chanoine Cardyn, Conférence aixx Aumôniers 
fédéraux, novembre 1946, Notes de pastorale jociSte, 
février 1947. 



Essor ou déclin de V 'Église 140 

et les a élevés à la dignité de frères de Jésus- 
Christ 1." 

C'est en confiant au Laïcat des responsabilités 
de plus en plus étendues et en l'associant tou- 
jours plus étroitement aux efforts de la Hiérachie, 
que se feront les transformations profondes 
indispensables à la chriâtianisation du monde. 



APOSTOLAT COMMUNAUTAIRE. 



Cet effort conjugué indique que l'apoétolat 
doit être communautaire. Il doit l'être deux fois. 
Cette consigne s'applique d'abord aux apôtres 
— ^prêtres et militants — et signifie qu'ils ne 
peuvent sans péril ou sans StériUté rester soli- 
taires. La garantie de leur vie intérieure, comme 
de leur persévérance morale, et leur réconfort 
mutuel, c'eêt la communauté. Celle-ci n'eât pas 
nécessairement la cohabitation physique. Elle 
suppose surtout l'esprit d'équipe. Elle exige 
que les Messagers de l'Évangile n'agissent pas 
en francs-tireurs, mais s'adonnent à la même 

I. Pie XI, Lettre au Cardinal de Lisbonne, 10 novem- 
bre 1933. 



I^es conditions de l'essor 141 

aâion dans une totale convergence de vues et de 
méthodes. Le rendement en sera décuplé. 
Isolé, le chrétien eSt un îlot dans une nappe 
d'indifférence. Même s'il s'y montre fidèle, il 
ne " débouche " pas dans la société. 

C'est ce qui fait comprendre que la commu- 
nauté ne concerne pas seulement les apôtres : 
elle concerne aussi et surtout tous ceux qu'ils 
atteignent. Sans doute, une conversion totale ne 
peut s'opérer sans des relations d'âme à âme, 
qui supposent des contacts individuels. Mais 
on ne peut s'en tenir là. Il faut compter avec 
la communauté et sur eUe. On ne sauve le 
groupe que par le groupe : il a " grâce d'état " 
pour cela. Aujourd'hui surtout où la forme 
sociale acquiert une telle importance et accroît 
si fort sa pression, ce n'e§t plus seulement l'indi- 
vidu, c'eSl le groupe lui-même qui doit se faire 
missionnaire. Ce sont les communautés natu- 
relles : foyers, communautés d'immeubles, de 
quartiers, de travail, de loisirs, etc., qui doivent 
porter témoignage et communiquer le message. 

A une condition toutefois, c'eél de ne pas 
céder à ce qu'on pourrait appeler la " tentation du 
Thabor " : Seigneur, il nous e§t bon d'être ici... ^ " 

I. Luc, IX, 33. 



Essor ou déclin de l* Église 142 

— c'eSt-à-dire de ne pas se renfermer sur soi 
en oubliant la mission essentielle. Ces commu- 
nautés n'ont pas, en effet, leur fin en elles-mêmes. 
Elles sont à la fois le produit et le point de 
départ d'un mouvement missionnaire. Elles 
doivent alimenter la vie spirituelle, mais sans 
arrêter leurs membres sur la route : ils s'y 
abreuvent et ils passent. Faire au contraire de 
leur charité fraternelle et de leur ferveur le but 
de l'aébion, ce serait s'exposer à un double risque : 
l'égoïsme, qui se contente de ce qu'il a ; l'exclu- 
sivisme, qui se ferme aux âmes du dehors. Ce 
n'eêt pas ainsi qu'on entendra les communautés : 
elles seront accueillantes et ouvertes à tous. 



PAROISSES ET COMMUNAUTES NOUVELLES. 

Ces communautés seront très diverses : 
paroisses, équipes missionnaires, équipes d'Ac- 
tion Catholique. 

Les paroisses demeurent les communautés 
de base de l'Église, pourvu qu'elles se fassent 
plus accueillantes et plus adaptées. Avec d'au- 
tres, la Mission de France y travaille. 

Dans des secteurs plus paganisés que la pa- 



Les conditions de P essor 143 

roisse ne peut atteindre, des équipes mission- 
naires ont à susciter des communautés nouvelles, 
ouvertes à ceux " qui viennent de loin ". 
Des tentatives sont faites dans ce sens par la 
Mission de Paris. 

En liaison avec les unes et les autres, les 
équipes d'Aâion Catholique portent dans les 
institutions de leurs différents milieux la pré- 
sence aéHve de rÉgUse. 

Nous désirons que les paroisses travaillent 
de plus en plus avec tous ces groupes avancés, 
et, à leur contad, intensifient leur esprit mission- 
naire. 



CRITÈRES d'orthodoxie 

Problèmes nouveaux, apostolat nouveau. La 
voie reste toujours ouverte aux formules de 
recherche et de pénétration. Mais il faut, à ces 
essais, une garantie. A quels signes reconnaîtra- 
t-on les tentatives valables ? Le sens surnaturel 
des âmes, l'esprit de foi et d'humilité, la charité 
persévérante sont déjà des critères, ainsi que 
le bon sens et la juSte appréciation des réalités. 
Mais surtout, c'eSt l'amour de l'Église qui ser- 



Essor ou déclin de F Église 144 

vira de pierre de touche pour décider du bien- 
fondé de ces démarches. 

SENS FILIAL DE l'ÉGLISE. 

Il faut que ceux qui s'y livrent ne soient pas 
seulement " dans " l'Église, mais " de " l'Église ". 
Ge rappel e§t très important, à l'heure aétuelle. 
Car rien ne compromettrait l'élan conquérant 
comme une dispersion anarchique. C'eât ce qui 
menacerait un certain nombre d'initiatives, si 
elles ne renforçaient leurs liens avec la Hiérar- 
^chie. Coupées d'elle, il leur arriverait très vite 
de s'égarer. Au contraire, '* tant que le membre 
eât encore attaché au corps, il ne faut pas déses- 
pérer de sa santé; mais s'il en e^ retranché, il ne 
peut plus ni être soigné, ni être guéri ^ ". 
L'Église eSl donc la grande garantie 2. *' On ne 
peut pas avoir Dieu pour Père quand on n'a 
pas l'Église pour Mère, affirme saint Cyprien... 
Celui qui amasse ailleurs que dans l'Église 

1. Saint Augustin, Serm., cxxxvii, i. 

2. On a écrit, sans porter atteinte, bien entendu, à 
l'autonomie primordiale de la personne et en se plaçant 
au seul point de vue de l'aâion du chrétien, que celle-ci 
ne s'explique que " comme une fonction de la ruche 
même... Transférer les prérogatives de la ruche à l'abeiUe, 
c'eét faire mourir l'une et l'autre ". (P. Charles, L.a Robe 
sans couture^ p. 129-130.) 



JLes conditions de l'essor 145 

disperse l'Église du Christ... Il eêl écrit à propos 
du Père, du Fils et de l'Esprit : " Les trois ne 
sont qu'un. " Comment cette unité dérivée de 
cette solidarité divine... pourrait-elle être morce- 
lée dans l'Église ? Celui qui n'observe pas cette 
unité n'observe pas la loi de Dieu... il ne garde 
ni la vie, ni le salut ^. " 

MYSTIQUE DE LA HIÉRARCHIE. 

Mais où donc eSt l'Église ? Autour de sa 
Hiérarchie. Celle-ci n'eêt pas uniquement cette 
autorité, visible, et extérieurement comparable 
aux autres pouvoirs humains, qu'on remarque en 
elle. C'est un " mystère ", comme l'Église même : 
" Uhi Ecclesia, ibi ChriHm ; uhi Petrus, ihi Eccle- 
sia. " Le Souverain Pontife eét le sommet de 
l'unité. Mais chaque ÉvêqueuniauPape e§t, éga- 
lement, successeur des Apôtres, et représentant 
direâ; du Christ. Ainsi," que là où eSl l'Évê- 
que, là soit aussi son peuple; comme là où e§t 
Jésus-Christ, là eSt l'Église catholique ^ ". 

Sans ce respeâ; profond et filial pour le 
PaSteur du Diocèse " Sacerdos et Pontifex ", 

1. Saint Cyrien, De XJnîtate Ecclesiae, 46 p., 13. 

2. Saint Ignace d'Antioche, Smyrn^ 8. 



Essor ou déclin de l^Église 146 

expression la plus complète du Pontificat du 
Christ; et sans cette obéissance loyale aux direc- 
tives du Pape, " Vicaire de Jésus-ChriSt ", il 
n'e^ pas d'apôtres. Le laïcat n'a de sens que 
dans ces perspe£tives, où l'ordre rejoint la mys- 
tique, en la personne des Pasteurs. Dès lors, ni 
" laïcalisme ", ni " cléricalisme " : il faut que 
tous, prêtres, religieux ou laïcs, nourrissent à 
l'égard de la Hiérarchie un esprit d'obéissance 
vraiment filiale, dans xme confiance réciproque. 
A tous ces signes, on reconnaîtra la marque et 
le souffle de l'Esprit-Saint. 



II. URGENCE DE L'ACTION 
TEMPORELLE. 
LES CHRÉTIENS DANS LA CITÉ. 



La mission de l'Église se limite-t-elle à l'Apos- 
tolat ? Certains le pensent : nous avons vu leurs 
obje<5tions à une " insertion dans le temporel " : 
ce serait trahir le Royaume de Dieu, qui n'eSt pas 
de ce monde, ce serait paâiser avec l'idolâtrie 



JLes conditions de Pessor 147 

contempotaine de la terre. Nous avons déjà 
répondu à cette fausse conception. 

LÉGITIMITÉ DES TACHES DE LA TERRE. 

Qu'il suffise ici de rappeler brièvement que, 
sans " Incarnation ", il n'y a plus d'Église et 
qu'à vouloir nier la vie de l'homme " selon 
la chair ", on finit par détruire le spirituel lui- 
même, et par tomber dans le Protestantisme. 
Car s'il e§t vrai que l'ÉgHse e§t le royaume des 
âmes, que sa fin eét absolument surnaturelle, et 
que, par là, elle ne poursuit pas direffcement le 
bonheur et la civilisation d'ici-bas, elle s'en 
occupe, en revanche, d'un autre point de vue : 
parce que l'homme e§t corps et âme, mortel et 
immortel, eUe se soucie de tout ce qui, en lui, 
sert d'assise naturelle au surnaturel. Car " la 
grâce ne détruit pas la nature " : elle l'élève et 
la perfectionne ". Et par ailleurs, messagère et 
" inélrument conjoint " du Christ Rédempteur 
dont elle eSt la vivante incarnation ^, elle se doit 

I. *' Le Sauveur agit en Dieu, mais aussi en homme... 
Re§té homjne, il continue d'agir comme un homme agit, 
pas uniquement comme Dieu agit. Il se sert, de nos jours, 
non seulement de sa toute-puissance divine, ou d'énergies 



Essor ou déclin de l'Églùe 148 

d'étendre à tout le créé le bienfait du renouvelle- 
ment. Le Christ n'e§t pas venu pour excommu- 
nier le monde, mais pour le baptiser dans son 
sang. Dès lors, le chrétien a non seulement le 
droit, mais le devoir d' " achever " la création, 
et de travailler à la cité d'ici-bas. " Le Tempo- 
rel est une réalité blessée qu'il faut aimer d'un 
amour rédempteur ^. " 



l'optimisme chrétien. 



Comme nous sommes loin. Nos Très Chers 
Frères, de ce faux portrait de chrétien qu'on se 
plaît à décrire : méfiant et désarmé à l'égard du 



purement spirituelles, mais encore de toutes les ressour- 
ces... de la nature, laquelle... e§t sa création. Toute l'huma- 
nité, c'eét-à-dire tout l'humain, peut être, doit être 
utilisé par le Christ. Toute l'aâivité noblement humaine 
doit devenir " sacramentale ", c'eSt-à-dire porteuse 
d'efficacité surnaturelle. " (L. de Coninck, 0. e., p. 686.) 
I. " Aimer les créatures de Dieu, l'eifort humain, les 
joies humaines, c'eSt non seulement permis ,c'e§t com- 
mandé : il faut le faire pour ressembler au Christ et 
accomplir son devoir... Le chrétien aime le temporel 
comme quelque chose qxii doit l'aider à rejoindre son 
Dieu... Le Christianisme dès lors condamne avec énergie 
non pas l'amour, mais l'idolâtrie du temporel. " (J. 
Mouroux, ILe Sens chrétien de l'homme, p. 16.) 



JLes conditions de l'essor 14a 

présent, inutile à la société ^, C'eSl au contraire 
sur nos œuvres, eiFeâives, réelles, que le Christ 
nous jugera : " J'avais faim... et vous m'avez 
nourri; j'étais en prison et vous m'avez visité \ " 
La voie qui vous eét tracée par l'Église n'eât 
pas différente : c'eSt un authentique engage- 
ment. " Croître, et posséder la terre ^ ", par 
votre travail et vos découvertes, pour en faire 
l'offrande, ensuite, au Créateur, qu'y a-t-il de 
plus religieux ? " C'eSt le Créateur de toutes 
choses qui a mis au cœur de l'homme l'irrésiâti- 
ble aspiration à trouver, même sur cette terre, le 
bonheur convenable et le catholicisme approuve 
tous les justes efforts de la vraie civilisation 
et du progrès bien compris pour la perfeâion 
et le développement de l'humanité *. " " Ce 
serait mal interpréter nos paroles contre le maté- 
rialisme, précise pareillement Sa Sainteté Pie XII 
que d'en déduire une condamnation du progrès 



1. " Le chrétien n'eSt pas un lâche qui craint d'é- 
treindre la vie, ni un faible qui redoute d'affronter la 
joie, ni un vaincu. Il e§t un homme lucide et décidé qui 
sait que tout doit être purifié, la nature, le travail, Tamour, 
la personne elle- même, et qu'avec le Christ il eât capable 
de tout purifier. " (J. Mouroux, 0. c, p. 21.) 

2. Matth., XXV, 31-46. — 3. Genèse, i, 8. 
4. Pie XL Caritate compulsif 3 mai 1932. 



Essor ou déclin de l'Église 150 

technique. Non, nous ne condamnons pas ce 
qui e§t un don de Dieu, qui.., a caché dans les 
entrailles... du sol, aux jours de la création du 
monde, des trésors... que la main de l'homme 
devrait en tirer pour ses besoins... pour son 
progrès ^. " N'ayez donc pas peur d'être moins 
chrétiens en étant plus hommes. Chaque nou- 
velle conquête sur le monde, c'eSt une province 
que vous annexez au domaine universel du 
Chri§t-Roi. La consigne du Pape e§t formelle : 
" L'Église ne peut pas s'enfermer inerte dans 
le secret de ses temples et déserter ainsi la 
mission que lui a confiée la Providence divine, 
de former l'homme complet... 2. " 

" A l'œuvre donc, et au travail, fils bien 
aimés... ne restez pas inertes au milieu des ruines. 
Sortez-en pour reconstruire un nouveau monde 
social au Chri^... ^. " La cause e§t entendue : 
non seulement " Présence au monde ", mais 
"Progrès ". " Il ne peut être question pour une 
âme chrétienne, qui pèse l'Histoire avec l'Esprit 
du Christ, de retour vers le passé, mais seule- 
ment du droit d'avancer vers l'avenir et de se 

I. Pie XII, Radio-Message, Noël 1941. — 2. Pie XII, 
Discoiirs aux nouveaux Cardinaux, 20 février 1946. — 
3. Pie XII, Noël 1943. 



Les conditions de r essor 151 

dépasseï:^. " Ces derniers mots. Nous les 
reprenons à notre tour. Nos Très Chers Frères, 
pour vous dire, de la façon la plus formelle : 
allez de l'avant, travaillez à construire ce monde 
nouveau. Il dépend de vous qu'il soit, ou qu'il 
ne soit pas chrétien. Le monde appartiendra à 
ceux qui l'auront " conquis " les premiers. Il 
dépend donc de vous d'assurer le Printemps de 
l'ÉgHse. 

Dans la pratique, qu'allez- vous faire? C'eSt 
la question que se posait saint Paul, après le 
chemin de Damas : " Domine ^ quidme visfacere ?" 
Et la réponse lui parvient aussitôt : " SUrge, 
ingredere civitatem ^ \ " Entrer dans la cité, en 
devenir le citoyen a6tif, cela désigne un double 
programme. 



I. I.A. tAche des intellectuels. 



Nous avons dit le rôle général des intelleéhiels 
dans l'élaboration de cette" Synthèse catholique" 
qui doit concilier Tradition et Progrès, transcen- 

I. Pie XII, 13 mai 1942. — 2. Aûes, ix, 6. 



Essor ou déclin de F Église 152 

dance et incarnation. Il nous reSte ici à préciser 
les tâches particulières que leur trace cette 
grande mission. 



AUTONOMIE LÉGITIME. 



Rappelons d'abord que ce labeur reSte indé- 
pendant : " L'Église n'entend pas prendre parti 
contre l'une ou l'autre des formes concrètes et 
particulières par lesquelles les divers peuples ou 
États tendent à résoudre les problèmes gigan- 
tesques de l'organisation intérieure comme de 
la collaboration internationale, tant que ces 
solutions respeâient la loi divine 1. " Elle n'a pas 
mission de résoudre direétement des problèmes 
qui relèvent de la technique. Elle laisse aux 
compétences leur légitime autonomie : elle ne 
s'inféode à aucun système, scientifique, social 
ou politique; et elle donne aux chrétiens la 
liberté de leurs options et de leurs recherches. 
Celles-ci ont leurs méthodes propres, et leur 
objet déUmité. Cette diêtinétion e§t indispensa- 
ble, pour éviter toute confusion de " royaumes". 
Il ne faut donc pas attendre de l'Église ce qu'elle 

I. Pie XII, Message de Noël 1942. 



Lues conditions de l'essor 153 

ne peut ni ne doit réaliser : elle anime tout, 
mais elle ne façonne pas, elle-même, la civilisa- 
tion^. Ce n'est pas elle qui va préfigurer les 
Struéhires de demain : elle respeéte trop les 
droits et la libre initiative de l'homme. 



INITIATIVES DES PENSEURS. 

Mais ce qu'elle ne peut pas faire elle-même, 
les chrétiens peuvent et doivent l'accomplir. 
Parce qu'ils sont aussi de ce monde, ils ont le 
droit, autant que les autres, de prendre part à 
toute poursuite du vrai, et à tous les débats, à 
toutes les transformations d'une cité dont ils 
sont les citoyens. Les " enfants de lumière 



?> 



I. " Dans toutes les limites de la loi divine qui vaut pour 
tous et dont Tautorité oblige non seulement les individus 
mais les peuples, il y a un large champ et une liberté de 
mouvements pour les formes les plus variées... Gardienne 
et maîtresse des principes de la foi et de la morale... le 
seul intérêt et le seul désir de l'Église e§t de transmettre à 
tous les peuples sans exception, avec ses moyens éduca- 
tifs et religieux, la source claire du patrimoine et des 
valeurs de la vie chrétienne afin que chaque peuple, 
dans la mesure qui correspond à ses particularités, use 
des do(ftrines et des motifs éthico-religieux du Chris- 
tianisme pour établir une société humainement digne... 
source de véritable bien-être. " (Pie XII, Noël 1940.) 



Essor ou déclin de l'Église 150 

technique. Non, nous ne condamnons pas ce 
qui c§t un don de Dieu, qui... a caché dans les 
entrailles... du sol, aux jours de la création du 
monde, des trésors... que la main de l'homme 
devrait en tirer pour ses besoins... pour son 
progrès ^. " N'ayez donc pas peur d'être moins 
chrétiens en étant plus hommes. Chaque nou- 
velle conquête sur le monde, c'eSt une province 
que vous annexez au domaine universel du 
Chri§t-Roi. La consigne du Pape eêl formelle : 
" L'Église ne peut pas s'enfermer inerte dans 
le secret de ses temples et déserter ainsi la 
mission que lui a confiée la Providence divine, 
de former l'homme complet... ^. " 

" A l'œuvre donc, et au travail, fils bien 
aimés... ne restez pas inertes au milieu des rxiines. 
Sortez-en pour reconstruire un nouveau monde 
social au Chriét... ^. " La cause eél entendue : 
non seulement " Présence au monde ", mais 
"Progrès ". " Il ne peut être queélion pour une 
âme chrétienne, qui pèse l'HiSloire avec l'Esprit 
du Christ, de retour vers le passé, mais seule- 
ment du droit d'avancer vers l'avenir et de se 

I. Pie XII, Radio-Message, Noël 1941. — 2. Pie XII, 
Discours aux nouveaux Cardinaux, 20 février 1946. — 
3. Pie XII, Noël 1943. 



I^es conditions de l'essor 151 

dépasser^. " Ces derniers mots. Nous les 
reprenons à notre tour. Nos Très Chers Frères, 
pour vous dire, de la façon la plus formelle : 
allez de l*avant, travaillez à construire ce monde 
nouveau. Il dépend de vous qu'il soit, ou qu'il 
ne soit pas chrétien. Le monde appartiendra à 
ceux qui l'auront " conquis " les premiers. Il 
dépend donc de vous d'assurer le Printemps de 
l'ÉgHse. 

Dans la pratique, qu'allez-vous faire ? C'e^ 
la question que se posait saint Paul, après le 
chemin de Damas : " Domine, quidme visfacere ? " 
Et la réponse lui parvient aussitôt : " Surge, 
ingredere civitatem 2 ! " Entrer dans la cité, en 
devenir le citoyen aétif, cela désigne un double 
programme. 



I. 1.A TÂCHE DES INTEL.LECTUELS. 



Nous avons dit le rôle général des intelleétuels 
dans l'élaboration de cette " Synthèse catholique " 
qui doit concilier Tradition et Progrès, transcen- 

I. Pie XII, 13 mai 1942. — 2. Aétes, ix, 6. 



'Ejsor ou déclin de l* Église 15 ^ 

dance et incarnation. Il nous reSte ici à préciser 
les tâches particulières que leur trace cette 
grande mission. 



AUTONOMIE LÉGITIME. 



Rappelons d'abord que ce labeur reSte indé- 
pendant : " L'Église n'entend pas prendre parti 
contre l'une ou l'autre des formes concrètes et 
particulières par lesquelles les divers peuples ou 
États tendent à résoudre les problèmes gigan- 
tesques de l'organisation intérieure comme de 
la collaboration internationale, tant que ces 
solutions respeâient la loi divine 1. " Elle n'a pas 
mission de résoudre directement des problèmes 
qui relèvent de la technique. Elle laisse aux 
compétences leur légitime autonomie : elle ne 
s'inféode à aucun système, scientifique, social 
ou politique; et elle donne aux chrétiens la 
liberté de leurs options et de leurs recherches. 
Celles-ci ont leurs méthodes propres, et leur 
objet déUmité. Cette diStinâion e§t indispensa- 
ble, pour éviter toute confusion de " royaumes". 
Il ne faut donc pas attendre de l'Église ce qu'elle 

I. Pie XII, Message de Noël 1942. 



Les conditions de P essor 153 

ne peut ni ne doit réaliser : elle anime tout, 
mais elle ne façonne pas, elle-même, la civilisa- 
tion^. Ce n'est pas elle qui va préfigurer les 
§tru6hires de demain : elle respeâie trop les 
droits et la libre initiative de l'homme. 



INITIATIVES DES PENSEURS. 

Mais ce qu'elle ne peut pas faire elle-même, 
les chrétiens peuvent et doivent l'accomplir. 
Parce qu'ils sont aussi de ce monde, ils ont le 
droit, autant que les autres, de prendre part à 
toute poursuite du vrai, et à tous les débats, à 
toutes les transformations d'une cité dont ils 
sont les citoyens. Les ** enfants de lumière " 

I. " Dans toutes les limites de la loi divine qui vaut pour 
tous et dont l'autorité oblige non seulement les individus 
mais les peuples, il y a un large champ et une liberté de 
mouvements pour les formes les plus variées... Gardienne 
et maîtresse des principes de la foi et de la morale... le 
seul intérêt et le seul désir de l'Église eSt de transmettre à 
tous les peuples sans exception, avec ses moyens éduca- 
tifs et religieux, la source claire du patrimoine et des 
valeurs de la vie chrétienne afin que chaque peuple, 
dans la mesure qui correspond à ses particularités, use 
des doârrines et des motifs éthico-religieux du Chris- 
tianisme pour établir \ine société humainement digne... 
source de véritable bien-être. " (Pie XII, Noël 1940.) 



Essor ou déclin de l* Église 1 5 4 

sont, trop souvent, moins habiles que les " fils 
des ténèbtes " : cette constatation n'cSt pas, de 
la part du Maître : un précepte. Être en retard 
d'une idée, cela a pu être un fait : ce n'eët pas 
une vertu. 

Aussi votre tâche. Penseurs chrétiens, n'eSt- 
elle pas de suivre, mais de précéder; il ne vous 
suffit pas d'être des disciples : il vous faut deve- 
nir des maîtres. Il ne suffit plus d'imiter : il faut 
inventer. 

DANS LA RECHERCHE PURE. 

Votre exploration portera d'abord sur la 
Vérité pure et la science désintéressée. Vous 
poursuivrez la vérité pour elle-même, sans 
escompter ses applications. Vous pénétrerez de 
plus en plus profondément dans les secrets de 
la nature, dont l'énigme eSt un contant appel 
à chercher plus haut, jusqu'à Dieu. Vous 
rassemblerez les conclusions de vos diverses 
spécialités, pour vous essayer à une vision 
cosmique de l'univers. A cet effort, vous ne 
mêlerez aucune considération d'intérêt, fût-eUe 
apologétique : vous ne chercherez que ce qui 
eât. Votre loyauté n'aura d'égale que votre 



JLes conditions de V essor 155 

ouverture d'esprit et votre coopération effeâdve 
avec tous ceux, croyants ou incroyants, qui 
poursuivent le vrai : " de toute leur âme ". 

Vous n'hésiterez pas à vous donner, tout 
entiers et dans la " joie de connaître ", à votre 
" vocation de savants ^ ". 



DANS l'élaboration DE LA CITÉ. 



Mais vous n'hésiterez pas davantage à 
appliquer également vos recherches au do- 
maine de la civilisation. De quoi s'agit-il, 
en effet ? De construire le monde nouveau, de 
définir et préparer les §lruâ;ures qui permet- 
tront à l'homme d'être pleinement homme, 
dans une cité digne de lui; de transfigurer 
toutes choses pour en faire vm monde chré- 
tien 2. Va§te programme qui déborde lar- 

1. P. Termier. Sur ce thème, cf. le discours de S. S. 
Pie XII à un groupe de professeurs et d'étudiants fran- 
çais, le 24 avril 1946, sur la " Joie de connaître ". " Cette 
joie, elle vous e§t offerte : ne la dédaignez pas... Même 
dans vos spécialités respedHves vous excellerez si vous 
savez élargir vos horizons... " 

2. " Je voudrais, écrit Origène, te voir utiliser toutes 
les forces de ton intelligence pour le Christianisme, qui 
doit être le but suprême. Pour y atteindre sûrement, je 
souhaite que tu empruntes à la philosophie grecque le 



Essor ou déclin de l^ Église 156 

gement les efforts d'une génération, et qui 
exige un double effort. 

Un effort d'analyse : vous avez à vous pro- 
noncer sur la civilisation adhielle, pour la 
juger, la flétrir ou la corriger. Comme nous 
le disions naguère ^, vous dresserez un bilan 
objeftif de notre " civilisation urbaine " d'au- 
jourd'hui, avec ses concentrations géantes et 
ses accroissements continus; avec les tares 
de sa produffcion inhumaine, de sa réparti- 
tion injuste, de ses loisirs épuisants. Puis, par 
un effort de synthèse, à partir des fautes du 
présent, mais surtout de ses aspirations et de 
ses promesses, vous tracerez un vaête plan 
d' " urbanisme " et d'humanisme, envisagé 
en fon6tion de l'homme, de ses capacités, de 
ses besoins. Toute la somme de vos travaux 
accumulés devra être employée à cette synthèse 
géante du monde à venir. Ne vous y montrez 
pas timides. Mais défendez, exigez, imposez, 
au nom d'une science où personne ne devrait 



cycle des connaissances capables de servir d'introduétion 
au christianisme. " (Origène, Épftre à Grégoire le Thau- 
maturge, 3.) 

I. Aux médecins et étudiants de la Conférence Laen- 
nec, 15 novembre 1946. 



I^es conditions de F essor 157 

vous égaler, votre conception magistrale et 
libératrice du monde et de l'homme. 



A PARTIR DE l'hOMME. 

Dans cette exploration, dans ces réformes, 
en effet, vous seuls serez totalement '* huma- 
nistes ", car vous seuls pourrez fournir à la 
civilisation qui se fait une norme valable : une 
juêle conception de l'homme. C'eêt l'idée 
chrétienne de la nature humaine, et elle seule, 
qui permettra de ne pas déshumaniser l'homme. 
Au lieu de laisser la technique l'écraser sous 
prétexte de le libérer ^, au lieu de partir du 
progrès technique comme d'un bien en soi, 
qui justifie tous les sacrifices présents et indi- 
viduels, vous partirez toujours de l'homme 
lui-même qui eSt une " personne " indépen- 
dante. C'est pour lui qu'on construit la cité. 
C'est elle qui eSt faite pour lui, car elle passera, 
tandis que lui survivra dans son âme immor- 

I. Le C. C. I. F. — Centre cathoKque des Intelleétuels 
français — a mis cette année à son programme l'étude 
de l'homme aux prises avec le progrès des techniques. 
Des groupements se sont déjà penchés sur ce problème 
de l'heure. 



Essor ou déclin de P Église 158 

telle et même, à la résurre6bion de la chair, 
dans son cotps, prolongement d'iei-bas. Il 
faut être chrétien — non pas, sans doute, 
pour entreprendre — mais pour " réussir " 
totalement cette élaboration de l'homme : 
seul le point de vue de Dieu peut pousser le 
sujet humain à son ultime développement, 
en lui rappelant qu'il eSt " infini dans ses 
vœux ", sans cesse en quête de dépassements, 
et que l'arrêter à un Stade, dont on ferait " l'âge 
d'or ", c'est l'étouffer, c'eSt le faire mourir. 
Sous cet angle, il entre dans la mission de 
l'Église de rappeler — et elle n'a cessé de le 
faire, autrefois comme aujourd'hui — les 
exigences auxquelles doivent répondre les 
organisations temporelles, sous peine de défi- 
gurer en l'homme l'image de Dieu. 

C'est ainsi que nous la voyons, en matière 
sociale, rejeter de nos jours à la fois l'anarchie 
de l'économie libérale, qui fait de la lutte la 
loi du progrès, et la conception étatique, dans 
laquelle la liberté individuelle eSt absorbée au 
profit d'une puissance anonyme, pour orienter 
vers les solutions où l'organisation eSt obtenue 
par la conspiration des volontés libres, dans 



Les conditions de l* essor 150 

le tespeâ: des sociétés naturelles : famiUes, 
entreprises, professions, çx.c. 



RÉFORMES DE STRUCTURES. 

Ainsi, votre mission présente comporte 
une étude et une réforme profonde des stru^u- 
res et ceci, en tous les domaines. La plus 
urgente concerne la vie sociale et économique. 
Nous savons que des chefs d'entreprise cou- 
rageux, en contaâ: étroit avec les milieux 
ouvriers, ont écouté la voix pressante de 
l'Église en France leur rappelant naguère 
" simplement, mais fortement, le principe 
d'une orientation de plus en plus nette " des 
relations du capital et du travail " vers le con- 
trat de société ^ ". Ils travaillent hardiment, 
par leurs idées et leurs réalisations, à rénover 
dans ce sens l'esprit et la èlru6ture de leur 
entreprise, en associant les travailleurs à sa 
gestion, à sa propriété et à ses fruits. Nous 
savons par ailleurs qu'un grand nombre de 
laïcs cherchent à promouvoir une organisa- 



1. Déclaration de l'Assemblée des Cardinaux et 
Archevêques de France en février 1945. 



Essor ou déclin de l'É^glùe " i6o 

tion professionnelle véritable, qui dose sage- 
ment une authentique représentation profes- 
sionnelle avec un contrôle suffisant de la puis- 
sance publique. De telles réformes mettent 
en application des formules techniques sur 
lesquelles nous n'avons pas à nous prononcer, 
et qui peuvent être diverses. Mais elles se 
situent dans la ligne des suggestions déjà don- 
nées par l'Encyclique Quadragesîmo ^nno. 
Elles sont nécessaires pour résoudre les pro- 
blèmes économiques et sociaux. Elles posent 
les conditions sans lesquelles le relèvement 
du prolétariat ne pourra s'accomplir. Nous 
encourageons donc vivement ceux des laïcs 
à qui leurs responsabilités permettent une 
aâdon sur ce plan, à entrer dans cette voie ou 
à y persévérer, malgré les difficultés de toute 
nature qu'ils y rencontrent. 

Ce que nous venons de dire de l'entreprise, 
nous retendons à tous les autres secteurs de 
la vie publique : urbanisme, vie économique, 
" politique ", au sens large, échanges inter- 
nationaux, culture, éducation, loisirs, vie 
artistique, etc. La présence des chrétiens par- 
tout : c'eét toujours Notre mot d'ordre le plus 
clair. Qu'ils soient le " ferment ", la pâte lèvera. 



i6i 



LE TRIPLE PLAN DE l'aCTION. 



Encore faut-il, comme on l'a dit très juste- 
ment, qu'elle soit vraiment de la " pâte "et 
non une " matière faâice ^ ". Or, c'e§t ici que 
le problème du Temporel rejoint celui de 
l'Apostolat. Les conditions présentes de ce 
qu'on appelle la " civilisation moderne " ne 
sont plus humaines : le message surnaturel, 
même porté par les élites les plus prestigieuses 
et les plus ferventes, ne rencontre plus le " natu- 
rel ", mais un mélange d'éléments disparates 
et anarchiques, qui ne peuvent plus — dans 
la généralité des cas — servir de support, et 
encore moins de pierre d'attente, à la grâce. 
Voilà pourquoi la tâche des chrétiens e§t si 
nettement tracée : s'ils ne guérissent pas, s'ils 
n' " aménagent " pas les institutions, s'ils ne 
substituent pas un climat respirable à l'am- 
biance délétère de ce " monde sans âme ", 
leur e£Fort d'évangéUsation risque fort d'être 
compromis. Pour convertir le monde, il ne 
suffit pas d'être des saints, et de prêcher l'Évan- 

I. P. Desqueyrat, U Apostasie des temps nouveaux. 
Travaux, octobre 1946, p. 22. 

6 



Essor ou déclin de P Église 162 

gile : ou plutôt l'on ne peut ètto. un saint et 
vivre l'Évangile qu'on invoque, sans s'efiFotcet 
d'assuter à tous les hommes des conditions 
— de logement, de travail, de nourriture, de 
repos, de culture humaine, etc. — sans les- 
quelles il n'egt plus de vie humaine. Aussi, 
la mission du chrétien n'eSt-eUe pas seulement 
un JipoHolat : c'eât la convergence de trois 
a<5tions simultanées : religieuse, civique et 
sociale. Devant l'ampleur de la tâche, le chré- 
tien isolé e§t impuissant. C'eât l'honneur de 
notre AéHon Catholique de l'avoir compris. 
Elle apprend à ses membres à juger selon leur 
foi des problèmes civiques, économiques et 
sociaux; elle les prépare à assumer dans la cité 
leurs responsabilités chrétiennes. Enfin, par 
sa vie même elle revendique pour l'homme des 
conditions de vie plus conformes à sa sublime 
vocation de fils de Dieu. Précieuse conclusion 
que la nécessité de cette aéHon simultanée : 
elle confirme par les faits la conception catho- 
lique de '* l'Incarnation " et présage à l'ÉgHse 
la direâion de son essor. 

Cette avance sur tous les fronts prendra, 
ici encore, son origine dans un effort de pensée. 
Elle ne sera possible que si des centres de 



Les conditions de l^ essor 165 

recherche, des bureaux d'études, des instituts 
de culture, etc, se constituent dans toutes les 
branches. Des efforts ont déjà été réalisés en 
ce sens ^. Nous les encourageons de tout 
notre pouvoir. Mais nous exprimons le vœu 
qu'ils se multiplient, et, surtout, qu'une étroite 
coordination fasse aboutir à l'unité des efforts 
qui risqueraient, autrement, de se perdre ou 
de se disperser. L'heure semble venue où le 
besoin se fait sentir, intensément, d'une cen- 
tralisation, peut-être même organique, qui 
respeéterait, toutefois, l'indispensable pluralité 
et la nécessaire autonomie des divers '* centres " 
spécialisés. De ces immenses enquêtes des 
savants, des sociologues et des techniciens, 
les philosophes et les théologiens devraient 
alors, pas à pas, tenter une synthèse conStructive 
dont les signes de garantie seraient d'être toujours 
en devenir — et de proposer constamment 
ses conclusions au jugement de l'ÉgHse. 



I. Notons, en particulier, le C. C. I. F., Centre catho- 
lique des Intelleâuels français. 



164 



2. UEFFORT DE TOUS. 

Ne pensez pas cependant. Nos Ttès Chets 
Frètes, que la conélruéHon de la Cité future 
revienne aux seuls Penseurs. Il n'eSt pas néces- 
saire d'être savant pour travailler à cette grande 
œuvre : tout chrétien y e§t appelé. Chacun, 
dans sa sphère d'a6tion, peut exercer une influ- 
ence. '* Le devoir de l'heure présente n'eét pas 
de gémir, mais d'agir : pas de gémissement sur 
ce qui e§t ou ce qui fut; mais reconétruâdon de 
ce qui se dressera et doit se dresser pour le 
bien de la société ^. " 

Or qtii donc pourrait, à moins de fermer 
les yeux, ne pas voir les détresses qui l'en- 
tourent, et les maux à soulager ? " Quel prêtre, 
quel chrétien pourrait demeurer sourd au cri 
parti du plus profond de la masse, et qui, dans 
le monde d'un Dieu ju§te, réclame justice et 
fraternité ?... L'Église se renierait elle-même, 
elle cesserait d'être mère si elle demeurait 
sourde au cri d'angoisse que ses enfants de 

I. Pie XII, Message de Noël 1942. 



Iss conditions de l^ essor 165 

toutes les classes de rhutnanité font montei: 
à ses oteilles... Le misereor super turham e§t pour 
nous un mot d'ordre sacré ^. " " Avant d'en- 
seigner les foules, Jésus-ChriSt avait l'habitude 
de soigner les malades... et même H donna à 
ses Apôtres un pouvoir semblable, en leur 
ordonnant d'en faire usage ^. " 

Ainsi, que chacun se mette à l'œuvre, en 
plongeant dans son milieu de vie des racines 
toujours plus profondes. Pour les uns, ce sera 
un service d'entraide, une amélioration du 
travail et du logement; pour d'autres, une 
action syndicale ou professionnelle, ou des 
responsabilités dans une Association familiale. 
Celui-ci s'occupera d'urbanisme, celui-là d'un 
mouvement de jeunesse ou de relèvement. 
Et nous sommes sûrs, de par les expériences 
précédemment vécues, que nos chrétiens agis- 
sant dans l'Aâion Catholique ou formés par 
elle sont particulièrement aptes à ces mul- 
tiples tâches. Heure par heure chacun peut 
apporter sa pierre à l'édifice commun. Il suffit 
de le faire sans se soucier des critiques ni des 
obstacles, avec " cette foi qui transporte les 

I. Ihid. 

z. Pie XI, citant Matth., vra, 16; Luc, x, 8-9; ix, 6, 



Essor ou déclin de l'Bfglise i66 

montagnes ". " On dit, s'écrie TertuUien, que 
nous sommes des gens inutiles aux affaires. 
Comment pourrions-nous l'être, nous qui 
vivons avec vous, qui avons même nourriture, 
même vêtement, même genre de vie que vous ? 
Car nous ne sommes pas des " gymnosophi^es" 
de rinde, habitant des forêts et exilés de la 
vie ^. " Ne doutez pas. Nos Très Chers Frères, 
des résultats d'une action ainsi engagée dans 
la vie. Sur le moment vous ne verrez pas les 
résultats de vos tâtonnements et de votre 
persévérance, mais un jour se lèvera enfin où 
vos enfants et petits-enfants vous rendront 
grâce de la demeure terre^re que vous leur 
aurez préparée. 

I. TertuUien, Apologétique, XLII, i. 



Conclusion 



Voyez-vous, maintenant. Nos Très Chets 
Frères, quelles perspeétives s'ouvrent à vous ? 
Allez-vous rester timides ou désespérés en 
face d'un si beau chantier ? 



AU-DELA DES APPARENCES. 

Nous savons que certains sont tentés de 
trouver cette tâche impossible. Jamais peut- 
être le monde n'a pesé si lourd sur notre âme. 
Il e§t vrai qu'à certaines heures, tout semble 
noir. Cette terre sans Dieu, cette marée uni- 
verselle de Péché, ces menaces renouvelées 
de suicide coUeétif, les cris de détresse qui 
montent de partout, ont quelque chose d'hal- 
lucinant. L'inquiétude que chacun ressent 
dans son cœur, comment ne l'étendrait-il pas 
à l'Église? Que peut-elle faire, que va-t-elle 
devenir, dans un monde qui s'eSt éloigné d'elle 
ou qui s'eflForce de la rayer du nombre des 
vivants ? Oui, il e§t vrai que la tâche peut 



Essor ou déclin de l'Mglise 170 

paraître surhumaine, même pour l'Église. 
Celle-ci peut sembler débordée, submergée 
par le déluge de ce temps. 

Et pourtant, dépassons les apparences : 
nous savons maintenant que, dans la lutte qui 
s'est engagée, l'Église e§t déjà viftorieuse. Sans 
illusion, et en mesurant le prix qui lui sera 
demandé, elle nous redit les paroles que le 
Christ lui inspire : ** Ayez confiance. J'ai 
vaincu le monde * ! " 



AU-DELA DES FAUSSES MYSTIQXJES. 

Notre foi en l'Église se fonde d'abord sur 
les insuffisances de tout ce qui n'eSt pas elle. 
Car les nouveaux messianismes qui se pro- 
posent — ou qui voudraient s'imposer — à 
nos aspirations comme à nos désarrois, sont 
" toujours courts par quelque endroit ". Dans 
le moment même oti leur attraéHon se fait la 
plus forte, ils trahissent déjà, pour qui sait 
voir, des signes visibles d'essoufflement. On 
a parlé de revanche de la chair; il faut aujour- 
d'hui parler de revanche de l'esprit. Ce n'e§t 

I. Jean, xvi, 33. 



Hssor et printemps de l'Ëglise ijt 

pas impunément qu'on peut chasser Dieu du 
monde. L'heure sonne enfin où II revient. 
On peut écraser, on peut broyer le corps de 
riiomme. Il n'eét au pouvoir de personne 
d'étouffer et de tuer son âme. CeUe-ci parle 
aujourd'hui. On la perçoit dans les masses 
désabusées; on la sent frémissante, dans la 
Pensée qui se cherche. Jamais peut-être, les 
mystiques de la terre n'ont éprouvé à ce point 
la nostalgie de Dieu. Alors, quand on lève les 
yeux vers l'ÉgHse, ce n'e§t pas le doute, encore 
moins la honte ou la peur qui nous saisissent : 
c'eât la fierté, c'eSt la joie. Car ces systèmes et 
ces promesses qui passent, l'Église les dépasse. 
Elle étoufferait dans ces messianismes, tout 
ensemble clos et tronqués. Sa jeunesse se 
refuse à leur vieillissement. 



IMMORTELLE JEUNESSE... 

Toujours jeune et toujours vivante : c'e§t 
la leçon du passé, comme du présent. Quelle 
époque, jusqu'à la nôtre, a connu de semblables 
espoirs ? S'il n'y a pas d'effets sans causes, il 
n'y a pas non plus de causes sans effets. Com- 



Essor ou décim de. P Église 172 

ment ce qm se sème aujourd'hui ne lèverait- 
il pas demain ? A ces signes nous faisons con- 
fiance. Quoi qu'il arrive, nous savons qu'il y 
a maintenant, dans toutes les parties du monde 
et dans tous les milieux, des chrétiens qui, 
malgré l'erreur, la persuasion, et peut-être 
le fer et le feu, sauront témoigner du Christ et 
de son Église immortelle. Nous savons qu'à 
toute idée qui s'exprimera contre Dieu répon- 
dra une pensée qui s'inspirera de son amour. 
Tout peut arriver : la persécution, l'hérésie, 
la guerre : nous croyons, plus que jamais, à 
l'immortelle jeunesse de l'ÉgUse. Et ici, 
comment ne ferions-nous pas Nôtres ces paroles 
de Newman, relatives au " Second Printemps 
de l'Église " ?... "Oui, mes Frères, si telle 
e§t la volonté de Dieu, il n'y aura pas seulement 
parmi nous des Confesseurs et des Doâieurs, 
mais aussi des Martyrs, pour consacrer de 
nouveau cette terre à Dieu. Nous ne savons 
pas ce qui nous attend, jusqu'à ce que nous 
allions à la Viétoire... ^ " Mais après cette 
invitation au courage, c'eSt aussi l'appel à la 
joie : " Nous sommes engagés dans une œuvre 

I. Newman, Sermon sur le Second printemps de l* Église, 
Édit. Longmans, p. 163 sq. 



Essor et printemps de l^ Église 173 

magnifique et joyeuse... Si nous devons 
échapper aux maux présents, il faut que ce 
soit en allant de l'avant... Le monde vieillit : 
l'Église e§t toujours jeune... "^ " 

De cette jeunesse qui fonde notre espérance, 
nous savons maintenant le secret : c'e§t le 
Mystère de l'Église. " Une des qualités de 
l'Église qui e§t le plus célébrée dans les Écri- 
tures, écrit Bossuet, c'e§t sa perpétuelle jeunesse 
et sa nouveauté qui dure toujours. Et si peut- 
être vous vous étonnez qu'au lieu de la nou- 
veauté qui passe en ce moment, je vous parle 
d'une nouveauté qui ne finit point, il m'eSl 
aisé. Fidèles, de vous satisfaire. UÊglise chré- 
tienne eB toujours nouvelle, parée que l'Ecrit qui 
ranime efi toujours nouveau 2. " 

1. Ibîd, 

2. Bossuet, Sermon pour h temps de Jubilé, Metz, 1656. 
Il e§l à noter que les Pères se réfèrent toujours au 

mjHère de l'Église pour prédire et justifier sa perma- 
nente jeunesse : 

" Où sont, s'écrie saint Augustin, tous ceux qui 
disent : " L'Église a disparu du monde " ? L'Église 
chancellera si son fondement chancelle; mais comment 
pourrait chanceler le Christ ? Tant que le Christ ne chan- 
cellera point, l'Église ne fléchira jamais jusqu'à la fin 
des temps. " ÇBftarr, in Psal., CIII, Serm. II, n® 5.) 

" Les infidèles, dit-il encore, croient que la religion 
chrétienne doit durer un cettain temps dans le monde. 



174 



...ET PRINTEMPS DE l'ÉGLISE. 



Sur cette vision, sur ces espoits, nous sommes 
en droit de conclure. 

Que penser de cette Église qu'on disait 
morte ? Les tempêtes des hommes et des âges 
se sont déchaînées sur elle pour l'engloutir. 
Comme l'Arche, elle a traversé le Déluge, et, 
chaque fois, trouvé de nouveaux rivages pour 
de plus amples accroissements. Aujourd'hui 
comme autrefois, le monde ne se sauvera pas 
du déluge sans l'Arche ^. Aujourd'hui, 
comme alors, " l'Esprit de Dieu qui plane sur 



ptiis disparaître. Or elle durera autant que le soleil : 
tant que le soleil continuera à se lever et à se coucher, 
c'egt-à-dire tant que durera le cours même des temps, 
l'Église de Dieu, c'eSl-à-dire le corps du Christ, ne dis- 
paraîtra point du monde. " (In Psalm., LXXI.) 

" Ne te sépare point de l'Église; rien n'eSt plus fort 
que ri^lise. Ton espérance, c'e§t l'Église; ton salut, 
c'eât l'EgUse; ton refuge, c'est l'Église. EUe e§t plus 
haute que le ciel et plus large que la terre. Elle ne vieillit 
jamais mais reSte toujours en pleine force. " (Saint Jean 
ChrysoStome, Hom. de capfo Eufropio, n° 6.) 

I. " Haec est arca quae nos a mundi erepfos diluvio, in 
portum salutîs inducit,.. " (Préface de la Dédicace, Propre 
de Paris.) 



Bssor et printemps de l'Église 175 

les eaux " lui envoie la colombe, son vivant 
symbole, avec son rameau d'olivier. Et ce 
frêle témoin d'un continent inexploré ne res- 
semble en rien aux feuilles mortes; il a la grâce 
et la fraîcheur humide du Printemps. 



Prière 



*' Prions, Ftères bien-ainiés, pour la Sainte 
Église de Dieu, afin qu'H daigne lui donner 
la paix et l'union, et la garder par toute la 
terre... afin que... répandue dans le monde 
entier, eUe persévère avec une foi ferme dans 
la confession de votre Nom, Par Notre-Sei- 
gneur Jésus-ChriSt i. " 

" O Dieu, force immuable et lumière éter- 
nelle, regardez avec bonté, dans son dévelop- 
pement total, l'admirable mystère de votre 
ÉgUse, et que votre puissance paisible mène 
à son accomplissement, selon vos plans éter- 
nels, le salut de l'humanité; afin que le monde 
entier expérimente et voie le relèvement de 
toutes ruines, le renouvellement de toute 
vétusté, et l'accès de toutes choses à la per- 
feâion, par Celui de qui elles tirent leur ori- 

I. Ofaison du Vendredi Saint, office du Matin. 



Essor ou déclin de l'Eglise ï8o 

ginCy Notte-Seigneur, Jésus-Chrigt votre 
Fils... ^ " 
Ainsi soit-il I 



Donné à Paris, sous notre Seing, le Sceau 
de Nos Armes, et le contre-seing du Chance- 
lier de Notre Archevêché^ le ii Février 1947, 
en la Fête des Apparitions de Notre-Dame 
à Lourdes. 

f Emmanuel, Cardinal Suhard, 
Archevêque de Paris. 



%. Oraisoîi 4u S^me4i Saint, après la z^ Prophétie, 



Table des chapitres 



Introduâion : Crise du monde, crise d'unité. 7 

I. Qui fera P unité du monde ? 

1. La réponse des incroyants. Déclin et 
malfaisance de l'Église 1 5 

2. La position des catholiques. Rup- 
ture ou adaptation ? 19 

II. L^ tnySière de l^Églûe, 

1. La théologie de l'Église 33 

1. Son aspeâ transcendant : l'Église 
corps mystique du Christ 39 

2. Son aspeâ temporel : l'Église, 
corps du Christ 41 

2. La leçon de l'histoire 57 

1. L'enseignement du passé 60 

2. Le bilan du présent 67 

in. 'L.es conditions de P essor, 

1. Les options à exclure 89 

1. Le Modernisme 91 

2. L'Intégrisme 95 

2. La synthèse catholique 109 

3. L'engagement des chrétiens 121 

1. Primauté du Spirituel : l'apoStolat 123 

2. Urgence des tâches temporelles 146 

Conclusion : Essor et printemps de l'Église 1 67 



ACHEVÉ T>*aSBKaSESl. 3SN I96Z 

PAB. u'aSPKXUSSXB BDSSIÈRE A SAINT-AMAMD 

D. t. 4^ T 62, N« 1387 




LIVRE DE VIE 

rassemble les meilleurs livres ^ la vie chrétienne 
dans leur texte inférai, 

aborde tous les problèmes de la vie chrétienne^ 

s'adresse à tous ceux qui souhaitent nourrir leur 
vie chrétienne et à tous ceux qui s'interrogent on 
peuvent s^ interroger sur la vie chrétienne. 



I FRANÇOIS MAURIAC 

Vie de Jésus. 

2-5 THOMAS MERTON 

La nuit privée d'étoiles. 

4 FÉLIX TIMMERMANS 

La harpe de saint François. 

5 JACQUES LOEW 

En mission prolétarienne. 

6 GEORGES BERNA2SIOS 

Dialogues des Carmélites. 

7-8 SAINTE THÉRÈSE DE l'ENFANT JÉSUS 

Manuscrits autobiographiques. 

9 A.-M. ROGUET 

La messe 

10 MARCELLE AUCLAIR 

Bernadette. 

11 ROGER AUBERT 

Problèmes de l'unité chrétienne. 
12 L'Imitation de Jésus -Christ 

TRADUCTION DE LAMENNAIS 

13 JEAN GUITTON 

La Vierge Marie. 

14 ROMANO GUARDINI 

Initiation à la prière. 




LIVRE DE V8E 



15 SAINTE THÉRÈSE d'AVTLA 

Le chemin de la perfeâion. 

16 E. B. ALLO 

Paul, apôtre de Jésus-CHitiSt. 
17 Contes de Noël. 

18-19 RAÏSSA MARITADST 

Les grandes amitiés. 

20 MARIE DE SAINT-DAMIEN 

Sainte Claire d'Assise. 

21-22 SAINT FRANÇOIS DE SALES 

Introduâion à la vie dévote. 

23 YVES DE MONTCHEUIL 

Aspeâs de l'Église. 

24-25 BLAISE PASCAL 

Pensées (édition lafuma). 

26 FRANCIS DVORNIK 

Histoire des conciles. 

27 SAINT IGNACE DE LOYOLA 

Autobiographie. 

28 A.-M. ROGUET 

Les sacrements. 

29-30 LOUIS BOUYER 

La Bible et l'Évangile 
31 Fioretti de saint François 

TRADUCTION d'a. MASSERON 
32 CARDINAL SUHARD 

Essor ou déclin de l'Église 

33-34 JEAN-FRANÇOIS SIX 

Vie de Charles de Foucauld 
27, RUE JACOB, PARIS V|e 



Ll VR E D E VI E 



LES MEILLEURS LIVflES DE VIE CHRÉTIENNE 

Cardinal Suhard 

Essor ou déclin 
de rÉglise 

« L'engagement que doit prendre l'Eglise 
aujourd'hui est trop capital pour qu'elle se 
contente d'un compromis, passager et local. 
Ce qu'il faut, c'est une vaste synthèse, 
capable de fournir aux chrétiens la double 
réponse qu'ils attendent : une action humai- 
nement efficace et une doctrine pleinement 
catholique. Ici encore, c'est la théologie et 
l'histoire de l'Eglise qui permettront de 
réaliser cette doctrine valable. Nous ne pré- 
tendons pas à autre chose, en ces lignes, 
qu'à indiquer la route, et soutenir l'action 
de nos fidèles. » 

Cardinal Suhard. 



Couverture : photo Lartigue-Rapho. 

TEXTE INTÉGRAL 

27 RUEJACOB - PARIS VI' 



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B^^^ UNIVERSITY OF CHICAGO 

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f StJHARD 

'J Essor ou déclin de 

I i'Êglis® 









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